Depuis que la justice s’intéresse aux conditions de l’arbitrage dans le contentieux Tapie/Crédit lyonnais, l’homme d’affaires ne fait pas mystère de ses rendez-vous avec Nicolas Sarkozy mais assure “ne jamais s’être entretenu de [son] dossier” avec l’ancien président. Le 24 juin au soir, lors de l’émission Le Club LCI, le très hollandais Jean-Pierre Jouyet, par ailleurs président de la caisse des dépôts, a fait comprendre que le lien entre les deux hommes était pourtant du genre privilégié.
Alors qu’on l’interroge sur ses connaissances de l’affaire, Jean-Pierre Jouyet oute, l’air de rien, une rencontre entre l’homme d’affaires et Nicolas Sarkozy. Et pas la moindre. Selon ses mots, Bernard Tapie a été le “premier visiteur” de celui qui venait à peine d’être nommé ministre de l’Economie et des Finances, en mars 2004 :
Je n’ai vu Bernard Tapie qu’une seule fois, alors que je venais me présenter en tant que directeur du Trésor. C’était dans l’antichambre du ministre de l’Economie et des Finances qui venait d’être nommé en 2004. (...)
C’était son premier visiteur.
On s’imagine alors facilement la scène : Jean-Pierre Jouyet directeur du Trésor depuis quatre ans, placé tout en haut de l’échelle hiérarchique du ministère de l’Economie, vient se présenter officiellement à son patron, fraichement nommé. Avec lui dans la file d’attente, un Bernard Tapie en pleine phase théâtre et consulting sportif, toujours empêtré dans un contentieux avec le Crédit lyonnais. Directeur du Trésor et Bernard Tapie, même traitement.
Une rencontre d’autant moins anodine dans la bouche de Jean-Pierre Jouyet qu’on sait depuis le 15 juin que Nicolas Sarkozy a "beaucoup insisté" dès 2004 pour tenter de régler l’affaire Tapie à l’amiable, sans la justice, selon le récit du patron du CDR, l'organisme public chargé de solder le passif du Crédit lyonnais.
Pendant ses huit mois au ministère de l’Economie, il aurait en effet tenté à deux reprises de convaincre Bernard Tapie et le CDR d’abandonner la voie judiciaire pour trouver une solution transactionnelle. Une médiation a finalement bien été lancée en novembre 2004 mais Bernard Tapie en a refusé les conclusions : pas assez avantageuses.
A en croire le récit de Jean-Pierre Jouyet, Bernard Tapie avait en tout cas un accès premium à celui qui tentera, par des médiations dans un premier temps, puis en validant l’arbitrage privé en 2008 en sa qualité de chef d’Etat, de trouver une solution plus rapide à son litige avec le Crédit lyonnais.
Interrogé par Le Lab sur cette rencontre, le député UDI Charles de Courson ne se dit pas surpris et parle de lien évident avec la proposition de médiation qui suivra quelques mois plus tard. Mais celui qui a mené la fronde contre le recours à la procédure d’arbitrage de 2008, celle ayant permis à Bernard Tapie de toucher 400 millions d’euros, fait une nette distinction entre la médiation râtée - non contestée - et l’arbitrage :
Ce rendez-vous a eu lieu l’année de la médiation, il n’y a rien de surprenant. (...)
Nicolas Sarkozy n’était pas le premier ministre a tenter de passer par la médiation pour régler cette affaire. Il y a eu plusieurs tentatives, notamment sous Fabius ….
Au final, la médiation lancée en 2004 n’était pas favorable à Tapie, il aurait touché zéro euro. Il a refusé la proposition qui lui était faite.
Bref, les rencontres pré-médiation sont une chose, celles pré-arbitrage en seraient une autre. Celle de 2004 sera en tout cas suivie de nombreuses autres : cinq pendant la campagne présidentielle de 2007, selon les informations d'Envoyé spécial du 20 juin, et douze suivantes jusqu'en 2011, selon le journaliste de L'Express Pascal Ceaux.
Un "activisme" que justifie ainsi son avocat Maitre Dupond-Moretti, toujours dans Envoyé spécial :
Tapie, c'est un type qui a de l'énergie, des relations, il veut que son histoire aboutisse, il est victime, il bouge.