LA BOÎTE A ARCHIVES – Lucien Neuwirth, père de la proposition de loi qui a permis, en France, l’autorisation de la pilule, est décédé ce mardi 26 novembre, ainsi que l’a révélé Le Figaro.
Il a mené un combat parlementaire acharné pour vaincre les oppositions à sa loi, y compris celles venues de son propre camp, à commencer par celle de Michel Debré - alors puissant ministre de l’Economie et des Finances.
Le Lab s’est plongé dans les archives des débats parlementaires qui ont agité l’Assemblée nationale en juillet, pour la première lecture, puis en décembre 1967, pour la seconde lecture, tels qu’ils ont été publiés dans les éditions du 3 juillet 1967 et du 15 décembre 1967 du Journal Officiel, mis à disposition sur le site internet de l’Assemblée nationale (ici, ici, ici, et là.)
Vous allez voir, les échanges ont parfois été vifs, agités. Ils témoignent de la sensibilité du sujet dans l’opinion publique des années 60 en France.
#POINT VISIONNAIRE : C'EST UNE PETITE LOI, SANS GRANDE PORTEE
(Joseph Fontanet, photo Assemblée nationale)
Le 30 juin 1967, le premier à s’opposer, frontalement, au texte proposé par Lucien Neuwirth, c’est Joseph Fontanet, ancien ministre de De Gaulle lui aussi, figure du centre droit, démocrate, et chrétien.
Sous les applaudissements des membres de son groupe, il minimise d’emblée l’enjeu du texte signé Neuwirth :
Gardons-nous d’exagérer la portée de la proposition de loi sur laquelle nous allons nous prononcer !
Les 5 millions de françaises qui, aujourd'hui, qui, aujourd’hui, pratiquent une contraception orale apprécieront - ainsi que leurs conjoints.
# POINT MOEURS CORROMPUES
L’ancien ministre Joseph Fontanet poursuit son argumentaire et en vient à la question des mœurs.
Pour lui, aucun doute : la légalisation de la pilule conduira droit à une dissolution des mœurs.
L’introduction de la contraception (dans certains pays) a fourni l’occasion d’un affaiblissement des disciplines familiales, d’une licence accrue des mœurs parmi la jeunesse, d’une disparition collective de la volonté d’accueil des enfants, d’une méconnaissance du caractère sacré de la vie humaine.
Un peu plus tard, l’un de ses collègues, Jean Coumaros, gaulliste lui aussi, s’alarmera :
La pilule va encore favoriser davantage les amours illicites et ébranler les assises de la famille.
# POINT ELOGE DE LA CONTRACEPTION "NATURELLE"
La contraception, par nature, c’est une question "d’effort", justifie encore le centriste Fontanet :
Aucune régulation des naissances, quel qu’en soit le mode, ne peut réaliser l’équilibre complet du couple et de la famille, sans un effort, une discipline et une volonté de respect mutuel et donc de dépassement de chacun des conjoints, exigence qui semble bien rejoindre une requête profonde de la nature humaine.
# POINT L'ESPECE EST EN DANGER
(Jacques Hébert, photo Assemblée nationale)
Jacques Hébert, médecin, membre de l’UDR gaulliste lui aussi, convoque un argument définitif pour s’opposer à la légalisation de la pilule : l’introduire met en danger rien de moins que l’espèce humaine.
Voici son argumentaire :
Nous avons le devoir, nous qui sommes, en tant que législateurs, responsables devant les générations futures du patrimoine biologique des Français, de ne pas autoriser la diffusion de procédés ou de produits dont les conséquences lointaines sont encore très mal connues.
Le risque d’une modification légalement autorisée des gamètes dépositaires du patrimoine héréditaire de l’espèce est d’une extrême gravité pour cette espèce.
Des intérêts matériels considérables ont sans doute motivé certaines prises de position stupéfiantes.
Une flambée inouïe d’érotisme entretenue et attisée par la propagande politique - aussi bien d’ailleurs de la majorité que de l’opposition - en faveur des techniques anticonceptionnelles hormonales menace notre pays.
Pour nos pères, la stérilité était une tare ; elle est en train de devenir une vertu !
Et évoque clairement un lien entre autorisation de la pilule et augmentation des "enfants anormaux" (sic) :
Ne prenons pas le risque de modifier en quoi que ce soit le message héréditaire, sinon nous nous retrouverons d’ici à quelques années avec non plus 4% d’enfants anormaux, mais bien davantage.
