Comment la loi sur la reprise des sites industriels a échappé à Montebourg

Publié à 18h00, le 19 octobre 2012 , Modifié à 18h37, le 19 octobre 2012

Comment la loi sur la reprise des sites industriels a échappé à Montebourg
Arnaud Montebourg, à Florange, le 27 septembre, brandit "sa" loi (capture d'écran, vidéo BFMTV)

C’était son grand "bras de fer" avec ArcelorMittal, la preuve de l’activisme de "Super Montebourg". Après avoir communiqué intensément sur son projet de loi sur la reprise des sites industriels – oubliant d’inclure dans son tourbillon médiatique les députés chargés du dossier depuis longtemps –  le ministre du Redressement productif a été sommé de se faire discret sur le sujet.

De fait, la loi qui était "prête à être inscrite à l’ordre du jour" est en stand-by, les députés ont repris la main sur la communication et les syndicats ont réussi à faire ralentir le gouvernement.

Le Lab revient sur l’emballement avorté d’Arnaud Montebourg.

  1. De l'activisme au silence radio

    [Round 1] Super Montebourg part en tête

    Le 27 septembre,  Arnaud Montebourg est devant les salariés d’ArcelorMittal à Florange et brandit une feuille rose.

    Les hauts fourneaux sont sur le point de fermer, le ministre du Redressement productif est venu expliquer aux salariés que le groupe sidérurgique mondial doit accepter de céder son site.

    Et cette reprise, elle se fera grâce à son projet de loi, lance-t-il. La feuille rose qu’il agite, c’est le texte qu’il veut faire passer, celui qui obligera les usines voulant fermer un site viable à trouver un repreneur. La loi, c’est du concret, entend-on :

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    J’ai indiqué à la direction d’ArcelorMittal que le projet de loi du gouvernement qui organise par voie de justice la reprise d’un site industriel viable, était prêt.

    Je vous confirme que le texte est rédigé et achevé sur mon bureau et qu’il peut être discuté à tout moment à l’Assemblée nationale.

    "

    A ce moment-là, Arnaud Montebourg communique beaucoup sur celle qu’il appelle "sa" loi. Dans Le Monde, il raconte comment son texte est prêt "depuis deux mois" et comment il a réussi à faire accélérer les choses. Jean-Marc Ayrault lui a donné son feu vert, se félicite-t-il, le texte va être inscrit à l’ordre du jour dès la semaine suivante. Les journalistes racontent comment le ministre leur tend son projet sous les yeux ébahis de Stéphane Israël, son directeur de cabinet :

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    Voilà, prenez, c’est pour vous, c’est ma loi, celle que j’ai brandie à Florange.

    Elle est à vous !

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    [Round 2] Aidés par Ayrault, les députés le rattrapent

    Sa loi, son projet … Pas de doute, se dit-on alors, seul Arnaud Montebourg est aux commandes. En réalité, même si le ministre attire toute la lumière, les députés travaillent également depuis plusieurs mois pour aboutir à un texte. Comme l’expliquent des conseillers de part et d’autres au Lab, les députés et le cabinet du ministre ont bossé chacun de leur côté durant l’été. Proposition de loi, c'est-à-dire issue du groupe socialiste, ou projet de loi, celle d’Arnaud Montebourg ? Rien n’est encore tranché à ce moment-là à la tête de l’Etat. Chacun se met donc à pied d’œuvre. Au groupe socialiste, on indique :

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    On est parti de la proposition déposée en février [date à laquelle le candidat Hollande a porté une proposition de loi sur la reprise des sites industriels qui n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour, ndlr]. Cet été, le groupe l’a retravaillée de manière précise et détaillée.

    Chez Montebourg, ils ont voulu s’en saisir quand les actualités comme Florange sont devenues lancinantes. Comme le ministre en avait besoin, il a fait plancher son cabinet dessus.

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    Au cabinet du ministre justement, on explique avoir voulu "monter au front" et "avancer le plus rapidement possible" :

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    Proposition ou projet de loi, Monsieur Mittal s’en fout.

    L’important c’est qu’il comprenne que cette loi n’est pas du pipeau.

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    Officiellement, les deux textes doivent "se rapprocher" pour aboutir à une synthèse. Finalement, et même si Arnaud Montebourg a gagné la bataille de la médiatisation, c’est le discret groupe socialiste qui va l’emporter.

