Le grand n'importe quoi de certains élus sur la "cellule de sport" de Salah Abdeslam

Publié à 11h57, le 05 juillet 2016 , Modifié à 10h20, le 06 juillet 2016

Le grand n'importe quoi de certains élus sur la "cellule de sport" de Salah Abdeslam
François Fillon, Gilbert Collard et Nicolas Dupont-Aignan © Montage Le Lab via AFP

INDIGNATION POUR TOUS - Le député LR Thierry Solère a réussi son coup en révélant, dans Le JDD dimanche 3 juillet, que Salah Abdeslam disposait d'une "cellule de sport" réservée à son usage personnel, dans le quartier de la prison de Fleury-Mérogis où il est placé à l'isolement. L'élu des Hauts-de-Seine s'en est "étonné" auprès du ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas, dans un courrier révélé sur Twitter, souhaitant connaître "les raisons et motivations" d'une telle décision. Il s'indigne parallèlement de la surpopulation carcérale qui conduit, dans le même temps, d'autres détenus à dormir sur des matelas à même le sol.

Forcément, ces informations sur les conditions de détention du seul auteur survivant des attentats du 13 novembre ont fait réagir de nombreux politiques. Certains sont illico montés dans les tours, criant au scandale absolu, dénonçant une "insulte" faite aux victimes des attentats du 13 novembre, s'indignant de cet usage des impôts des Français, etc., etc. C'est le cas, pêle-mêle, de François Fillon, Nicolas Dupont-Aignan ou Gilbert Collard. Avec beaucoup trop de précipitation et d'émotion, puisque tout ou partie de leur argumentaire a rapidement été invalidé.

D'autres élus, visiblement plus connaisseurs des dossiers pénitentiaires, ont en revanche rappelé une toute petite chose : il s'agit là de la stricte application du droit français, tout particulièrement des règlements de l'administration pénitentiaire. En accord, au passage, avec des exigences liées au respect des Droits de l'homme. Rachida Dati et Georges Fenech ont été de ceux-là.

Allez, on récapitule ces 48 heures de grand n'importe quoi.

[Edit 05/07 : mardi soir, l'avocat de Salah Abdeslam a indiqué vouloir porter plainte contre Thierry Solère, l'accusant d'"atteinte à la vie privée". En cause : des propos du député racontant ce qu'il a vu via les caméras de surveillance de la cellule : le terroriste présumé fait sa prière, s'habille, etc. "Monsieur Solère raconte ce que Salah Abdeslam fait dans sa salle de bain, il ne manquerait plus qu'il nous raconte ce qu'il fait dans ses toilettes. Je trouve ça indécent", s'indigne Me Franck Berton]

# Ce dont on parle

"J'ai été très étonné de constater qu'une cellule avait été transformée en salle de sport, et encore plus étonné d'apprendre que son usage était exclusivement réservé à cet individu", écrit Thierry Solère dans sa missive à Jean-Jacques Urvoas. Si Salah Abdeslam bénéficie seul de cet équipement, la description qui en est faite semble un poil exagérée.

D'abord, il ne s'agit pas d'une salle de sport en tant que telle, mais d'une cellule dans laquelle est installé un rameur. "Un autre équipement de musculation est commandé", précisait Le JDD. Mais comme le rappelle Delphine Boesel, avocate et présidente de l'Observatoire international des prisons,  auprès de L'Express :

 

"

Toutes les personnes placées à l'isolement ont à leur disposition une cellule aménagée dans laquelle ils ont accès la plupart du temps à un rameur, voire un vélo. Du matériel, en général, pas de très bonne qualité.

"

Une "source pénitentiaire" affirme par ailleurs à l'hebdomadaire que cette cellule aménagée "n'a pas été crée spécifiquement pour" Salah Abdeslam.

Le ministère de la Justice rappelle quant à lui que l'accès à une activité physique est un droit des détenus en France, et que "l’isolement n’est pas une mesure disciplinaire. Par conséquent, les personnes détenues placées au quartier d’isolement conservent l’intégralité de leurs droits [...] et peuvent donc bénéficier d’une salle de sport". Pas plus tard que ce 8 juin, le ministère publiait d'ailleurs sur son site un texte intitulé "le sport en détention" et qui précisait : "Conformément à l’article 27 de la loi pénitentiaire, l’administration pénitentiaire propose aux personnes détenues des activités sportives dans le but notamment de les aider à se réinsérer."

