On connaissait Christophe Barbier le directeur de l'Express, amateur de théâtre. Voici désormais l'acteur au cinéma. L'homme à l'écharpe rouge va jouer dans un film politique écrit par sa femme, Yamini Lila Kumar, déjà tourné et actuellement en montage.
Le film raconte l'histoire de la gauche, de 2006 à 2012, à travers deux couples. Un journaliste, avec une comédienne, et un sondeur, avec une historienne. "Nos vies bien françaises ne cessent de mêler l’intime et le politique", écrit l'épouse de Christophe Barbier dans son journal de tournage*.
Dans Doutes, le directeur de l'Express tient le rôle du sondeur. "L'idée était de trouver un personnage a égale distance entre la droite et la gauche. Sur lequel on puisse aussi douter, surtout au niveau des ses préférences politiques", explique au Lab Christophe Barbier. Une production révélée par le trimestriel Charles, dans le numéro à paru mercredi 10 octobre.
A ses côtés, Benjamin Biolay, qui tient pour la première fois un rôle dans un film politique. Sympathisant socialiste, il avait affiché son soutien à François Hollande pendant la campagne présidentielle. Avec les deux hommes, Lara Guirao et Suliane Brahim, pensionnaire de la Comédie-Française.
"La politique fournit toutes les scènes. Les personnages vivent la défaite à la présidentielle de 2007, le congrès de Reims en 2008 et l'affaire DSK, par exemple", raconte l'éditorialiste qui tient là son premier rôle dans un film, qui devrait être diffusé en cinéma.
Le film est co-produit par Yamini Lila Kumar et par Toloda, société de production de Jean-Marc Barr et Pascal Arnold. Ce dernier confirme au Lab que le film en est actuellement au stade du montage et aucun calendrier n'est encore fixé. Seule certitude : le film sera prêt fin mars. Au niveau des distributeurs, les producteurs réservent encore leur choix.
Est-ce plus difficile de faire un film politique, que tout autre production ? "Pas vraiment", répond Pascal Arnold. Pour le producteur, ce qui est compliqué c'est "de ne pas faire une comédie". Mais "ce film est atypique, et il y a toujours des gens attentifs à ce que ces films puissent se faire", se réjouit-il.
Pour la réalisatrice, ce film "n’est, à proprement parler, ni un documentaire, ni une fiction, ni un work in progress, mais tout cela à la fois, une œuvre hybride qui questionne l’actualité politique, l’avenir de la gauche, les codes de l’illusion cinématographique, les ficelles de la comédie dramatique, les relations de couple, les liens amicaux des hommes entre eux et des femmes entre elles".
Les premières images du film, par Yann Revol :
Extrait du scénario de Doutes, dont l'intégralité paraît en librairie lundi 11 octobre dans le n°50 de La Règle du jeu :
12 – Hôtel Les Crayères – 17 novembre 2008 – 08h35
Une table de petit déjeuner est dressée. Autour d’elle, Albertine, Judith et Chris.
Judith : Il n’a pas dû dormir beaucoup cette nuit.
Albertine : J’étais déjà sous la douche quand il a débarqué dans la chambre.
Chris : Crois-tu qu’il pourra nous indiquer un petit « trend » ?
Albertine : Je ne sais pas … Elle se lève … Je vais chercher un toast. Vous voulez quelque chose ?
Judith, levant la tête de son Journal du Dimanche : Tu m’apporterais un croissant ?
Chris : Rien pour moi, merci. Je voudrais juste qu’on me serve deux trois litres de café. Les filles, on a trop bu de champagne hier soir et en plus, moi, ces satanés congrès, ça me coupe l’appétit à chaque fois.
Judith : Pourquoi, mon cœur ? Tu regardes ça avec distance, non, comme tout dans la vie, y compris la politique ?
Chris : Les congrès, quel que soit le parti, me mettent face à une configuration particulière dans mon métier. Je n’ai pas de sondage sous le coude, pas de chiffres, pas de tendances, pas de point de comparaison. En somme, rien à quoi me raccrocher.
Judith : Mais tu as bien une idée des rapports de force …
Chris : Pas tout à fait, mon amour. Tout est très bizarre, l’opinion n’a rien à voir là-dedans. L’issue est entièrement déterminée par un nombre restreint d’individus. Il y a ces tractations en coulisses …
Albertine, qui revient avec toasts et croissants : On parle théâtre ?
Chris : Oui, oui, c’est presque ça. Un théâtre d’ombres, celui de nos amis socialistes. Paul nous en dira certainement plus tout à l’heure : il a passé la nuit à courir de l’un à l’autre, non ?
Judith : Tiens, voilà le marathonien …
Paul : Salut, les gars.
