BACK TO 1944 - Le 21 avril 1944 parait une ordonnance portant sur l'organisation des pouvoirs après la Libération et signée par le général de Gaulle. A l'intérieur, l'article 17 qui donnera pour la première fois aux femmes françaises le droit de vote et d'éligibilité. C'est un petit mois plus tôt que tout s'est joué, lors d'un débat au sein de l'Assemblée consultative provisoire.
Que s'est-il dit ce jour-là ? Le Lab revient sur le débat du 24 mars 1944.
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Les échanges sont courts. Le principe même de faire voter les femmes a déjà été débattu par le passé, la Chambre des députés ayant déjà adopté des projets de loi en ce sens à six reprises avant 1936 ... avec obstruction systématique du Sénat. Le 24 mars 1944, le communiste Frenard Grenier présente un amendement, une sorte de "porte dérobée" pour le droit de vote des femmes.
Le débat oppose alors ceux qui prônent un vote "immédiat" des femmes, dès les élections provisoires qui doivent se tenir dans les mois suivant, et ceux qui refusent de les voir voter si rapidement.
Les opposants vont faire valoir deux types d'arguments :
1 - Un vote "déséquilibré"
Certains mettent en avant le fait que la société de l'après-guerre compte plus de femmes que d'hommes, et que les réfugiés, prisonniers et déportés ne seront pas encore là pour voter. D'où le "déséquilibre".
Le président de la Commission lance ainsi :
Il est établi qu'en temps normal les femmes sont déjà plus nombreuses que les hommes. Que sera-t-il à un moment où les prisonniers et déportés ne seront pas encore rentrés ? Quels que soient les mérites des femmes, est-il bien indiqué de remplacer le suffrage universel masculin par le suffrage universel féminin ?
Albert Darnal s'étonne de cet argument :
Je m'étonne pour ma part qu'on ait soulevé cet argument de déséquilibre. Est-ce à dire que les femmes françaises sont des déséquilibrées ? (...) La Résistance a dit que nous avions résisté avec nos femmes et nos filles. Pourquoi alors les femmes n'apporteraient-elles pas leur concours intellectuel comme elles ont donné leur concours physique ?
2 - Les risque de fraudes sur les listes électorales
Autre argument avancé, d'ordre procédural lui-aussi : les élections provisoires approchent et les listes électorales ne sont pas prêtes. Le président de la Commission, toujours lui, avance ainsi :
Si l'on admet les femmes à voter aux premières élections qui suivront la Libération, on ouvre la porte à toutes sortes de fraudes et d'irrégularités dans cette période incertaine qui accompagnera les premières consultations populaires.
D'autres lui répondent qu'il s'agit d'un faux problème et que l'établissement des listes dépendra de la bonne volonté des communes. Louis Vallon fait alors remarquer que des prétextes procéduraux sont toujours trouvés pour retarder la mise en place du droit de vote féminin :
Je retrouve dans ce débat les traditions de l'ancien Parlement français dans ce qu'elles avaient de plus détestable. A maintes reprises, le Parlement s'est prononcé à la quasi unanimité pour le principe du vote des femmes, mais, chaque fois, l'on s'est arrangé par des arguments de procédure pour que la réforme n'aboutisse pas. Ces petits subterfuges doivent cesser ; il faut parfois savoir prendre des risques.
L'amendement sera finalement adopté par 51 voix contre 16 sur 67 votants. Les femmes pourront voter lors des élections législatives du 21 octobre 1945 qui installeront une assemblée constituante.