"Réserve parlementaire" : le grand mic-mac ?

Publié à 14h25, le 16 mars 2012 , Modifié à 17h39, le 16 mars 2012

"Réserve parlementaire" : le grand mic-mac ?
Marc Le Fur, député UMP des Côtes d'Armor, ici à Paris, le 18 octobre 2006, détaille sur son blog les subventions obtenues dans le cadre de la "réserve parlementaire" mais refuse d'en communiquer le montant total à la presse. (Maxppp)

C’est l’histoire d’une polémique qui nous a été signalée par notre blogueur Jegoun, qui nous a envoyé un billet très énervé – que nous choisissons de vous livrer in extenso, ci-dessous : en Bretagne, plusieurs parlementaires utiliseraient à tort et à travers leur "réserve parlementaire", cette enveloppe qui leur permet de faire subventionner des projets locaux dans leurs circonscriptions. Et plus particulièrement encore à l’approche des prochaines élections législatives.

Fidèle à notre manière d’envisager les nouveaux modes de construction de l’information, nous avons souhaité accompagner la publication de ce billet d’une vérification sérieuse et approfondie. Voici donc le résultat de cette enquête, définitivement participative, et qui illustre très concrètement notre manière d’envisager la manière dont peut se créer, en ligne, une information qui donne aux « sonneurs d’alertes » une vraie place.

[Antoine Bayet, rédacteur en chef du Lab]

  1. Le point de départ : un billet très énervé de Jegoun

    La situation est très tendue pour les députés UMP qui seraient très nombreux à perdre leur place si François Hollande est élu. Du coup, l’UMP est obligée de dépenser une terrible énergie pour démontrer leur importance et leur capacité à obtenir du concret de l’Etat pour leur circonscription.

    Beaucoup d’énergie est dépensée… mais elle sort directement de la poche du contribuable.

    Marc Le Fur est vice-président de l’Assemblée Nationale. C’est le seul député de droite dans les Côtes d’Armor. Les trois Sénateurs du département sont à gauche. Il est bien isolé. Sa réélection pourrait bien être difficile, la circonscription était déjà passée à gauche en 1981 dans une situation bien proche !

    Marc Le Fur a un blog où il détaille les actions qu’il fait pour le bien de tous. Vendredi dernier, par exemple, il se vantait d’avoir obtenu 56 000 euros (hors réserve parlementaire) pour la nouvelle école de La Hamoye (435 habitants). La veille, il fanfaronnait pour une subvention de 10.000 euros pour  "les haras de Corlay". Je vous laisse faire le total.

    Ouest-France avait interrogé tous les élus pour connaître le montant des réserves parlementaires utilisées dans la circonscription. C’est le seul élu à avoir refusé de répondre. Les autres députés et les sénateurs ont dépensé entre 40.000 et 120.000 euros.

    Dans un récent billet , un élu des Côtes d’Armor, Loïc Cauret faisait le compte des visites de Ministres ou de personnalités de l’UMP dans la circonscription. Sans compter la prochaine visite de Nadine Morano, on arrive à 7 déplacements en un an. A 50.000 ou 100.000 euros la visite, on arrive probablement à un coût de l’ordre du demi million d’euros !

    Marc Le Fur n’est pas le seul !

    François Guéant, qui est bien le fils du Ministre de l’Intérieur, est aussi le suppléant du député de la quatrième circonscription du Morbihan… En tant que suppléant, sa dotation a été de 300.000 euros ! A comparer aux 40.000 à 120.000 des titulaires dans le département voisin…

    Du coup, Jean-Jacques Urvoas, député PS du Finistère a envoyé une bafouille  … au Ministre de l’Intérieur…

    Si la moitié des circonscriptions coûte entre 300 et 500 000 euros au contribuable, l’élection législative aura coûté plus de 100 millions d’euros…

  2. L'enquête du Lab

    1 ) La “réserve parlementaire” késako ?

    Voilà sans doute l’une des casquettes les plus délicates à appréhender du travail des parlementaires. Tant à l’Assemblée Nationale qu’au Sénat, chaque parlementaire a en effet la possibilité de revêtir les habits, un peu particuliers, d’un « financeur de projets », en mesure d’apporter, dans sa circonscription, des crédits « à des personnes publiques (collectivités territoriales notamment) ou privées (associations) », qui « désirent effectuer un « investissement d’intérêt général », dans sa circonscription, comme le détaillait un rapport (PDF, page 54, ou lien hypertexte direct ) du député EELV François de Rugy, rendu public en novembre 2011.

    Ces sommes ne sont pas directement versées par le député aux porteurs de projets concernés : les crédits sont imputés sur le budget de divers ministères, et, en conséquence, peu aisément quantifiables. Ils alimentent donc régulièrement les fantasmes.

    Le rapport de François de Rugy cite par exemple cet aveu d’impuissance, exprimé en 1999 par Alain Lambert :

    "

    A ma connaissance, il n’existe pas de documents spécifiques y afférant, ni d’informations statistiques sur les crédits concernés et leur emploi, attendu leur très faible montant par rapport aux grandes masses du budget.

