D'ordinaire, le président du Conseil constitutionnel s'astreint à un certain devoir de réserve. Mais Jean-Louis Debré a jugé la situation suffisamment sérieuse pour critiquer publiquement les propos de Nicolas Sarkozy.
Invité de l'émission d'Europe 1 Mediapolis, diffusée samedi 5 juillet, le président du Conseil constitutionnel s'est tour à tour emporté contre les propos de Nicolas Sarkozy sur l'institution qu'il dirige, s'est dit "profondément blessé" par les critiques émises par ses proches à son encontre, et a appelé Nicolas Sarkozy à cesser ses attaques contre les juges, avec notamment la phrase suivante :
Quand des responsables politiques commencent, à droite ou à gauche, à s'en prendre aux juges, c'est un des fondements du vivre ensemble, de la République qui est atteint.
>> Touche pas à mon Conseil constitutionnel
En début d'émission, Jean-Louis Debré commence par corriger factuellement Nicolas Sarkozy. Lors de son interview sur TF1 et Europe 1, l'ancien président avait fait référence aux "enquêteurs du Conseil constitutionnel" :
Il n’y a jamais eu le moindre système de double facturation. Que les 17 millions qu’on prétend dépendre de ma campagne qui auraient été cachés, c’est une folie. Personne, jamais, ne peut imaginer que les enquêteurs du Conseil constitutionnel ou de la commission des comptes de campagne soient passés au travers.
Faux, répond Jean-Louis Debré: le Conseil constitutionnel n'a pas *enquêté* sur les comptes de campagne de Nicolas Sarkozy, mais s'est seulement chargé de valider, ou d'invalider une décision de la Commission nationale de Contrôle des comptes de Campagne (CNCCFP) :
L'ancien président de la République a indiqué dans son intervention 'les enquêteurs du Conseil constitutionnel'... Nous n'avons pas des enquêteurs, nous n'avons pas de pouvoir de police judiciaire, nous ne pouvons pas faire de perquisitions, des saisies !
Lorsqu'il y a un an nous avons instruit l'affaire, c'est moi qui signais les lettres pour demander des précisions à telle ou telle personne. Bref, ne présentons pas le Conseil comme il n'est pas. Nous ne sommes pas la police judiciaire, première précision.
Jean-Louis Debré n'en a pas terminé avec le fact-checking de Nicolas Sarkozy. Il poursuit :
On laisse entendre que nous aurions vérifié l'ensemble des comptes de la campagne de l'ancien président de la République. Non ! Ce n'est pas exact !
Nous avions été saisis du recours de monsieur Sarkozy lui-même, qui contestait la décision de la Commission Nationale des comptes de campagne aux termes desquels il avait dépassé le plafond des dépenses autorisées, et n'avait pas le droit au remboursement forfaitaire. Nous n'avons examiné que les griefs de monsieur Sarkozy, nous n'avons pas examiné tout le compte. Et nous avons simplement dit que les griefs qu'il évoquait pour contester la décision de la CNCC étaient inopérants.
Nous n'avons pas validé les comptes, nous avons simplement validé la décision de la Commission nationale de contrôle qui avait constaté qu'il avait dépassé les plafonds autorisés.
>> C'est possible d'arrêter de m'insulter ?
Le président du Conseil constitutionnel se lance ensuite dans un registre plus personnel. Il dit avoir été "profondément blessé" par les critiques de l'époque sur l'impartialité de l'institution qu'il dirige :
Le 4 juillet dernier, lorsque nous avons rendu cette décision [...], nous avons été l'objet de critiques qui m'ont profondément blessé. D'abord, les critiques consistant à faire du Conseil [constitutionnel, NDLR] une officine du pouvoir. Si on prend la jurisprudence du Conseil consitutionnel, en tous les cas celle que j'assume depuis sept ans, elle a été parfaitement transparente.
Et que ce soit un pouvoir de gauche ou un pouvoir de droite, quand les droits et les libertés étaient en cause, nous avons sanctionné la loi. C'est clair, c'est précis, et aucun commentaire, n'a été, du temps de Nicolas Sarkozy ou de François Hollande, n'a été pour dire que le Conseil constitutionnel était partial.
Non, nous avons montré notre impartialité. Ce qui nous intéresse c'est pas la politique, ce qui nous intéresse ce qu'on respecte les droits et les libertés.
Plus personnel encore, Jean-Louis Debré affirme avoir été "injurié" et décommandé de plusieurs événements promotionnels par des amis de Nicolas Sarkozy :
A l'époque, ce qui m'avait profondément blessé, c'est les attaques me concernant, en disant 'naturellement le Conseil a rendu cette décision parce que Debré n'a pas une affection très grande pour Sarkozy'.
