"La Rue Des Allocs" : Patrick Kanner dénonce "l'indécence" et la "misère morale" de M6

Publié à 11h21, le 18 août 2016 , Modifié à 18h38, le 18 août 2016

"La Rue Des Allocs" : Patrick Kanner dénonce "l'indécence" et la "misère morale" de M6
Patrick Kanner, à l'Assemblée nationale © ERIC FEFERBERG / AFP

SHAME - Lui ministre de la Ville (et de la Jeunesse et des Sports), il ne voulait pas laisser passer ça. Peu avant minuit, mercredi 17 août, Patrick Kanner s'en est très vertement pris à l'émission de M6 La Rue Des Allocs, diffusée le même soir et très vivement critiquée à la fois dans la presse et sur les réseaux sociaux (notamment pour avoir montré la plupart des intervenants une canette de bière à la main et en état d'ébriété ou presque).

Dans un tweet signé de ses initiales "PK" pour bien faire savoir qu'il en est l'auteur, le ministre a fustigé "l'indécence" et la "misère morale" du programme de la sixième chaîne, un "docu-réalité" sur la pauvreté dans un quartier d'Amiens :

 

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Après ce 1er épisode de 'La Rue Des Allocs', je me joins à l'initiative de la Fnars : interdire l'indécence. Ce soir, la misère était morale. PK

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La Fnars (Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale) avait demandé au CSA d'intervenir "pour suspendre la diffusion" du programme "stigmatisant et honteux face à la détresse sociale que vivent près de 8 millions de personnes pauvres en France". Le CSA, interrogé par l'AFP, avait précisé ne pas pouvoir "intervenir avant la diffusion d'un programme".

Stéphane Munka, réalisateur de La Rue Des Allocs, se défend pourtant de toute "caricature". Adaptée de Benefits Street, une émission anglaise, la série "capte la réalité" d'un groupe d'habitants du quartier de Saint-Leu, l'un des plus pauvres d'Amiens (Somme), frappé par la crise de 2008, a-t-il expliqué à l'AFP. Saint-Leu connaît "un taux de chômage de près de 40%" (contre 19% pour Amiens), précise le réalisateur du programme. La "plupart" des habitants "vivent des allocations, de la débrouille parfois, et peinent à joindre les deux bouts", souligne le docu-réalité.

Patrick Kanner est (pour l'heure ?) le seul membre du gouvernement à avoir pris position après la diffusion de ces deux premiers épisodes de La Rue Des Allocs. [Pascale Boistard l'a depuis rejoint, voir en fin d'article]. Mais plusieurs élus s'en sont également indignés, à l'image des députés Alain gest (LR) et Jean-Louis Gagnaire (PS) :

Le candidat à la primaire de la droite et député LR Frédéric Lefebvre y a quant à lui vu "la preuve absolue de la nécessité de mettre en place un revenu universel" (élément de son programme), en retweetant ce message :

Gérald Darmanin, maire LR de Tourcoing, s'est pour sa part montré beaucoup plus mesuré, regrettant "un aspect voyeuriste" de l'émission mais estimant que cette dernière montrait aussi "la dure réalité des quartiers très populaire [sic]". "La droite devrait l'entendre", a ajouté le vice-président de la région Hauts-de-France et proche de Xavier Bertrand :

Le même Darmanin a ensuite attaqué directement Patrick Kanner, l'accusant de ne plus "savoir ce que sont les classes laborieuses", depuis "son ministère aux dorures étincelantes" :

En retour, le ministre a publié trois tweets tout aussi virulents à l'adresse de l'ex-presque plus jeune député de France :

Les deux hommes sont des adversaires localement, étant tous deux élus du Nord.

Du côté du FN enfin, c'est Florian Philippot qui a réagi, non sur le contenu de l'émission en lui-même mais en exprimant son souhait d'en voir une autre sur "la rue des parachutes dorés, entre magouilles fiscales, licenciements boursiers, cooptations..." :

La plupart des intervenants du premier épisode de l'émission sont filmés canettes de bière en main, manifestement dans un état proche de l'ébriété. Stéphane Munka, qui a travaillé pour Spécial Investigation sur Canal +, ou Infrarouge sur France 2, dit "comprendre ces réactions". Mais "qu'est-ce que je fais quand j'ai 80% des gens qui boivent ? Je comprends le débat mais comment résoudre ça, je fais de la censure ?", interroge-t-il.

"Le vrai discours du doc est de dire que le chômage détruit", ajoute Stéphane Munka, "ce sont les images banales du désespoir", des gens marginalisés, privés d'une vie active.





[Edit 18h30]

La secrétaire d'État chargée des Droits des femmes, Pascale Boistard, s'en prend elle aussi vertement à La Rue Des Allocs, dans un post de blog sur le Huffington Post. Si elle estime qu'un traitement journalistique de ce type de situations économico-sociales est normal et nécessaire, elle flingue en revanche la démarche mercantiliste de ce programme en particulier, jugeant qu'il vise à "faire de l'argent sur le dos des pauvres", qui plus est au mépris de la "dignité des personnes" et au nom d'un "sensationnalisme dégradant". Partant de son statut d'ex-élue de la Somme et précisant avoir "pris le temps de regarder [cette émission] pour se faire une idée", elle écrit :

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Une chose dérange en effet dans ce programme, et interroge l'éthique professionnelle des journalistes. Avec des programmes comme 'La rue des allocs', la misère n'est-elle pas en train de devenir un fonds de commerce, si elle ne l'est depuis longtemps avec beaucoup de programmes de téléréalité ? M6 est une chaîne commerciale qui fait des profits sur les programmes qu'elle diffuse, rien de scandaleux a priori, mais qu'en est-il lorsqu'il s'agit de se faire de l'argent sur le dos des pauvres ? Ce n'est pas la première fois cette année qu'en Picardie des caméras sont posées pour mettre en scène des personnes souffrant de grande précarité. Ce qui est choquant n'est pas de montrer la précarité, bien au contraire. Mais lorsque que des personnes sont utilisées, devenant la proie de productions peu scrupuleuses exploitant leurs vies et leur image, c'est une question de société qui se pose.La liberté d'informer peut-elle se faire au détriment de la dignité des personnes ? La vie des pauvres est-elle, peut-elle être un spectacle ? L'intimité des autres, surtout dans des situations de fragilité pareille, doit-elle être à ce point étalée sur les petits écrans ? Je ne le crois pas. Il y a bien d'autres manières de raconter le monde et la vie que de forcer la porte de la vie privée qui doit être préservée. Le droit à la vie privée, c'est un des socles de la démocratie. Je ne suis pas certaine que celles et ceux qui ont accepté d'être les 'héros' malgré eux de cette série n'aient à en souffrir par la suite.



Faut-il s'habituer au sensationnalisme dégradant de programmes comme 'La rue des allocs' ? Faut-il se résigner à l'exploitation télévisuelle de la misère ? Ce sont les questions de fond posées par la polémique suscitée par cette diffusion. Le combat pour l'inclusion sociale passe par notre changement de regard, par la lutte contre les clichés et la stigmatisation des plus fragiles, à Amiens comme partout ailleurs.

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Du rab sur le Lab

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