Samia Maktouf, avocate de familles de victimes des attentats du 13 novembre, a de son côté approuvé ce respect des règles de droit y compris pour un terroriste. Citée par BFMTV, elle dit : "Pour faire face à la barbarie que ces terroristes essaient de répandre dans notre démocratie, c'est une réponse."

# Les élus qui s'en indignent

Thierry Solère explique sur France Inter ce mardi ne pas être "parti en croisade" sur ce sujet. Mais ce qui l'a motivé est surtout le choc de la comparaison entre l'accès à cet équipement sportif et les conditions de détention dans des prisons surpeuplées. "Quand vous avez une prison qui est deux fois plus remplie que prévu, croyez-moi, les détenus, ils ont pas accès au sport. Ils ont même pas accès à un vrai lit, les détenus en ce moment. Ils ont un matelas par terre. Alors vous voyez, moi je veux bien qu'on me donne la vérité en me disant : 'Ah, il est prévu qu'on puisse faire du sport'. La vérité, c'est qu'aujourd'hui à Fleury-Mérogis, quand vous êtes incarcéré, la salle de sport vous la voyez jamais."

D'autres responsables politiques sont beaucoup plus virulents et révoltés par cette idée de "salle de sport".

>> Nicolas Dupont-Aignan

Le président de Debout la France, qui rappelons-le propose d'envoyer les djihadistes dans un bagne aux îles Kerguelen à défaut de pouvoir rouvrir celui de Cayenne, est certainement le plus outré de tous. Jugez plutôt avec cette grosse colère signée "NDA" sur BFMTV ce mardi :

 

"

On croit rêver. On croit RÊVER. Ah, ça me révolte. Ça me révolte. Quelqu'un qui a participé aux attentats, à qui finalement on fait la vie douce - il regarde la télé, il a une salle de sport - mais où on vit ? Je ne demande pas la loi du Talion mais je demande, quand même, la mise devant ses responsabilités de l'individu. Mais c'est pour moi une insulte aux victimes. Sincèrement, je suis révolté de ce que j'entends. Je suis révolté. [...] Surtout ça prouve un dérègelement mental des dirigeants de la pénitentiaire. Parce que considérer qu'un terroriste peut avoir ce type de services, ça me paraît scandaleux. Les prisons doivent être fermes, doivent être respectueuses de la dignité humaine, mais pas non plus tomber dans ce qu'on voit aujourd'hui dans nos prisons.

"

>> Gilbert Collard

Avocat de profession et commentateur ultra-réactif de la moindre actualité à potentiel polémique, le député RBM du Gard y est allé de son petit tweet de protestation, lundi, s'exclamant :

 

"

Salah Abdeslam bénéficie d'une salle de sport privée en prison : ce pouvoir se fout vraiment de notre gueule et de nos impôts !

"

>> François Fillon

Le même jour, c'est l'ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy qui se disait "profondément choqué" par ces révélations. "Il doit avoir le traitement minimal. Il n'y aucun raison de lui faire la moindre faveur, de lui donner le moindre confort", estimait le député de Paris, qui ajoutait :

 

"

Il doit être dans sa cellule, enfermé dans sa cellule. Il doit être protégé parce qu'il faut éviter qu'il mette fin à ses jours car il faut que ce jugement puisse avoir lieu, notamment pour les victimes, mais c'est tout. C'est tout. Franchement. Qui a eu cette idée de lui donner une salle de sport privée ? Ça met en colère les Français, ça met en colère les familles des victimes. C'est incompréhensible.

"

>> Éric Ciotti [Edit 06/07]

Sur iTélé ce mercredi, le député LR et aspirant ministre de l'Intérieur de Nicolas Sarkozy en cas de victoire en 2017 en a remis une couche :

"

Thierry Solère fait son travail [...]. Il a dénoncé une situation qui lui paraît illégitime et je m'associe à son analyse. Faire une salle de sport en prison pour Abdeslam aux frais du contribuable, pour lui tout seul dans une cellule isolée, cela me paraît extrêmement choquant et c'est quelque chose qu'on ne peut pas comprendre.