Quel homme, quelle femme avertis seront assez égoïstes pour exposer sciemment leurs enfants à venir, leurs petits-enfants, et tous ceux qui pourront naître d’eux – car ces maladies sont transmissibles – à ce risque horrible, même s’il paraît minime à d’autres ?
# POINT VIOL DES CONSCIENCES DES MEDECINS
(Claude Peyret, photo Assemblée nationale)
Claude Peyret, encore un gaulliste de l’UDR, se lance ensuite dans un long exposé, plein de réserves, mais au ton qui reste mesuré.
Il ne libère le fond de sa pensée qu’à la fin de celui-ci, revenant sur le fait qu’un médecin puisse délivrer, sur ordonnance, la pilule.
Pour lui, aucun doute, ceci revient ni plus ni moins, à un "viol" de la conscience des médecins.
Vouloir contraindre le médecin à délivrer une ordonnance qui constitue (…) l’acte noble de la consultation médicale, lorsqu’une jeune fille ou une femme, sans aucun prétexte médical ni même social, c’est-à-dire dans un souci évident d’agrément, vient lui demander la prescription de contraceptifs, serait pour lui un viol de la conscience médiale.
# POINT LA PILULE, C'EST LE NEANT
(Jean Coumaros, photo Assemblée nationale)
Les interlocuteurs se suivent et se ressemblent : au cours de la discussion générale, revoilà encore le médecin gaulliste, Jean Coumaros, qui s’en va combattre la proposition de son collègue Lucien Neuwirth, en des termes inattendus.
Voici le lancement de son argumentation, absolument …définitive :
La pilule (…) engendre le néant puisqu’elle empêche la fomation même de l’œuf et porte atteinte à la finalité de la vie, œuvre sublime du Créateur.
Au moins, c’est clair.
# POINT HUIS-CLOS
Ah, qu’il est difficile de parler de sexualité !
Le même Jean Coumaros, au cours de son intervention, s’agace vertement … que les débats de l’Assemblée sur le sujets soient publics.
Il est regrettable qu’un tel projet ne puisse être discuté à huis-clos, comme aux assises quand il s’agit d’affaires de mœurs.
# POINT ATTENTION MESSIEURS, LES FEMMES VONT VOUS COMMANDER
Jean Coumaros, toujours, quelques minutes plus tard, lance un message d’alerte aux fiers représentants du genre masculin :
Les maris ont-ils songé que désormais c’est la femme qui détiendra le pouvoir absolu d’avoir ou de ne pas avoir d’enfants en absorbant la pilule, même à leur insu ?
A cette remarque, le compte-rendu des débats indique des "mouvements divers". Sans que l’on sache s’il s’agissait d’approuver ou de condamner la remarque de l’élu de la sixième circonscription Moselle. Son intervention est en tout cas "applaudie sur plusieurs bancs de l’UDR".
Lors de l’examen du texte en deuxième lecture par l’Assemblée, le député Coumaros tentera, sans succcès, et sous les rires de ses collègues, de faire voter un amendement prévoyant que "pour la femme mariée, la prescription de la pilule doit être faite en accord avec son mari et non à son insu".
Et expliquera, très sérieux :
Donner à la femme mariée l’autorisation d’utiliser la pilule à l’insu de son mari serait en même temps lui conférer le droit de mentir à son mari, de le duper dans son désir naturel – c’est un des buts du mariage – d’avoir des enfants.
Au moins, le député Coumaros, à défaut d’être progressiste, avait-t'il de la suite dans les idées.
# POINT LA BLAGUE DU GROS LOURDAUD
(Maurice Georges, photo Assemblée nationale)
C’est à l’occasion du début de la deuxième lecture du texte par l’Assemblée que Maurice Georges, député gaulliste de Seine-Martine, opposant au texte pour des considérations "morales, démographiques et médicales" se hasarde à un jeu de mots … un peu vaseux.
On vous laisse juges :
On sourira peut-être aussi quand on réalisera mieux comment le Gouvernement a consenti à l’utilisation de la pilule, à condition que ce soit, au moins pour le ministre des finances, et si je puis m’exprimer ainsi, sans avoir à délier les cordons de la bourse.
Ah, ah, ah.