La rupture entre Frigide Barjot et Ludovine de la Rochère, présidente de La Manif pour tous, est actée depuis plusieurs mois. Mais celle qui a incarné la lutte anti-mariage gay avant le départ forcé de son mouvement espère toujours retrouver l'influence d'antan. Son but : pouvoir participer aux universités d'été de septembre organisées par ce qu'elle nomme la "Manif pour tous-Version II" pour s'y faire entendre. Et rêve d'organiser un vote pour influer sur la ligne du mouvement.
Tout part d'une lettre adressée à ses sympathisants ce 8 août mais "envoyée à tous les réseaux qu'il [lui] reste : cadres, journalistes, évêques, députés", explique-t-elle au Lab en affirmant qu'on lui a interdit l'accès à ses anciens fichiers. Une lettre tellement envoyée qu'un député PS s'étonne de l'avoir reçue.
Frigide Barjot s'y plaint de cette mise à l'écart et fustige l'échec du mouvement depuis son éviction :
Nous sommes désolés de pas être invités aux universités d'été de la "Manif PourTous-post26mai" , ce qui nous semble une grosse étourderie pour ne pas penser pire, puisqu'il est mentionné sur l'invitation : "En plus de faire le bilan de notre mobilisation, ce sera le moment de dessiner notre avenir. C'est une occasion unique d'écouter et d'échanger avec tous ceux qui ont porté notre combat pendant tous ces mois ..."
Plus loin, elle demande à ceux qui la suivent dans son nouveau mouvement, "L'avenir pour tous", de plaider "l'unité" auprès des organisateurs des universités. Autrement dit, de faire pression pour qu'ils invitent les Frigide Barjot, Xavier Bongibault et autre Laurence Tcheng, les mécontents du tournant pris par la Manif pour tous.
Voici cette lettre (cliquez dessus pour agrandir) :
Mais que cherche réellement Frigide Barjot ? Réintégrer la Manif pour tous malgré ce qu'elle nomme la "prise de pouvoir" de Ludovine de la Rochère ? Mieux mettre en avant ses propres idées ? Un peu des deux.
Elle explique au Lab en avoir très bien conscience : elle a perdu toute influence depuis qu'elle a été "virée du bateau". Son mouvement lui correspond mais n'a aucune visibilité. Celui de la Manif pour tous "version 2" continue de se faire entendre, mais avec "un mauvais message". Frigide Barjot rêverait donc de retrouver une combinaison semblable à celle qui a si bien fonctionné en début d'année. La "prise de pouvoir" en moins :
J'étais celle qui parlait aux Français, le haut parleur, et Ludovine de La Rochère gérait la machine, l'appareil.
C'est d'ailleurs comme cela que tout m'a échappé, en ne contrôlant rien en interne, comme les réseaux sociaux et le site internet qui, peu à peu, n'ont plus relayé fidèlement mes propos, mes apparitions médias ...
La combinaison d'avant, d'accord, mais avec ses idées à elle. Frigide Barjot juge "inutile" le combat contre la théorie du genre que cherchent à mener ses anciens acolytes. A la place, elle aurait mis le paquet dans la lutte contre l'autorisation de la recherche sur l'embryon.
Concernant le mariage gay, une divergence profonde les oppose également : si la Manif pour tous veut faire retirer la loi, Frigide Barjot veut la "réformer" et trouver une solution autour d'une union civile. Elle assure d'ailleurs que c'était la ligne décidée à l'époque et regrette de ne pas avoir suivi une certaine Nathalie Kosciusko-Morizet, dont elle a rencontré l'équipe de campagne début août :
On aurait dû en profiter lorsque Nathalie Kosciusko-Morizet a prôné l'alliance civile. Mais c'était trop tôt.
On s'était mis d'accord avec Ludovine pour le faire une fois seulement la loi votée. Mais lorsque j'ai commencé, on m'a coupé les micros.
Alors à quoi bon participer à la réunion d'un mouvement qui ne lui convient pas ?"Pour discuter, avoir un réel débat démocratique", explique d'abord Frigide Barjot au Lab. Puis apparait son réel espoir : que les militants soient suffisamment nombreux à plaider dans son sens pour que SA voix l'emporte. Quitte à organiser un vote des militants avec motions et ligne directrice :
Nous devons nous comporter comme dans un mouvement démocratique de liberté et d'expression. Il faudrait instituer un vote, à la manière d'un parti politique et les militants décideraient de la ligne du mouvement.
Dans cette nouvelle tentative, on sent que Frigide Barjot veut éviter à tout prix que se reproduise le procès en homophobie qui lui a été intenté. Elle repète régulièrement qu'elle a voulu "un débat sur la filiation, pas contre les homos" et accuse les dirigeants actuels de la Manif pour tous de ne pas être clairs sur ce point :
S'ils refusent toute forme d'union des homos, qu'ils le disent clairement ! Ce n'est pas mon combat. Alors que chacun soit transparent et les militants se repartiront en fonction de ce qu'ils attendent.
Bref, Frigide Barjot aimerait que ces universités d'été renversent la tendance. Scénario idéal : reprendre les clefs de "l'appareil" qui lui ont échappées, retrouver ses ressources financières et sa capacité de mobilisation, ses militants aussi qui, selon elle, "sont totalement perdus depuis que le duo a éclaté", le tout sans exclure les dirigeants actuels mais en imposant sa vision du combat à mener à l'avenir. Rien que ça.
[ >> Edit 9 août ] Suite à la publication de notre article, Frigide Barjot tient à préciser qu'elle ne souhaite pas "reprendre la tête de La Manif pour tous" mais en appelle simplement à la création d'un "organe de concertation et de débat de tous les dirigeants", au-delà de la Manif pour tous version 2, seule à s'exprimer pour le moment :
Nous cherchons, avec les AFC et Familles de Farnce, et d'autres encore, l'unité par le haut et un projet de réforme de la loi Taubira, et pas la guerre grotesque des chefs, prétendument lancée par une Barjot aigrie et accusatrice.
Frigide Barjot rappelle également que cette volonté est présente dans son "appel du 22 juillet", appel dans lequel elle a proposé "aux dirigeants de la Manif pour tous et aux autres associations nationales qui ont oeuvré à la réussite de trois manifestations millionnaires, de retrouver, ensemble, dans un organe collégial de concertation et de convergence, les bases qui ont fait le succès de notre rassemblement".