Delphine Batho en a gros. En tant qu'ancienne ministre, elle a été un témoin privilégié des rouages du pouvoir et de la décision politique. Et au-delà de la "collusion avec les lobbies au plus haut sommet de l'État", sujet principal de son livre Insoumise (Grasset), et de sa démission forcée dont elle procure un récit très détaillé, certaines pratiques l'ont révoltée.
C'est le cas de "la liste", titre d'un petit chapitre de son ouvrage consacré à la gestion du dossier Notre-Dame-des-Landes par le gouvernement. Un dossier "tellement hypersensible" qu'il était "directement géré par Matignon, non sans une certaine fébrilité", écrit Delphine Batho. D'autant plus que le Premier ministre d'alors et ancien maire de Nantes, Jean-Marc Ayrault, était l'un des porteurs du projet.
Certainement soucieux du traitement médiatique du projet d'aéroport et de la contestation dont il faisait l'objet, les communicants de Matignon ont ainsi, selon l'ancienne ministre, tenu une liste nominative de journalistes, en fonction de leurs "supposées positions personnelles" sur le sujet.
Voici ce qu'écrit Delphine Batho :
"L'équipe de communication de Matignon était également mobilisée. En réunion interministérielle, ces petits apprentis sorciers ont distribué un jour une note intitulée "Positions des journalistes sur NDDL". Ce n'était pas une note d'analyse du traitement médiatique du dossier, mais bien une liste répertoriant les journalistes selon leurs supposées positions personnelles.
"
Elle poursuit ses révélations, expliquant que "les journalistes de la presse nationale et régionale travaillant sur Notre-Dame-des-landes étaient nominativement regroupés en trois catégories". Elle ne donne pas leurs noms, mais indique les médias pour lesquels ils travaillaient à l'époque :
"- "Les neutres", parmi lesquels on trouvait par exemple l'AFP, Le Parisien, Presse Océan, un journaliste des Échos mais aussi Ouest-France dont "la rédaction est soulagée d'avoir quelqu'un de plus nuancé" ;
- "Ceux qui sont contre ou manifestent des sympathies pour les 'zadistes' [opposants regroupés sur la "Zone À Défendre", ndlr]", chapitre dans lequel étaient rangés Le Télégramme de Brest, un autre journaliste des Échos, Sud-Ouest, deux journalistes de Libération, et trois journalistes du quotidien Le Monde qui 'se font le relais de tous les anti-NDDL' ;
- "Les favorables au projet", où l'on retrouve Challenges, Le Point, Le Nouvel Observateur, France Info, France 3 Pays de la Loire...
"
Conclusion cinglante de Delphine Batho :
"Je ne sais pas si cette liste doit être mise sur le compte de l'excès de zèle, de la bêtise, ou d'un symptôme plus préoccupant.
"
L'ex-ministre n'explique donc pas s'il s'agit d'une initiative personnelle ou isolée au sein de l'équipe de Jean-Marc Ayrault, ou bien du respect d'une consigne donnée par la hiérarchie. Elle ne précise pas non plus la période à laquelle cette liste a été diffusée en réunion interministérielle. Delphine Batho a été ministre de l'Écologie de juin 2012 à juillet 2013.
D'après Daniel Cohn-Bendit, le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes serait définitivement enterré. L'ancien eurodéputé écologiste relatait, le 27 août lors de sa chronique sur Europe 1, une phrase de Manuel Valls à Jean-Vincent Placé, patron des sénateurs EELV, censée convaincre les Verts de rejoindre le gouvernement lors du dernier remaniement :
"Eh bien écoute cet aéroport on ne le fera pas, il est trop cher, il est d'un autre temps, mais on ne peut pas le dire publiquement aujourd'hui parce que je ne peux pas froisser mon prédécesseur Jean-Marc Ayrault.
"
Des propos que Jean-Vincent Placé, joint par Le Nouvel Observateur, n'avait pas souhaité commenter.