[...] Pourquoi lui, pourquoi une salle unique ? Parce qu'il doit être à l'isolement mais il a un traitement qui peut paraître inconsidérément privilégié, ça choque, voilà.

"

# Les élus qui rappellent les bases

C'est le député LR Georges Fenech qui, le premier, est venu tenter de calmer les esprits. Sur BFMTV lundi soir, cet ancien magistrat a expliqué :

"

Thierry Solère a joué son rôle de parlementaire, il a été visiter cette prison, mais il connaît peut-être pas les prisons comme j'ai pu les connaître, parce qu'en tant qu'ancien magistrat, je connaissais cette question pénitentiaire. En réalité, c'est le règlement qui s'applique. À partir du moment où un détenu particulièrement signalé est à l'isolement - on parle bien d'isolement -, il doit être totalement isolé. C'est la raison pour laquelle il a une cellule individuelle, il a le droit aussi à la promenade et à l'entretien physique, c'est des règlements qui le prévoient, il y a des conditions de dignité hein, des conditions de détention.



Il y a une cellule effectivement, dans laquelle il y a des instruments de sport. Alors ça peut paraître choquant pour l'opinion [...], c'est l'application du règlement. À partir du moment où un individu est isolé, il a un certain nombre de droits qu'une démocratie doit respecter.

"

Quant au fait de savoir pourquoi Salah Abdeslam ne pourrait pas "partager" cette cellule avec d'autres détenus, il a précisé : "Parce que quand vous avez un régime de détention qui est l'isolement - ça n'est pas la mise à l'écart, l'isolement ça veut dire aucun contact, c'est une décision du juge qui décide de l'isolement parce qu'il y a des nécessités de l'isoler."

Rachida Dati, sur la même antenne, lui a emboîté le pas. L'ex-ministre de la Justice a au passage glissé un bon vieux scud à François Fillon :

"

Moi je suis très surprise par les propos de parlementaires, François Fillon est parlementaire, ils découvrent l'état et la réalité des prisons. Moi je voudrais savoir s'il est déjà allé dans une prison. Pas pour voir une inauguration ou une construction. Pour voir des conditions de détention. [...] On devrait avoir du respect pour le personnel pénitentiaire.



Nous avons en France, dans nos prisons de droit commun, des détenus très dangereux et particulièrement à surveiller. Pour ces détenus-là, comme on n'a pas de prison comme au Canada ou en Suède, des prisons sécurisées, adaptées pour ces profils, nous sommes obligés de les mettre à l'isolement. Pour ces détenus, que ce soit Abdeslam ou d'autres, on les met à l'isolement avec une procédure de détention adaptée parce que l'administration pénitentiaire, elle fait avec les moyens qu'on lui donne.



[...] On lui a mis quoi ? Un rameur et un vélo. Ce que m'ont dit les surveillants, c'est effectivement qu'il ne s'en sert même pas, il fait du sport dans sa cellule, il ne sort pas, il est quasiment sur lui-même.

"

Et l'ancienne garde des Sceaux de réclamer la mise en service de "centres spécialisés pour les détenus radicalisés". "Ça fait deux ans que ça a été annoncé" par le gouvernement, a-t-elle fustigé.

[BONUS TRACK]

Dans un autre style, la secrétaire d'État chargée de l'Aide aux victimes n'a... tout bonnement pas cru ces informations concernant la détention de Salah Abdeslam. Sur Europe 1 ce mardi matin, Juliette Méadel a en effet mis en doute le récit de Thierry Solère :

 

"

D'abord, je ne suis pas certaine que ces informations aient été vérifiées, sur le fait qu'il ait accès à une salle de sport, enfin peu importe. [...] Franchement, d'abord il faut le vérifier, je ne suis pas du tout certaine de ça, il est mis à l'isolement.

"

La secrétaire d'État a aussi appelé à "protéger les victimes".

Du rab sur le Lab

PlusPlus