Violences, corruption et peines "obligatoires" pour les élus : gauche et droite en pleine incohérence d'un vote à l'autre

Publié à 14h43, le 02 juillet 2016 , Modifié à 14h55, le 02 juillet 2016

Violences, corruption et peines "obligatoires" pour les élus : gauche et droite en pleine incohérence d'un vote à l'autre
L'Assemblée nationale, allégorie © Giphy

TOUT ET SON CONTRAIRE - Vote hautement symbolique et donc polémique, à l'Assemblée nationale, vendredi 1er juillet. Au cours du débat en séance sur la loi égalité et citoyenneté, deux amendements identiques proposaient de "rendre obligatoire la peine complémentaire d’inéligibilité en cas de condamnation pour une infraction pour violences". Une peine déjà prévue par le code pénal, qu'il s'agissait selon les auteurs de rendre "plus systématique" qu'aujourd'hui. L'un de ces amendements émanait de députés UDI, l'autre de députés écologistes

À l'issue d'un échange pied à pied, les deux amendements ont été repoussés à une courte majorité des 15 votants : 9 contre et 6 pour. Les opposants ont défendu un point de droit, assurant ne pas être contre le bien-fondé de cette proposition : trop proche de "l'automaticité", cette peine d'inéligibilité obligatoire serait entrée en conflit frontal avec le principe d'individualisation des peines et aurait donc fait courir un risque d'inconstitutionnalité. 

Cependant, il y a trois semaines, un autre vote avait occasionné exactement le même débat. Les rôles et les arguments étaient alors parfaitement inversés. Et le vote aussi. Il s'agissait de la peine complémentaire d'inéligibilité obligatoire pour les personnes exerçant une fonction publique en cas de condamnation pénale pour corruption. La droite voulait supprimer cette disposition pour son "automaticité" vue comme possiblement anticonstitutionnelle, mais les socialistes et le gouvernement s'y étaient opposés. Cette peine avait donc été maintenue...

Explications.

# Ce qui a été voté vendredi 1er juillet

Eva Sas, élue écolo de l'Essonne à l'origine de l'un de ces amendements, s'est émue de ce vote repoussant son amendement, sur Twitter, déclenchant une polémique :

Le nombre de députés présents en séance pour ce vote peut faire réagir : 15, c'est peu. Il faut cependant prendre en compte le fait que ce vote a eu lieu un vendredi en toute fin d'après-midi, alors que l'immense majorité des élus sont alors de retour dans leurs circonscriptions. C'est, d'autre part, une majorité de gauche qui a repoussé ses propositions : les neuf voix "contre" venaient en effet des rangs socialistes, quand trois élus LR votaient pour, ainsi que deux écolos et un UDI. Les socialistes se sont opposés aux tenants de cette proposition sur un point de droit spécifique, et non sur le bien-fondé de la démarche.

Il ne s'agissait en effet pas uniquement de la volonté de sanctionner les actes de violences commis par des élus. Le débat portait sur l'automaticité ou non de cette peine d'inéligibilité. Durant le débat, Eva Sas a donc défendu une peine "obligatoire" mais pas "automatique", jugeant que cette distinction  permettait d'éviter cet écueil : 

 

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L’inéligibilité est une peine complémentaire qui n’est de fait que très rarement prononcée. Cela entraîne des situations très problématiques. Il est ainsi déjà arrivé que des maires ou des adjoints au maire condamnés pour violences envers leur compagne continuent à officier et à célébrer des mariages. Cet amendement ferait de l’inéligibilité une peine complémentaire obligatoire que le juge est, en principe, tenu de prononcer, sans pour autant en faire une peine automatique, car le juge pourrait décider d’écarter l’inéligibilité par décision motivée, conformément au principe d’individualisation des peines. L’objectif est de faciliter le prononcé de l’inéligibilité afin de le rendre plus systématique et d’empêcher les élus condamnés pour de tels faits de continuer à exercer un mandat de représentation.

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Pas d'accord, la rapporteure de la commission des lois Marie-Anne Chapdelaine (PS) et le rapporteur général sur ce texte Razzi Hammadi (PS) ont au contraire estimé que cela revenait à rendre cette peine "automatique", selon le même "raisonnement que pour les peines planchers". Marie-Anne Chapdelaine a ainsi argumenté :

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Nul doute que l’intention derrière cet amendement est bonne, mais comme on dit souvent, l’enfer est pavé de bonnes intentions. On ne juge bien un cas d’espèce qu’en appréciant toutes ses circonstances. Même si vous donnez au magistrat la possibilité de ne pas prononcer la peine au moyen d’une décision spécialement motivée, votre disposition rendrait la sanction quasiment automatique, ce que depuis 2012 la commission des lois a rejeté.

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Toujours sur Twitter, Eva Sas a maintenu sa position en rappelant notamment qu'"un amendement identique [avait] été adopté pour les élus condamnés pour corruption" :

# Ce qui avait été voté le 7 juin

De fait, un débat tout à fait similaire avait eu lieu lors du vote sur la loi Sapin 2, le 7 juin. Des députés LR avaient alors déposé un amendement pour supprimer la peine complémentaire d'inéligibilité obligatoire pour les personnes exerçant une fonction publique en cas de condamnation pénale pour corruption. Le PS et le gouvernement, notamment par la voix du ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas, avaient bataillé pour l'instauration cette disposition. 

Il ne s'agit "pas d'une peine automatique", qui serait inconstitutionnelle, avaient largement insisté tant le rapporteur que Jean-Jacques Urvoas, hostile aux peines automatiques.

Le texte, tel que modifié en commission des Lois via un amendement du rapporteur Sébastien Denaja (PS), "érige la peine d'inéligibilité en peine complémentaire obligatoire en matière d'atteintes à la probité". Pour rendre le prononcé de l'inéligibilité plus systématique, cet amendement en fait une peine complémentaire obligatoire, mais le juge pourra, "par une décision spécialement motivée", décider d'écarter cette peine.

D'un vote l'autre, chaque camp a donc défendu des positions strictement opposées sur le même débat technique...

Du rab sur le Lab

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