Chris : Bonjour, camarade.
Paul, en s’asseyant : Oh merde, quelle excitation !
Albertine : C’est tout ce que tu aimes, hein, ces ambiances de conspiration ?
Paul : Je suis à fond. J’ai le sentiment d’être au cœur du truc, qu’il se passe vraiment quelque chose.
Chris : C’est un moment où se révèlent les personnalités …
Pau : Tu l’as dit. Là, comme clou de la soirée, on a eu la grosse crise de nerfs de Delanoë.
Albertine : Qu’est-ce qui s’est passé ?
Paul, frénétique : D’abord, pas de majorité claire. Hamon, le petit paon, veut se maintenir. Martine le soutient dans un premier temps, mais Bertrand, lui, s’y oppose avec virulence. A 23 heures, on pensait que ça allait se finir par un duel Hamon-Royal, mais finalement au petit matin, coup de théâtre, c’est Martine qui s’affirme pour combattre Ségolène.
Albertine : J’y comprends rien.
Paul : Comme moi au théâtre, ma chérie.
Chris : Ce qu’il faut comprendre, c’est que la réélection très facile d’Aubry à la mairie de Lille a renforcé sa popularité[] et lui a permis de monter en puissance jusqu'à la présentation de sa motion[]. Comme aucune majorité ne s’est dégagée, on peut penser qu’elle a cru à sa chance et a voulu la pousser jusqu’au bout de sa logique.
Judith : Moi, je vois rien de logique à ton histoire. Ou plutôt si, je vois tout un jeu de faux semblants.
Paul : Franchement non, Judith. Tu vas voir. C’est Martine qui va déposer sa candidature tout à l’heure. Ils vont d’ailleurs reculer l’heure limite pour lui laisser le temps. Et on va avoir un beau duel de femmes. Pour une fois.
Albertine : Purée, Judith, tu dois être aux anges …
Judith : C’est pas le problème. Même si, comme on dit maintenant, il faut y voir un signal hyper fort.
Chris : C’est tout de même crucial de savoir qui tiendra les rênes du parti.
Judith : Seulement, je ne crois pas qu’en l’état du parti, ça changera quoi que ce soit. Regardez : la gauche gagne les cantonales et les municipales et hop, le tour de passe-passe habituel. On est les meilleurs, les gars. Le peuple a compris très vite son erreur de 2007. Donc pas de remise en question, pas d’ouverture de chantier, pas de réflexion, juste de la politicaillerie et des égos à gogo.
Albertine : Tu es vachement sévère, Judith. L’histoire démocratique, ce n’est que ça, non, des revirements d’opinion. Un peuple a le droit de changer d’avis.
Judith : Mais les hommes et femmes d’Etat n’ont pas le droit de le flouer. Et puis, ne faites pas semblant. Vous savez bien que l’histoire se joue ailleurs. Elle s’écrit à Washington et l’idée, c’est de temporiser jusqu’à ce que Strauss-Kahn annonce sa décision de se présenter en 2012.
Chris : Tu sautes quelques étapes, mon amour.
Judith : Je ne suis apparemment pas la seule à sauter !
Paul : Tu ne t’alignes jamais, ma Judith, sauf sur le niveau ultra médiocre des blagues de ton mari.
Chris : Je dois admettre que l’allusion était excellente. Je suis très fier de ma femme.
Albertine, qui minaude : Même moi j’ai compris.
Paul : Les gars, c’est vraiment très bas comme attaque.
Judith : Tu ne peux pas prendre cette remarque pour une attaque, alors qu’elle est fondée sur des faits, et des faits précis. Ton Dominique arrive au FMI, et tout de suite il se fait pincer avec une collaboratrice hongroise.
Paul : Enfin, merde, ça, c’est sa vie privée ; ça les regarde, Anne et lui, personne d’autre.
Chris : Bon, il se trouve quand même aux Etats-Unis, et il a malgré tout un rapport hiérarchique avec la fille.
Paul : Je dois vous dire un truc. Dominique est maladroit. Si tu le connaissais d’aussi près que moi, Judith, tu saurais que c’est un type sans arrières pensées, direct, franc du collier. Il s’entiche d’une nana et il ne s’embarrasse pas des convenances.
Judith : Super !
Paul : Pas la même génération que nous, les amis. Eux, ils ont conquis la liberté sexuelle, ils ont vécu la frénésie des seventies. Justement, pas d’hypocrisie.
Judith : Donc, c’est pas un vieux dégueu, juste un libertin, un genre de Catherine Millet au masculin, avec le talent d’écriture en moins.
Paul : Si tu veux. Sauf qu’il a un putain de talent d’économiste. Et l’envergure d’un chef d’Etat.
