Une sale époque

Publié à 12h11, le 17 mars 2012 , Modifié à 12h12, le 17 mars 2012

Une sale époque
Ségolène Royal en déplacement à Colombes en 2008 (Maxppp).

Pour le compte de François Hollande, Ségolène Royal fait du porte-à-porte en banlieue parisienne. Les caméras sont avec elle, les portes s'ouvrent, et la Ségolènemania fonctionne toujours aussi bien.

L'image a interpelé Vogelsong. Pour lui, elle est symptomatique d'une volonté : "restaurer une République plus apaisée"à une heure où, selon notre blogueur, il est plus facile de "cacher son universalisme de gauche". 

  1. Mauvais œil

    Le cadrage est mauvais, la caméra mal positionnée, la scène a lieu dans une cage d’escalier de la banlieue de Bagneux. Un reportage qui illustre la campagne de porte-à-porte initiée par le PS pour susciter l’adhésion à François Hollande. 

    Un bout de film anodin lancé en première partie d’une émission du service public Des paroles et des actes dont le candidat socialiste est le principal invité. Outre le fait que l’ambiance sur le plateau se soit significativement tendue si on la compare avec l’accueil du Président sortant la semaine précédente, cette scène suscite un malaise. Un malaise presque honteux.

    Bizarrement Ségolène Royal peut se présenter à la porte d’un habitant de banlieue. Et soulever diverses réactions, mais aucune violence. En tout cas, c’est ce que montrent les images. Des gens souriants, surpris, voire gênés de trouver là, sur leur seuil, la candidate de 2007, la figure télévisuelle. 

    Ségolène Royal fait le job. Elle, qui avait il y a cinq ans fait le plein de voix dans les banlieues, use de ce capital pour les besoins de la cause. Virer Nicolas Sarkozy de l’Élysée et restaurer une République plus apaisée, sortir de l’enkystement, du rejet, de la xénophobie. Ces valeurs essentielles à la droite moderne qui saturent l’espace depuis une décade. Déjà.

    Or c’est bien de cela qu’il s’agit. De ce qu’est vraiment la gauche, de ses valeurs dans le contexte xénophobe de la France de 2012. De cette image du  “parti de l’étranger” (pour reprendre la terminologie frontiste, et l’inconscient sarkozien), moins rétif à l’immigration, moins anxieux sur les dangers fantasmés de l’autre, cet ennemi intérieur.

    Ces images sont presque trop frappantes, car trop vraies. Elles nous renvoient à une utopie. Celle de la démocratie pour tous, même dans les zones délaissées et perdues de la République.

    C’est peut-être à cet instant que se produit le renversement. Ces images sont fortes, mais infiniment dangereuses. Car on se pose immédiatement la question de son impact sur l’autre. L’électeur. Celui qui hésite à quelques encablures de l’isoloir. Celui qui baigne matin, midi et soir dans le flot incessant de l’information sécuritaire. De la logorrhée péremptoire de peur, distillée à longueur d’émission par les zélés roquets du pouvoir. Cet autre à qui l’on prête des réflexes racistes, car on pense (et l’on sait) qu’il a déjà mordu à l’hameçon (en 2002 (avec Jean-Marie Le Pen), et 2007 (avec Nicolas Sarkozy)). 

    Cet électeur qui finalement face aux clichés du socialiste anti-raciste béat, préférera l’esprit de civilisation nationale tellement plus en vogue actuellement. Il est si bon d’être réactionnaire nous dit-on. Finalement, on intègre la peau du raciste, et on se surprend à ne souhaiter qu’il ne soit pas trop perturbé, indisposés par ces images de Ségolène Royal à la rencontre de Français de couleur dans les quartiers. Car il en va d’une élection primordiale et des cinq prochaines années. Le pire des paradoxes en somme, cacher son antiracisme pour qu’il prenne (un peu) le pouvoir.

    Ce renversement c’est celui de l’intégration des codes d’une époque. Une époque où l’on éprouve un malaise honteux à ne pas détester l’autre pour sa différence. Où l’on se surprend à trouver ses propres valeurs (comme l’antiracisme) peu électorales compte tenu du contexte. Une époque où l’on se dit que se présenter face aux gueux issus de minorités visibles est moins payant démocratiquement que de se faire filmer entouré de vaches au Salon de l’agriculture. Une époque où l’on pense qu’il vaut mieux cacher son universalisme de gauche et attendre que ça passe.

    Une sale époque.

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