Mais ce n'est pas le problème ! D'abord le Conseil c'est une délibération collective, nous sommes neuf, nous votons, les gens qui sont autour de la table c'est pas des gens qu'on influence.
Si nous avions pris cette décision ce n'est pas en fonction de considérations personnelles ou politiques, c'est qu'il était évident que la Commission nationale de contrôle des comptes de campagne avait fait une juste application du droit. Point, c'est tout.
Alors ce n'était pas la peine de m'injurier comme je l'ai été. Je rappelle simplement un petit fait: à l'époque j'avais sorti un livre, plusieurs manifestations ont été décommandées par les amis de l'ancien président de la République parce qu'ils considéraient que j'avais porté atteinte à la dignité de l'ancien président de la République. Non, le Conseil a fait son devoir, et je l'assume. Alors, ne portons pas tout sur des terrains personnels et politiques.
A l'époque, les proches de l'ancien président ont en effet directement ciblé Jean-Louis Debré, sous-entendant qu'il fallait voir dans l'invalidation des comptes de campagne une décision plus politique que juridique. Nadine Morano avait affirmé que Jean-Louis Debré voulait "tuer l'UMP" car il était issu du RPR, Henri Guaino avait de son côté dénoncé "le mauvais coup à la démocratie" porté par le Conseil constitutionnel.
En mars 2013, Jean-Louis Debré avait anticipé les critiques: "soit on confirme la décision de la commission, soit on infirme, soit on modifie. De toute façon on sera critiqué", avait-il déclaré au Monde.
>> Nicolas, tu t'attaques à la République
Vient ensuite l'attaque la plus virulence de Jean-Louis Debré contre Nicolas Sarkozy. Tout comme Alain Juppé, le président du Conseil constitutionnel n'aime pas vraiment que l'on s'attaque nommément aux juges du pays, que l'on s'appelle Nicolas Sarkozy ou pas. Il dégaine alors deux références littéraires fort à propos :
Balzac disait "on n'a pas le droit de détruire la justice. Si on détruit la justice, c'est le début de l'anarchie". Et Beaumarchais disait "on a 48 heures pour maudire ses juges et après on s'arrête".
Effectivement, quand vous prenez l'histoire de la République, l'histoire des rapports entre la politique et la justice, vous trouvez toujours cette tentation, à droite et à gauche, de ne pas discuter les faits qui vous sont reprochés mais d'attaquer les personnes.
Plus fort encore, Jean-Louis Debré estime "qu'un des fondements de la République" est atteint lorsque Nicolas Sarkozy s'en prend aux juges :
Faisons attention, la République c'est un rêve d'avenir partagé. Ce rêve d'avenir partagé, il est vivant s'il y a une justice qui est respectée et qui reste digne. Quand des responsables politiques commencent, à droite ou à gauche, à s'en prendre aux juges, c'est un des fondements du vivre ensemble, de la République qui est atteint. [...]
On peut contester ce qui vous est reproché, on ne conteste pas les fondements de la justice, parce qu'à ce moment-là on conteste la République.
>> Juge syndiqué ne veut pas dire mauvais juge
Jean-Louis Debré n'aime pas, également, quand Nicolas Sarkozy rappelle que la juge Thépaut appartient au syndicat de la magistrature, classé à gauche. Le président du Conseil constitutionnel estime en tout cas que ce n'est surement pas cela qui l'empêchera de faire correctement son travail :
Le législateur a admis la liberté syndicale dans la magistrature. Attention à tous ces arguments que tout le monde peut s'envoyer dans la figure. Je connais bien les magistrats, j'ai été magistrat, vous pouvez avoir vos opinions et essayer de rechercher la meilleure justice possible.
Tout le monde n'est pas militant de tout, à droite comme à gauche. Si on conteste la justice. Je veux bien qu'on conteste une décision de justice, qu'on critique une décision de justice. Qu'on fasse appel. Quand on est pas content de son juge, il y a des procédures.
Mais on ne livre pas à l'opinion publique comme ça ce slogan, "allez, c'est une affaire de juges". Non, il y a un procureur de la République, il y a des institutions, il y a des garanties, un Conseil supérieur de la magistrature. Faisons en sorte que la justice soit sereine. Je connais beaucoup de magistrats qui ont des idées politiques, je peux vous garantir que lorsqu'ils instruisent, ils instruisent en fonction du droit et de la recherche de la vérité.