On a demandé à des parlementaires s’ils se considèrent précaires, comme l’affirme le sénateur LR François Grosdidier

Publié à 16h21, le 11 septembre 2016 , Modifié à 16h34, le 11 septembre 2016

On a demandé à des parlementaires s’ils se considèrent précaires, comme l’affirme le sénateur LR François Grosdidier
Des députés précaires à l'Assemblée nationale. © AFP

Lors d’une rencontre avec les Français de New York jeudi 8 septembre, François Fillon a affirmé qu’"il serait temps qu’on accepte les emplois précaires", arguant que c’était "toujours mieux de travailler". Cette sortie a donné lieu à un échange sur Twitter entre un journaliste de Quotidien et le sénateur LR François Grosdidier. "C’est quand la dernière fois que François Fillon a eu un emploi précaire ?", s’interroge faussement le premier. Réponse du parlementaire qui soutient Alain Juppé à la primaire : "Parlementaire, il n’y a rien de plus précaire, sauf ministre".

Alors que le tweet a suscité l’indignation de nombreux internautes, le sénateur LR assure auprès du Lab que "c’était une réponse ironique". "On peut tout reprocher à des élus, sauf de chercher à tout prix la stabilité de la fonction. J’ai eu beaucoup de réponses à mon tweet qui portaient sur les indemnités, mais [la précarité] n’a rien à voir avec les revenus", se défend-il. Une position partagée par la députée PS Michèle Delaunay .

Les députés sont amenés à remettre en jeu leur mandat tous les cinq ans, tous les six ans pour les sénateurs. Le Lab a interrogé trois parlementaires (François de Rugy, député du groupe socialistes, écologistes et républicains, Stéphane Ravier, sénateur FN, Jean-Baptiste Lemoyne, sénateur LR) et un ex (Jean-Pierre Brard, ancien député communiste) pour savoir s’ils se considéraient comme précaires.



  • "Il y a beaucoup de gens qui aimeraient avoir des contrats de cinq ans"

"Non je n’estime pas être précaire", coupe d'emblée François de Rugy, qui pointe une "forme d'indécence" de François Grosdidier à employer le mot de "précarité" :

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Il y a beaucoup de gens qui aimeraient avoir des contrats de cinq ans, même si c’est très différent d’un contrat de travail. Il y a une forme d'indécence à parler de précarité. La précarité, ce sont des gens qui ne savent pas si à la fin du mois leur contrat de travail va être reconduit.

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Et le député "écologistes !" d’ajouter : "Fillon, c’est difficile pour lui de parler de précarité politique, il est élu depuis 1981." L'élu de Loire-Atlantique refuse toutefois de stigmatiser les parlementaires qui profiteraient d'une "rente de situation", car ils remettent "leur mandat en jeu tous les cinq ou six ans". Tout comme le "président de la République, qui est élu pour cinq ans" et qui "connaît le terme du mandat dès le début". En revanche, François de Rugy reconnaît une "précarité politique" pour les ministres qui peuvent être virés du gouvernement du jour au lendemain… "mais pas économique et sociale".

Mais François de Rugy tique sur le terme "précarité". "Au contraire, on a même une certaine durée, et des moyens pour agir", explique-t-il. Il ajoute que cette précarité n’est pas vécue par tous les parlementaires de la même façon.

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Les députés ne sont pas tous logés à la même enseigne, selon le groupe parlementaire ou la circonscription. Moi, je ne sais pas ce qui en sera l’année prochaine, je ne suis pas sûr d’être réélu [François de Rugy siège à l’Assemblée nationale depuis 2007, ndlr]. Il y a un mouvement d’alternance plus fort quand c’est la droite qui gagne que quand c’est la gauche. Et ma circonscription [la première de Loire-Atlantique, ndlr] est sans doute beaucoup plus partagée entre la gauche et la droite, tandis que celle de [Jean-Marc] Ayrault est aux deux tiers à gauche
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"En politique, l’assurance tout risque n’existe pas", conclut François de Rugy, citant les cas de François Mitterrand, Michel Rocard et François Hollande qui ont déjà été battus aux législatives.



  • "Des chômeurs remettent en jeu leur chômage tous les mois"

"Excusez-moi, j’ai mis du temps à vous rappeler, j’étais en train de pleurer sur la condition matérielle de M. Grosdidier", s’amuse Stéphane Ravier auprès du Lab. Pour le sénateur FN, précarité rime surtout avec chômage :

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Je pourrais me dire que les tweets, ça vous force à réduire ce que vous voulez dire. J’ose espérer qu’il s’est trompé ou qu’il a voulu écrire un peu trop vite… Quand on gagne en un mois une année de RSA ou quatre à cinq fois le SMIC… [...] Il y a des chômeurs qui remettent en jeu leur chômage tous les mois, qui passent du chômage au RSA. J’en rencontre tous les jours dans mon secteur ô combien frappé par la politique que soutient M. Grosdidier [celle d’Alain Juppé, ndlr].

