Faut-il montrer l'ennemi au risque de lui donner une postérité espérée ? Faut-il diffuser les photos des terroristes pour mieux cerner leurs profils, regarder l'adversaire dans les yeux, le connaître, l'identifier ? Ou faut-il au contraire taire leurs identités afin de laisser ces individus dans un néant dont ils n'auraient jamais dû sortir ?
La question est sensible. Plusieurs médias, dont Le Monde et BFMTV, ont décidé, après l'attentat perpétré à Saint-Étienne-du-Rouvray, de plus diffuser les visages des auteurs d'attaques terroristes . "Ni Le Monde ni BFM-TV ne veulent renoncer à donner les noms des auteurs d’attentats", précise le quotidien ce mercredi 27 juillet.
Europe 1 a pour sa part décidé de ne plus citer les noms des terroristes à l'antenne.
Cette procédure est souvent de mise aux États-Unis. Après l'attentat dans un club gay d'Orlando, en juin dernier, le journaliste-star de CNN Anderson Cooper avait par exemple refusé de prononcer le nom de l'assaillant , préférant parler des 49 personnes ayant perdu la vie parce qu'elles avaient décidé de danser ce soir-là.
Certains saluent ce geste destiné à ne plus promouvoir les auteurs d'attentats. C'est le cas de certains élus de droite comme les deux candidats à la primaire Hervé Mariton et Geoffroy Didier , ou encore Roger Karoutchi, Bruno Retailleau et Valérie Boyer. Des personnalités que l'on peut difficilement accuser de faire partie de la frange centriste du parti Les Républicains.
D'autres en revanche s'inquiètent de l'inutilité d'une telle mesure et craignent, à l'image de plusieurs journalistes spécialistes de Daech, qu'elle ne soit :
1) Inefficace face aux autres medium d'informations
2) De nature à alimenter les thèses complotistes
Le Front national, pour sa part, a choisi.
À en croire les déclarations de plusieurs cadres ce mercredi 27 juillet, le parti d'extrême droite est clairement opposé à cette décision d'anonymiser les terroristes. L'un des premiers à réagir est Florian Philippot qui, sur Twitter, dénonce une "réflexion de ringards qui ne connaissent pas l'existence d'Internet et des réseaux sociaux".
Il a été suivi peu de temps après par Stéphane Ravier, sénateur-maire de Marseille qui, diffusant une photo d'autruche la tête dans le sable, s'émeut que, selon lui, "certains médias décident donc que les Français n'ont pas le droit de savoir".
Pour l'eurodéputée FN Sophie Montel, "les bisounours [les médias, ndlr] ont du mal à accepter le réel" et "suivent l'appel de BHL". L'écrivain avait en effet, comme d'autres, publié un appel dans ce sens mardi.
Certains frontistes parlent de "censure", Robert Ménard, comme Florian Philippot, estime que "les réseaux sociaux prendront le relais". "La vérité n'est plus à la télé !", ajoute le maire de Béziers élu avec le soutien du FN et qui fut, à une autre époque, président de Reporters sans frontières.
Marion Maréchal-Le Pen y voit, elle, une manœuvre pour "cacher le lien" du terrorisme islamiste "avec l'immigration".
À travers les messages, il s'agit donc bien, pour certains élus frontistes, de cibler une nouvelle fois les médias et pour quelques-uns, de les dénigrer. Et de promouvoir, même indirectement, d'autres moyens d'*information* tel que le blog d'extrême droite FdeSouche.
La même question s'était posée en décembre dernier quand, après avoir cru entendre Jean-Jacques Bourdin faire un lien entre Daech et le FN (il avait parlé de "liens indirects" en se référant au "repli identitaire" portés l'un et l'autre), Marine Le Pen et Gilbert Collard avait diffusé des photos d'exécutions . Montrer ces images, était-ce faire le jeu de la propagande de l'organisation terroriste ? La présidente du FN avait répondu par la négative, expliquant qu'il était "manifestement bon de leur rappeler les atrocités de Daesh pour qu'ils [les journalistes, ndlr] prennent conscience de l'énormité de leur comparaison".