    "

    Au final, la somme dont dispose chaque parlementaire est extrêmement variable, fonction notamment de son degré de connaissance du subtile mécanisme. Un reportage de Public Sénat, diffusé en septembre 2011 , estimait que, dans le cas des sénateurs, la somme moyenne représente "130.000 euros".

    2) C’est quoi, la polémique actuelle ?

    Les polémiques ayant trait à la réserve parlementaire sont un « marronnier » de la vie parlementaire, comme en témoigne cet article de 2006 de L’Express, qui évoquait déjà cette question, qui prend une tournure évidemment beaucoup plus saillante en année électorale. L’usage de la réserve parlementaire ne risque-t-il pas alors d’être instrumentalisé, dans un mode très clientéliste ?

    C’est cette question que le billet de notre blogueur Jegoun pose, au travers de deux exemples.

    Jegoun relaye ainsi la question qui a été posée par le député socialiste de la Xè circonscription du Finistère, Jean-Jacques Urvoas, au ministre de l’Intérieur Claude Guéant. Cette lettre ouverte , que le député PS a également fait publier dans Ouest France, le 23 février 2012,reprend des informations du Canard Enchaîné et apostrophe le ministre de l'Intérieurà propos d’un certain … François Guéant, député suppléant de la 4e circonscription du Morbihan, conseiller régional de Bretagne, et … fils du ministre de l’Intérieur qui, à en croire des informations du Canard Enchaîné (25 janvier 2012) et de Ouest France (24 février 2011), aurait bénéficié de sommes très avantageuses – 215.000 euros et 2008, 250.000 euros en 2010, 300.000 euros en 2011.

    "

    Confirmez-vous les montants de ce qu’il est traditionnellement convenu d’appeler la "réserve parlementaire", dont a pu bénéficier M. François Guéant ?

    "

    Le lendemain, François Guéant répond séchement au député PS, lui aussi dans une lettre ouverte : "n’étant ni député, ni maire, je n’ai pu, en aucune manière et d’aucune façon, bénéficier ne serait-ce que d’un seul centime d’euro au titre de tels financements".

    Joint par Le Lab quelques jours plus tard, le fils de Claude Guéant balaye ces accusations en brèche, et confirme ce qu’il y écrivait :

    "

    Je ne suis pas député, je n'ai donc aucune réserve parlementaire. Je suis élu local, c'est tout.

    "

    Sur ce point, donc, Jegoun, notre sonneur d’alerte, tout en soulignant une problématique reconnue, apporte des accusations qui n’ont pu être vérifiées, et ont été fermement démenties par les intéressés.

    Didier Maus, universitaire, et grand spécialiste de la Constitution, interrogé par Le Lab, décrypte :

    "

    L'argument est retournable. Il est très possible que François Guéant ait convenu d’un accord informel avec son député, sans avoir directement accès, aux demandes de subventions.

    "

    François Guéant a été investi par l'UMP pour les législatives de juin dans la quatrième circonscription du Morbihan au grand dam de Loïc Bouvard, plus vieux député de France dont il était le suppléant.

    On reste en Bretagne pour la deuxième histoire pointée par Jegoun. Ouest France a demandé aux huit sénateurs et députés du département des Côtes d'Armor de communiquer le montant de leurs réserves parlementaires. 

    Seul Marc Le Fur a refusé de répondre. Pourtant, sur son blog, le député UMP annonce fièrement : 

    • Le 9 mars , "une subvention exceptionnelle du Ministère de l’Education Nationale de 40 000€" pour une école à La Harmoye.
    • Le 8 mars , "le Député Marc Le Fur a obtenu une subvention de 5000€ du Ministre de l’Agriculture"
    • Le 7 mars , "Marc Le Fur, Député a donc sollicité et obtenu une subvention exceptionnelle de 6000€ du Ministère de la Culture pour aider les organisateurs du festival" du "Petit Village"à Lanfains.
    • Le 24 février , "Marc LE FUR a annoncé une bonne nouvelle : « à ma demande, le Ministère de l’Education versera une subvention exceptionnelle de 4 000€ pour ces travaux ».", à savoir changer les fenetres de l'école Saint-Jospeh de l'Hermitage Lorge.

    Une certitude : les dix dernières subventions répertoriées par Marc Le Fur sur son blog, annoncées depuis le 5 octobre 2011, représentent un total de plus de 200.000 euros. Joint par Le Lab, Marc Le Fur n'a pas souhaité détailler ces calculs, ni commenter les points abordés.

    Décryptage de Didier Mauss :

    "

    La non publicité qui encadre l’usage de la réserve parlementaire entraîne ce type de polémiques électorales.

    "

    3) Et si on se servait intelligemment d’internet ?

    La question de la réserve parlementaire, on l’a vu, fait l’objet de rapports, et a également fait l’objet, récemment, d’une proposition de loi , déposée en mars 2011 par le député Patrick Roy, renvoyée en commission, mais n’ayant pas fait l’objet d’un examen.

    En attendant des mesures obligatoires, de nombreux élus publient sur leurs sites la liste des subventions locales obtenues. C’est par exemple le cas du député PS de l’Allier, Guy Chambefort , ou du sénateur UMP Hugues Portelli .  

Du rab sur le Lab

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