    Le soir même où Montebourg haranguait les ouvriers de Florange, le 27 septembre au soir, dans l’émission Des paroles et des actes, Jean-Marc Ayrault tranche en faveur de la proposition des députés, sans évoquer son ministre :

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    Le président du groupe socialiste, Bruno Leroux, a préparé, en liaison avec moi, une proposition de loi pour obliger, lorsqu’une entreprise veut vendre, à rechercher un repreneur.

    Le gouvernement est prêt à l’inscrire à l’ordre du jour.

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    Pourtant, le lendemain, sur BFMTV, Arnaud Montebourg continue de promouvoir sa loi comme si de rien n’était. Le terme "projet de loi" lui échappe et il promet un calendrier d’adoption rapide :

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    J’ai exposé hier aux salariés de Florange le projet de loi sur les sites industriels rentables qui était une promesse. J’ai eu le président du groupe socialiste juste avant de venir chez vous, l’affaire est en route.

    Nous commençons là, il ne faudra pas trois mois !

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    On est alors le 28 septembre et on assiste à la dernière intervention d’Arnaud Montebourg sur ce sujet :

    [Round 3] Les syndicats l’emportent

    L’annonce de Jean-Marc Ayrault au soir du 27 septembre a tout changé.

    Non pas que les députés décident de reprendre la main dans les médias, non pas qu’Arnaud Montebourg se vexe d’être oublié dans l’annonce … Non, c’est un troisième acteur qui intervient: les syndicats.

    La question de la reprise des sites industriels était supposée faire partie de la conférence sociale organisée pour que patronat et syndicats s’entendent. Pas question, en théorie, de trancher sans eux. Et ça, François Chérèque et Laurence Parisot ne vont pas manquer de le rappeler au gouvernement.

    Dès le 29 septembre, le patron de la CFDT menace de quitter la table des négociations sur RTL :

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    Si les députés commencent à débattre une loi, la CFDT se retirera sur-le-champ de la négociation, et la négociation historique du président de la République, ce sera un échec historique.

    On a une feuille de route et là, d'un seul coup, Monsieur Montebourg dit à Florange : "Je vais déposer une loi la semaine prochaine".

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    François Chérèque se targue même d’avoir eu "tout de suite" le Premier ministre au téléphone : "Il s’est engagé à ce que cette loi ne soit pas débattue à l'Assemblée nationale avant la fin de la négociation."

    Ce dimanche 29 septembre dans la soirée, un patron syndicaliste se retrouve donc à contredire un ministre en jurant avoir l’adoubement du Premier ministre.

    En coulisses, la patronne des patrons n’est pas moins active. Le Canard Enchaîné rapporte dans son édition du 3 octobre que Laurence Parisot menace elle aussi de quitter la conférence, chantage du plus grand effet auprès de François Hollande.

    A partir de là, plus question de crier dans les médias que le texte sera inscrit illico à l’ordre du jour de l’Assemblée. Traduction : Arnaud Montebourg devient silencieux.

    (photo MaxPPP)

    A la place, un autre responsable entre en scène, c’est Bruno Le Roux, président du groupe socialiste, et co-auteur de la fameuse proposition de loi. C’est lui qui est chargé de rassurer les syndicats, répétant dans les médias que les députés attendront la fin de la conférence sociale avant de déposer leur texte à l’Assemblée. Exemple sur BFMTV le 3 octobre :

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    La proposition est prête à être discuter au moment où le Premier ministre le souhaitera. Non, le moment n’est pas venu. Une conférence avec les partenaires sociaux a été mise en place.

    Les partenaires sociaux sont très attentifs à ce que ce texte fasse partie de la négociation, et moi je l’ai dit au Premier ministre.

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    Depuis, plus rien. Au cabinet d’Arnaud Montebourg, on respecte la consigne à la lettre, assurant qu’il y a "un nouveau calendrier", qu’il faut "attendre la fin des négociations".

    L’idée d’en passer par un projet de loi – et donc de voir revenir "Super Montebourg"– est en tout cas loin d’être enterrée : "Ce sera probablement une proposition de loi mais rien n’est décidé. Cela peut encore évoluer …"
     

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