Faut-il montrer l'ennemi au risque de lui donner une postérité espérée ? Faut-il diffuser les photos des terroristes pour mieux cerner leurs profils, regarder l'adversaire dans les yeux, le connaître, l'identifier ? Ou faut-il au contraire taire leurs identités afin de laisser ces individus dans un néant dont ils n'auraient jamais dû sortir ?
La question est sensible. Plusieurs médias, dont Le Monde et BFMTV, ont décidé, après l'attentat perpétré à Saint-Étienne-du-Rouvray, de plus diffuser les visages des auteurs d'attaques terroristes . "Ni Le Monde ni BFM-TV ne veulent renoncer à donner les noms des auteurs d’attentats", précise le quotidien ce mercredi 27 juillet.
Europe 1 a pour sa part décidé de ne plus citer les noms des terroristes à l'antenne.
Cette procédure est souvent de mise aux États-Unis. Après l'attentat dans un club gay d'Orlando, en juin dernier, le journaliste-star de CNN Anderson Cooper avait par exemple refusé de prononcer le nom de l'assaillant , préférant parler des 49 personnes ayant perdu la vie parce qu'elles avaient décidé de danser ce soir-là.
Certains saluent ce geste destiné à ne plus promouvoir les auteurs d'attentats. C'est le cas de certains élus de droite comme les deux candidats à la primaire Hervé Mariton et Geoffroy Didier , ou encore Roger Karoutchi, Bruno Retailleau et Valérie Boyer. Des personnalités que l'on peut difficilement accuser de faire partie de la frange centriste du parti Les Républicains.
Stop à la glorification des barbares. Plusieurs médias ne diffusent plus de photos. En phase avec ma saisine du #CSA avec 50 parlementaires
— Hervé Mariton (@HerveMariton) 27 juillet 2016
Bonnes idée des médias de ne plus publier de photos ou de noms des barbares islamistes pour éviter tout vedettariat de l'horreur.
— Bruno Retailleau ن (@BrunoRetailleau) 27 juillet 2016
Merci aux médias qui acceptent de ne plus donner l'identité,de ne plus diffuser les photos des terroristes..Qu'ils restent dans l'anonymat!
— Roger KAROUTCHI (@RKaroutchi) 27 juillet 2016
Sage décision, @BFMTV et la plupart des médias refusent désormais de diffuser le portrait des #terroristespic.twitter.com/4LaNTBog7H
— Valérie Boyer ن (@valerieboyer13) 27 juillet 2016
D'autres en revanche s'inquiètent de l'inutilité d'une telle mesure et craignent, à l'image de plusieurs journalistes spécialistes de Daech, qu'elle ne soit :
1) Inefficace face aux autres medium d'informations
2) De nature à alimenter les thèses complotistes
En revanche, une auto-censure des medias dans le traitement des attentats pourrait favoriser déni et complotisme https://t.co/CgvkuuOqTR
— David Thomson (@_DavidThomson) 27 juillet 2016
L'effet pervers de cette anonymisation des terroristes c'est qu'au final il ne restera que leurs "noms de guerre" donnés par la jihadosphère
— Romain Caillet (@RomainCaillet) 27 juillet 2016
Le débat sur la non publication des identités et photos des terroristes part d'un constat strictement psychologique qui occulte la réalité
— Wassim Nasr (@SimNasr) July 27, 2016
Le Front national, pour sa part, a choisi.
À en croire les déclarations de plusieurs cadres ce mercredi 27 juillet, le parti d'extrême droite est clairement opposé à cette décision d'anonymiser les terroristes. L'un des premiers à réagir est Florian Philippot qui, sur Twitter, dénonce une "réflexion de ringards qui ne connaissent pas l'existence d'Internet et des réseaux sociaux".
"Anonymiser les terroristes" : réflexion d'autruches et/ou réflexion de ringards qui ne connaissent pas l'existence d'Internet et des RS...
— Florian Philippot (@f_philippot) 27 juillet 2016
Il a été suivi peu de temps après par Stéphane Ravier, sénateur-maire de Marseille qui, diffusant une photo d'autruche la tête dans le sable, s'émeut que, selon lui, "certains médias décident donc que les Français n'ont pas le droit de savoir".
Anonymiser les terroristes: certains médias décident donc que les Français n'ont pas le droit de savoir. Inquiétant. pic.twitter.com/hjSYy9jqm5
— Stéphane Ravier (@Stephane_Ravier) 27 juillet 2016
Pour l'eurodéputée FN Sophie Montel, "les bisounours [les médias, ndlr] ont du mal à accepter le réel" et "suivent l'appel de BHL". L'écrivain avait en effet, comme d'autres, publié un appel dans ce sens mardi.
Le Monde et BFMTV suivent l'appel de @BHL et ne publieront plus de photos des terroristes. Les bisounours ont du mal à accepter le réel...
— Sophie Montel (@Sophie_Montel) 27 juillet 2016
Certains frontistes parlent de "censure", Robert Ménard, comme Florian Philippot, estime que "les réseaux sociaux prendront le relais". "La vérité n'est plus à la télé !", ajoute le maire de Béziers élu avec le soutien du FN et qui fut, à une autre époque, président de Reporters sans frontières.
#Kermiche#StEtienneduRouvray
— Robert Ménard (@RobertMenardFR) 27 juillet 2016
Les réseaux sociaux prendront le relais. La vérité n'est plus à la télé !https://t.co/cVfLudtbB0
Marion Maréchal-Le Pen y voit, elle, une manœuvre pour "cacher le lien" du terrorisme islamiste "avec l'immigration".
Les médias annoncent l'auto-censure des noms et photos des terroristes islamistes : pour mieux cacher le lien avec l'immigration ?
— Marion Le Pen (@Marion_M_Le_Pen) 27 juillet 2016
À travers les messages, il s'agit donc bien, pour certains élus frontistes, de cibler une nouvelle fois les médias et pour quelques-uns, de les dénigrer. Et de promouvoir, même indirectement, d'autres moyens d'*information* tel que le blog d'extrême droite FdeSouche.
La même question s'était posée en décembre dernier quand, après avoir cru entendre Jean-Jacques Bourdin faire un lien entre Daech et le FN (il avait parlé de "liens indirects" en se référant au "repli identitaire" portés l'un et l'autre), Marine Le Pen et Gilbert Collard avait diffusé des photos d'exécutions . Montrer ces images, était-ce faire le jeu de la propagande de l'organisation terroriste ? La présidente du FN avait répondu par la négative, expliquant qu'il était "manifestement bon de leur rappeler les atrocités de Daesh pour qu'ils [les journalistes, ndlr] prennent conscience de l'énormité de leur comparaison".