Reportage aux Bobards d’or, la soirée où l’on crie : "Au four !" en voyant Pierre Bergé

Publié à 07h58, le 12 mars 2014 , Modifié à 09h02, le 13 mars 2014

Reportage aux Bobards d’or, la soirée où l’on crie : "Au four !" en voyant Pierre Bergé
Déroulé des Bobards d'Or le 11 mars au soir. Photo Antoine Bayet.

Dans la réaco-fachosphère, c’était LA soirée à ne pas manquer. La fondation Polémia, dirigée par Jean-Yves Le Gallou, figure éminente de l’extrême droite française, organisait, ce mardi 11 mars, la cinquième édition de la soirée des Bobards d’or.

Le pitch de l’événement, qui se déroule physiquement à Paris, et qui est retransmis en direct vidéo sur internet, est simple : médias et journalistes mentent et professent mensonges sur mensonges ; le jury des Bobards d’or se propose de récompenser les plus remarquables de ces mensonges.

Concrètement, dans la vraie vie, ça s’est passé dans dans un amphithéâtre de 200 places du 9è arrondissement parisien, largement surbooké, disponible pour quelques centaines d’euros à la location. Tout un chacun pouvait y assister, modulo une inscription par mail préalable et, une fois sur place, l'acquittement d'une participation d’au moins cinq euros.

Pendant ce temps là, en ligne, quatorze sites, selon les décomptes des organisateurs, tous proches de la droite extrême, selon les relevés du Lab, ont retransmis en live le flux vidéo de la soirée. L'influent Salon Beige, proche des milieux cathos tradis, affichait de son côté une large bienveillance au sujet, y consacrant de nombreux billets, sans toutefois se revendiquer comme partenaire. 

Côté théorie, c’est l’énarque et ancien député européen Le Gallou qui s’y colle.

Le cofondateur du club de l’Horloge, un think-tank réunissant des intellectuels de droite et d'extrême-droite, se lance ainsi dans un discours général d’analyse des médias, mi-économique, mi-sociologique.

Pêle-mêle, il théorise la disparition progressive des "médias dominants" - pardon, des "médias de propagande" ; fait applaudir chaudement les difficultés financières de Libération ; salue le travail de "l'observatoire des journalistes et de l'information médiatique" (ce n'est pas franchement une surprise) ; adresse également un plus inattendu satisfecit à Acrimed (là, ça ressemble plutôt à un baiser de la mort pour un site d’analyse des médias réputé proche de la gauche alternative).

Jean-Yves Le Gallou se lance même dans une ode à l’intervention sur les réseaux sociaux :

Multiplication des blogs, naissance de médias alternatifs nationaux, régionaux, ou locaux, élargissement de l’offre audiovisuelle (…) : tel est le paysage médiatique et technologique sur lequel nous devons agir (…).Déstabilisons les croyances de la médiacratie, à travers Twitter, notamment.

Bref, quand la fachosphère se rencontre IRL, a priori, c’est pas pour déconner.

Problème ? La salle, chauffée à blanc, et régulièrement appelée à participer par votes ou acclamations, n’a manifestement pas la même retenue que Jean-Yves Le Gallou.

Ainsi par exemple lorsque défile, sur l’écran de projection, la diapositive introductive à la désignation du "gay Bobard", illustrée du visage de l'homme d'affaires et co-actionnaire du Monde, Pierre Bergé.

Sur la vidéo diffusée en ligne (à partir de 1h47), on n'entend pas très bien les commentaires de la salle, la piste son privilégie les micros des intervenants.

Mais le Lab est formel.

Quand le visage de Pierre Bergé apparaît, fuse de la salle un :

Au four !

Ecoutez, c’est net, c’est glaçant, et ça ne suscite aucune désapprobation dans la salle (au contraire), où l'on a très bien entendu la saillie :

Un peu plus tôt, alors qu’était projeté un reportage de France 2, montrant la vie dans un camp de roms en banlieue parisienne, surgissait un :

Au bûcher !

Même exutoire, lorsque vient le tour de Maïtena Biraben, la présentatrice du Supplément, le magazine du dimanche de Canal Plus.

Ecoutez le magnifique : "Ah, c'est elle ! C'est une pute !" qui l’accueille :

Paul-Marie Coûteaux, tête de liste du Front National dans le sixième arrondissement de Paris, placé deux rangs plus bas, ne réagit pas.

Ces propos, qui n'ont évidemment plus rien à voir avec de l'analyse des médias mais relèvent, pour les deux premiers, d'apologie de crime contre l'humanité, rappellent certains des propos tenus, le 26 janvier, par les participants à la manifestation Jour de colère, à Paris.

Au cours de la soirée, ce 11 mars, Jean-Yves Le Gallou fait d’ailleurs explicitement référence à cette manifestation, qui a vu se multiplier propos antisémites, quenelles, et mêmes saluts nazis.

Et la salue sans détours :

Bravo à la Manif pour Tous, ou au Printemps français, ou à Jour de Colère, de déplacer des foules immenses malgré le mépris des médias de propagande.

Et là, l’intellectuel théoricien va se mettre à énoncer un discours nettement plus ambigu, distinguant l’attitude qu’il convient d’adopter avec les journalistes "en vrai" et, a contrario, "en ligne".

En ligne, explique-t-il, il convient d'investir les commentaires et les réseaux sociaux de manière polie :

Semons le doute dans le camp adversaire, portons-y la contradiction (…) en intervenant dans les commentaires, ou sur les réseaux sociaux, auprès des médias de propagande. (…) Sans agressivité, ni invective, mais avec des faits, rien que des faits.

Dans la vraie vie, en revanche, pas besoin de prendre des gants, encourage Jean-Yves Le Gallou :

Les journalistes sont malmenés dans les manifs ? Bah … c’est malheureux (rires)

Voilà, vous l’avez compris : dans la vraie vie, le "sans agressivité, ni invective, mais avec des faits, rien que des faits" est oublié, balayé.

A en juger par les commentaires entendus ce mardi, les participants à la soirée ont manifestement bien compris la leçon.

Du rab sur le Lab

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