Jeudi, Nicolas Sarkozy a présenté son programme présidentiel. Samedi, il tenait un meeting à Saint-Raphaël, en visant particulièrement l'électorat du Front national. Pour notre blogueur Vogelsong, la campagne de Nicolas Sarkozy révèle un pari tenté par le candidat de l'UMP : celui de ne pas faire campagne. Un comportement qui remet, pour lui, en question le jeu démocratique.
L’avènement de la démocratie de marché
Il n’a plus que deux cartes. Sécurité et immigration. C’est la grande différence entre le Nicolas Sarkozy de 2012 et celui de 2007. Elles pourraient suffire car les études d’opinion, bien que discutables, montrent qu’un tiers de ceux qui iront voter pourraient donner leur voix au président sortant.
Or, ceci constaté, c’est tout l’édifice démocratique qui peut être remis en question. Le processus même de désignation par le peuple (dont on aime aujourd’hui se réclamer) de son représentant.
On a deux certitudes avant le scrutin : que de bilan il n’y a pas. En d’autres termes, que de réformes positives vers le progrès, il n’y a pas. Que l’amélioration du plus grand nombre, même au prix de contorsion sémantique et de chiffres cafouilleux sur une hypothétique embellie pour une partie des Français, confine à l’abus de langage voire au mensonge.
Deuxième certitude, et c’est la plus importante, dans la course à l’accession, l’homme de l’Élysée a pris le pari de ne pas faire campagne. De ne pas faire campagne au sens programmatique du terme. C’est à ce niveau que se situent l’extrême incongruité et l’intérêt du candidat Sarkozy. Dans sa manière d’agir, alliance de culot et de cynisme, il nous parle de notre époque, de la politique et du non-sens de cette campagne présidentielle (de nous). Car est-il raisonnable dans une démocratie dite avancée, qu’une machine de guerre politique (l’UMP) briguant les affaires du pays puisse battre campagne sur le squelettique projet de rassurer une population qu’elle a préalablement plongée dans l’anxiété ?
On assiste à un roulé-boulé permanent entre Nicolas Sarkozy et les médias. On ne sait d’ailleurs plus qui a donné la première impulsion. C’est avec un sens aigu du timing scénaristique que le candidat de l’Élysée toujours a su épouser, non pas les sujets cruciaux pour les Français, mais les sujets cruciaux lui conférant une surface médiatique décuplée. Au risque même de dépasser les limites républicaines et de croiser celles de la xénophobie.
Aux oubliettes les solutions économiques et sociales, Nicolas Sarkozy est passé à l’émotionnel pur, décidant à moins de vingt jours de l’élection d’adresser une lettre aux Français, et un document programme rachitique. C’est l’avènement le plus complet de la démocratie de marché qui préfère la promotion, le marketing au produit. Qui s’ingénie à capter les attentions, à susciter l’émotion, abandonnant le terrain du concret.
Dans un spectacle permanent de fascination pour ce surdoué du petit écran, et d’écoeurement par la boulimie de pouvoir de cet être infatué. Le volontarisme politique de 2007 s’est évaporé. Quoi qu’on en pense, le "travailler plus pour gagner plus" avait un panache idéologique. Il reprenait de vieilles lunes libérales, sur lesquelles il était possible de s’écharper. Il ouvrait un débat clair sur le type de société proposée, cette fameuse France d’après. Mais le volontarisme a laissé la place au poker menteur d’un candidat porté par sa seule présence. Que l’usine médiatique bon gré, mal gré a érigé en tête de gondole.
C’est en ce sens qu’il pose un "problème démocratique". Par sa position de chef de l’État sortant, il impose sa légitimité sans faire campagne, une "wild card" présidentielle, le qualifiant au second tour sans jouer. Comble du paradoxe, un président qui s’est évertué à désacraliser la fonction présidentielle s’en sert comme d’une assurance pour s’imposer comme candidat naturel.
On pourra se questionner sur la fascination des médias pour ce type d’intelligence politique. Du quarteron d’experts politologues qui ont oublié l’essentiel : c'est-à-dire les soixante derniers mois, la montée du chômage, la désindustrialisation, la paupérisation et la stigmatisation des minorités. Pour se répandre sur l’accessoire : comment cet homme brillant, ce candidat hors pair va accéder au pouvoir de façon tactique. Comment sans aucune carte maitresse, il pourrait peut-être arriver au second tour et mettre K.O. lors du débat télévisé de deux heures son adversaire. Comment finalement élire un excellent candidat et un exécrable président ?
Au bout de cinq années, on va jouer les cinq années suivantes sur un coup de poker ? Sans que personne ne se pose la question de l’absurdité de la situation. Sans qu’à aucun moment, face à cette inutile dissipation d’énergie, l’appareil "démocratique" ne réagisse…