Macron accusé de "mépris social" pour des propos sur "l’alcoolisme et le tabagisme" dans le Pas-de-Calais

Publié à 16h46, le 14 janvier 2017 , Modifié à 16h29, le 15 janvier 2017

Macron accusé de "mépris social" pour des propos sur "l’alcoolisme et le tabagisme" dans le Pas-de-Calais
Emmanuel Macron © STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

"L’alcoolisme et le tabagisme se sont peu à peu installés dans le bassin minier. Tout comme l’échec scolaire. Il faut traiter cela en urgence afin de rendre le quotidien de ces personnes meilleur." Pour cette phrase, Emmanuel Macron se retrouve, samedi 14 janvier, accusé de "mépris social" par le patron du PCF Pierre Laurent ainsi que plusieurs élus FN, dont le vice-président du parti d'extrême droite, Florian Philippot. Dans la soirée de samedi et la journée de dimanche, des élus de droite et Jean-Luc Mélenchon ont rejoint ce concert de critiques.

Le leader d'En Marche ! était à Nœux-les-Mines dans le Pas-de-Calais, vendredi, pour un déplacement de campagne. Comme le rapporte le site L'avenir de l'Artois, il s'est rendu dans la cité minière du fond de Sains, où il a discuté avec quelques habitants. "Dans quelle situation vivent ces familles ? Pourquoi tant de chômage ?", s'est ainsi interrogé le candidat à la présidentielle, toujours selon le média local. C'est ensuite, estimant que la région Hauts-de-France avait pu être délaissée par "la République" par le passé, qu'il a évoqué "l’alcoolisme, le tabagisme" et "l’échec scolaire" dans "le bassin minier".

Des propos qui ont donc révolté Pierre Laurent, Florian Philippot, mais aussi Steeve Briois, maire FN d'Hénin-Beaumont (où Macron avait aussi organisé un déplacement dans la journée) ou Wallerand de Saint Just, trésorier du FN :

À gauche, l'élue municipale d'opposition (EELV) Marine Tondelier a elle aussi réagi en ces termes :

Pierre Le Texier, membre de "l'équipe digitale" [sic] de la campagne d'Emmanuel Macron et des "jeunes avec Macron", a rétorqué à Florian Philippot que l'ex-ministre ne faisait que pointer une "réalité sanitaire", s'appuyant sur une carte de la consommation d'alcool dans les différentes régions de France montrant un taux "supérieur au reste de la France" dans le Nord (mais pas que) :

Selon l'AFP, Emmanuel Macron avait aussi expliqué : "Ici, une série de difficultés se sont accumulées, la difficulté économique, l’effondrement de la mine (...). Sur cet effondrement il y a eu des problèmes sanitaires et sociaux." "Dans ce bassin minier, les soins se sont moins bien faits, il y a beaucoup de tabagisme et d'alcoolisme, l'espérance de vie s'est réduite, elle est de plusieurs années inférieure à la moyenne nationale", avait-il enchaîné selon l'agence de presse.

D'autres politiques, comme Gérald Darmanin (maire LR de Tourcoing, membre de l'équipe de campagne de François Fillon), Nicolas Dupont-Aignan (candidat à la présidentielle pour Debout La France) ou Jean-Luc Mélenchon ont ensuite embrayé sur cette polémique :

Ce n'est pas la première fois que cette accusation est portée contre l'ancien ministre de l'Économie : il en avait été la cible après ses propos sur les ouvrières "illettrées" de Gad ou sa fameuse sortie sur le "costard".

Allant dans le sens des propos d'Emmanuel Macron sur le Pas-de-Calais, divers travaux scientifiques établissent pourtant la réalité d'une "surmortalité" importante liée aux "conduites addictives" vis-à-vis du tabac et de l'alcool dans cette région. En 2002 déjà, un groupe de travail sur "l'alcoolisation dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais", dont les travaux avaient été publiés par l'ORS (Observatoire Régional de la Santé) du Nord-Pas-de-Calais, écrivait ainsi :

 

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La population du Bassin Minier du Nord-Pas-de-Calais est exposée depuis près de cinquante ans à une crise sanitaire sans équivalent en France. L'un des principaux signes de cette déstabilisation de l'état de santé collectif est l'alcoolisation des hommes, mais aussi des femmes et des jeunes, et plus encore ses conséquences sur l'état de santé des populations. La mortalité à la consommation immodérée d'alcool y atteint deux fois l'indice national, elle peut culminer à six fois la mortalité française dans les secteurs les plus affectés. L'ancienneté de l'installation de ces comportements représente en outre un facteur aggravant incontestable bien qu'il soit patent, par ailleurs, que les modes de consommation de boissons alcooliques tendent à évoluer rapidement depuis ces dix dernières années.

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En 2015, l'Atlas Régional et Territorial de la Santé produit par l'Agence Régionale de Santé (ARS) confirmait l'importance sanitaire des "conduites addictives concernant l’alcool et le tabac" dans le Nord-Pas-de-Calais :

 

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Le Nord-Pas-de-Calais est une région particulièrement touchée par les problématiques liées aux addictions. Les conduites addictives concernant l’alcool et le tabacassociées à des pratiques et à des déterminants socioéconomiques et culturels non favorables, induisent une surmortalité et une vulnérabilité accrues de la population régionale.

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Un rapport de la Mission Bassin Minier Nord-Pas-de-Calais daté de 2013 et repéré par Le Huffington Post pointait lui aussi "d’importants retards en matière de santé" dans la région, illustrée par la plus importante "surmortalité" de France. On pouvait y lire que "le nombre de décès est supérieur de 29 % chez les hommes et de 21 % chez les femmes" par rapport au reste de la France. Le rapport établissait clairement, lui aussi, une causalité avec l'alcoolisme, le tabagisme ou encore le diabète :

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La surmortalité est la plus nette pour les décès liés à l’alcoolisme : leur nombre est supérieur de 87 % chez les hommes et 138 % chez les femmes à ce que l’on aurait observé dans le Nord-Pas-de-Calais si la mortalité y était la même qu’en France. La surmortalité régionale est également très élevée pour les décès liés au tabagisme et, chez les femmes, au diabète.



Les hommes sont décédés plus souvent que les femmes d’un cancer (34% des décès pour les hommes contre 24 % pour les femmes). Leurs décès sont plus fréquemment dus à des maladies liées à l’alcool et au tabac. Chez les femmes, les décès sont plus fréquemment causés par une maladie cardiovasculaire (31 % chez les femmes contre 24 % chez les hommes).

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Concernant l'échec scolaire, il semble que là aussi, le ministre soit dans le vrai. En 2014, le ministère de l'Éducation nationale publiait pour la première fois une carte des "zones à risque d’échec scolaire" suivant plusieurs critères (chômage, diplôme des parents...). Le Nord et le Pas-de-Calais figuraient parmi les territoires les plus touchés. 

[Edit 15/01]

Dans la soirée de samedi, En Marche ! a publié un communiqué justifiant les propos de son leader. Emmanuel Macron "ne retire pas un mot de ce qu'il a dit" et "note que la coalition des bien-pensants va de l'extrême-gauche à l'extrême-droite, utilisant de manière indifférenciée les mêmes déformations et les mêmes caricatures", est-il écrit. Le candidat ajoute :

 

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Je trouve déplorable et malsain le choix de sujets aussi graves pour polémiquer.

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