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Stéphane Ravier refuse de parler de précarité, même s’il remettra son mandat de sénateur en jeu dans quelques années :

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Je n’aurais pas la folie d’essayer de faire pleurer sur mon sort. Je suis bien conscient de ma situation, même si c’est le résultat d’un long travail militant. Bien sûr que c’est un CDD, je le savais. On doit tous se remettre en jeu. Si on est battu, on passe à autre chose. S’il le fallait, je reprendrais mon emploi que j’occupais [chez Orange, dont il s’est mis en disponibilité, ndlr]... mais la politique me passionne plus que mon emploi.

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  • "Vous pouvez vous retrouver sans activité professionnelle"

"Je prends la définition du Larousse. Précarité : qui n’offre ni garantie de durée ni de stabilité, qui peut toujours être remis en cause", lit Jean-Baptiste Lemoyne. Le sénateur LR de l’Yonne développe :

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Un poste de parlementaire n’est pas durable. Il n’y a pas de garantie, pas de poste à vie et tant mieux. Ça n’existe pas en France, nous devons être confirmés par le suffrage universel direct ou indirect. Le sujet n’est pas tant l’indemnité que la condition par définition non-stable.

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L’élu de l’Yonne assure qu’il "ne s’agit pas de se plaindre sur [le] sort [des parlementaires]" qui sont "suffisamment au contact de la population pour ignorer la précarité". Il explique que le retour à la vie professionnelle peut s’avérer compliqué :

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Vous pouvez vous retrouver sans activité professionnelle [après un mandat]. J’ai connu un parlementaire qui avait arrêté son activité de médecin. Il a été battu et il n’avait plus son cabinet. [...] Moi, je ne suis pas fonctionnaire. Mettons qu’il m’arrive malheur à un prochain renouvellement, j’aurais certes pendant six mois une sorte d’indemnisation du Sénat, mais personnellement, j’ai renoncé à mes droits chômage. J’en fais pas un drame.

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"C’est difficile de maintenir son employabilité quand on vient d’une profession qui n’a rien à voir", ajoute Jean-Baptiste Lemoyne, citant l’exemple du député PS Laurent Grandguillaume, qui a décidé de ne pas se représenter au nom du non-cumul dans le temps et anticipe son retour à la vie professionnelle.



  • "Je serais même pour qu’on renforce cette précarité par la révocabilité"

"Évidemment" que les parlementaires sont précaires, assure Jean-Pierre Brard. L’ancien député communiste (1988-2012) se rappelle :

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Quand j’ai commencé à être député, quand vous perdiez une élection, vous n’aviez aucune protection sociale. Un ancien collègue socialiste, ancien ouvrier chez Peugeot, s’est retrouvé sans rien et le PS l’avait oublié. C’est précaire, mais c’est la loi de la démocratie aussi. Il faut accepter ça. Un mandat politique, ce n’est pas un métier mais une fonction qu’on vous confie à un moment donné.

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Une raison pour l’ancien maire de Montreuil (Seine-Saint-Denis) de fustiger les "carriéristes" :

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La pire espèce ce sont les carriéristes. Ce matin, je relisais justement les vœux de Noël à la Curie romaine du pape François [en 2014] : 'La maladie de diviniser les chefs, c’est la maladie de ceux qui courtisent des supérieurs, en espérant obtenir leur bienveillance. Ils sont victimes du carriérisme et de l’opportunisme, ils honorent les personnes et non Dieu. Ce sont des personnes qui vivent le service en pensant uniquement à ce qu'ils doivent obtenir, et non à ce qu'ils doivent donner. Des personnes mesquines, malheureuses, et inspirées seulement par leur égoïsme fatal.'

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Pour combattre ce "carriérisme", Jean-Pierre Brard va plus loin et propose la "révocabilité des élus" :

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La précarité, je serais même pour qu’on la renforce. En Allemagne, une pétition contre un élu peut déclencher une procédure de référendum révocatoire. C’est fantastique ! Plutôt que toutes ces conneries sur le cumul des mandats sur la durée et le nombre, il faut s’en remettre aux électeurs.

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L’ancien député de 68 ans souhaite même que cette révocabilité puisse s’appliquer au président de la République, ciblant nommément François Hollande dont il combat la politique.

[BONUS TRACK]

Sollicité par Le Lab, Gilbert Collard, député RBM du Gard, a livré cette réponse concise et typique :

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Ma seule réaction est : il n’y a rien de plus précaire que la vie, et de plus durable que la connerie !

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