Chris, mimant une forme de bonhomie physique : Pour avoir de l’envergure, c’est sûr qu’il en a !
Albertine : Ben, il est séduisant, c’est vrai. On sent une véritable intelligence.
Judith : Ah, parce que tu sens ça, toi.
Albertine : Oui, je l’ai croisé et je l’ai trouvé … comment dire … magnétique.
Paul : Oui, oui, à son contact, on ressent cette impression. Homme ou femme, c’est cette force d’attraction qui frappe tout de suite.
Albertine : En plus, il est venu de façon si charmante nous saluer dans les loges. Tu te souviens, Paul ?
Paul : Evidemment, je l’ai accompagné après la représentation. Il était de passage à Paris, il m’a donné une interview, je lui ai proposé cette petite distraction et il a accepté. Il a adoré la pièce et il a voulu remercier toute la troupe pour la formidable soirée que vous lui aviez fait passer.
Albertine : Tu aurais détesté, Judith. Encore un de ces Guitry à Edouard VII où je fais la dinde.
Judith : Tu en es où de ta tournée ? Vivement qu’elle se termine que je puisse te voir jouer autre chose qu’une pièce de phallocrate.
Albertine : Encore un petit mois dans ce joli rôle de gallinacée et je reviens à un théâtre plus contemporain, Judith. Je vais dire le texte de La Douleur.
Judith : Là, tu pourras compter sur nous.
Chris : Et si je n’aimais pas Duras et ses sous-pulls en tergal blanc ?
Judith : Je crois que tu viendrais quand même.
Chris : Ah oui ?
Judith : Oui, pour l’évocation de Mitterrand, le Mitterrand ambivalent de la guerre, qui permet à Duras de retrouver Robert Antelme à sa sortie des camps.
Paul : Elle sait encore te prendre par les sentiments.
Chris : Oui, elle en sait pas mal sur mon compte.
Paul : Mais il reste une part d’ombre, hein ?
Judith : C’est ce qui fait qu’il y a encore un trouble, même après toutes ces années.
Paul : Moi non plus, je n’ai jamais réussi à savoir vraiment ce qu’il pensait.
Chris : Vous savez bien, je rabâche, il y a plein de sujets sur lesquels je n’ai pas d’avis. On ne peut pas avoir d’avis sur tout.
Paul : On peut essayer. C’est un travail intellectuel de formuler une opinion sur un sujet en fonction des paramètres dont on dispose.
Chris : Alors Ce grand cadavre à la renverse décrit par BHL et que tu sembles trouver si vivant, tu sais, toi, ce qu’il va devenir à l’issue de la confrontation de Royal et d’Aubry ?
Albertine : On pourra au moins se dire que c’est une première pour le parti et que, quoi qu’il arrive, le prochain premier secrétaire sera une femme.
Judith : Ça ne suffira pas à relever le cadavre, même si elles ont de sacrés atouts ces deux-là ! Bon sang, tu le vois le programme d’avenir, tu le vois le projet de société ?
Chris : Le brouillage est complet, camarade. On ne trouve plus aucune ligne de partage claire. On se situe dans une séquence qui n’intéresse que les militants purs et durs, ceux qui vivent sur la bête. Pour les Français, il n’y a plus de sujet qui soit vraiment clivant.
Paul : Arrête avec ton jargon. Pas avec moi, vieux.
Chris : Pense à tous nos copains, supposément de gauche, qui ont voté Sarkozy. Pour affronter la crise, ils imaginent que c’est encore lui le meilleur et, je dois avouer qu’il s’en est formidablement tiré avec les banques. Quel mec ! Les deux nanas ne feront pas le poids, vraiment, écoutez-moi.
Regard en coin de Judith, plus mal à l’aise que jamais.
Paul : Merde, quoi ! Là, maintenant, tu arrêtes. Tu parles comme Johnny et, avec ton nom de rocker, tu ferais mieux de te mettre à la gratte, vieux. Lâche la politologie. Chris Bailey, c’est un nom de scène, pas un nom de sondeur.
Judith : Bon, maintenant ça suffit, les enfants. Vous me donnez l’impression de vivre dans un film de Woody Allen, sauf qu’on ne parle pas que de Bergman, de Truffaut, de Michel Foucault, de psychanalyse et de sexe, mais de politique. Vous êtes pénibles, tous les deux, et toi, Chris, chaque jour tu es de plus en plus en plus misogyne et sarkophile. Ça me rend malade.
Albertine : Qu’est-ce qui te prend, Judith ? Je te connais.
Judith, fredonnant : Personne ne me connaît vraiment. Pour tout vous dire, même moi, je ne me connais pas.
Elle se lève de table bruyamment.
*Publié à partir du 12 octobre sur le site de la Règle du jeu.