Non, une blague de Chirac à Schröder et Poutine n’a pas fait perdre les JO 2012 à Paris

Publié à 12h37, le 29 octobre 2012 , Modifié à 13h36, le 29 octobre 2012

Non, une blague de Chirac à Schröder et Poutine n’a pas fait perdre les JO 2012 à Paris
Jacques Chirac, Vladimir Poutine, et Gerhard Schröder, le dimanche 3 juillet 2005, à Svetlogorsk, en Russie (photo Reuters)

LOBBYING ULTIME– Parce qu’elle aurait permis à Cherie Blair, la femme de Tony Blair, de piquer une gueulante contre le chef de l’Etat français, voilà que la petite phrase : "On ne peut pas faire confiance à des gens [les Anglais, NDLR], qui ont une cuisine aussi mauvaise", prononcée le dimanche 3 juillet 2005, à Svetlogorsk, lors d’un sommet tripartite réunissant Jacques Chirac, Vladimir Poutine, et Gerhard Schröder, devient responsable de l’échec de Paris aux JO de 2012.

Problème ? 

Cette version réécrite de l’histoire par le patron de la candidature de Londres himself permet surtout aux Anglais la dissimulation de leur lobbying super méthodique de l’époque.

Et contribue à faire peser la décision du Comité international olympique d'attribuer les JO à Londres plutôt qu'à Paris sur les erreurs et maladresses françaises, plutôt qu’aux qualités des vainqueurs. Sorte de lobbying ultime, si vous préférez.

Le Lab vous propose un petit retour dans le passé. 

  1. Une folle semaine de juillet 2005, de Kaliningrad à l’Ecosse, en passant par Singapour

    Sur ina.fr

    Attention, scoop ! Si les Anglais se sont vus attribuer l’organisation des JO de Londres, à l’été 2012, c’est à cause d’une petite blague très maladroite de Jacques Chirac, prononcée lors "d'un sommet du G8 en Ecosse".

    Voilà l’histoire répétée en boucle, ce lundi 29 octobre, en France et en Angleterre, sur la foi d’un ouvrage publié par l’ancien organisateur en chef des JO, le britannique Sebastian Coe, et dont le Times a extrait un article dévoilant "l’exocet" (sic) tiré par Cherie Blair contre Jacques Chirac (lien payant).

    Thèse officielle soutenue par le grand manitou des JO de Londres

    A la veille du dernier round des réunions du Comité International Olympique (CIO) devant décider de l’attribution des JO, qui s’est déroulé à Singapour, le 6 juillet 2005, Cherie Blair s’est saisie d’une blague déplacée de Jacques Chirac pour piquer un fard et, ce faisant, éloigner le chef de l’Etat français de représentants du CIO auxquelles elle a alors pu vanter les charmes de la candidature britannique.

    Entre Kaliningrad, Singapour et l’Ecosse, Le Lab s’est plongé dans les archives publiques de cette folle semaine, et ressort quelques vieux dossiers consacrés à l’affaire, permettant de nuancer largement cette vision un peu réécrite de l’histoire olympique.

    1. Une erreur factuelle sur les circonstances de la sortie de Jacques Chirac

    Levons d’abord une belle erreur factuelle : non, ce n’est pas "lors d’un sommet du G8 en Ecosse", contrairement à ce qu’écrit l’AFP, qui a relayé l’article du Timesdans une dépêche publiée aux premières heures de ce lundi 29 octobre, que Jacques Chirac a développé ses vues sur la cuisine anglaise. 

    C’est à Svetlogorsk, petite station balnéaire russe, le dimanche 3 juillet 2005, lors d’un sommet tripartite réunissant Jacques Chirac, Vladimir Poutine, et Gerhard Schröder, en marge de la célébration des 750 ans de la ville russe de Kaliningrad, que le chef de l’Etat a multiplié les blagues anti-Blair.

    On ne résiste pas à vous proposer quelques photos de la rencontre au sommet Chirac-Poutine-Schröder, publiées par Reuters (cliquez sur les images pour les voir en grand) :

    Une petite déambulation sur les bords de la Baltique :

     

    qui servait de promenade à des discussions tenues à la terrasse d'un grand hôtel :

    Bref, l'ambiance était plutôt à la déconnade :

    C’est Libération, dans son édition du 4 juillet 2005, qui avait révélé les propos du chef de l’Etat, dont voici un petit best-of : 

    La seule chose qu'ils ont faite pour l'agriculture européenne, c'est la vache folle.

    [La Grande Bretagne, c'est] après la Finlande, c'est le pays où on mange le plus mal.

    Ou bien encore, rabrouant un Schröder suggérant que Russes et Français unissent leurs candidatures pour les Jeux olympiques de 2012:

    Oui, on peut faire un projet commun, si Moscou l'emporte.

    Cette sortie avait évidemment provoqué une grosse colère des britanniques, comme le racontait la BBC le 4 juillet dans la soirée.

    Notons d’ailleurs qu’à l’époque, l’Elysée s’était contenté de contester la  "tonalité" des propos rapportés par Libération, non leur fond. Ce qui, en langage diplomatique, a valeur de non-démenti.

    Le sommet du G8 de Gleneagles [capture du site officiel] lui, s’est déroulé après l’attribution des JO à Londres, du mercredi 6 au vendredi 8 juillet 2005 : la petite phrase de Jacques Chirac ne peut donc évidemment pas avoir été prononcée à cette occasion.

    2. Tony Blair a fait du lobbying "jusque dans les chambres d’hôtel"

    (Tony et Cherie Blair, à Singapour, le 4 juillet 2005, photo Reuters

    Surtout, la version d’une erreur de Chirac accréditée par Sebastien Coe dans son ouvrage, a un autre avantage : elle permet de renvoyer la responsabilité de la défaite aux erreurs des perdants, plutôt que de pousser à s’intéresser aux techniques employées par les vainqueurs.

    Car, sans rejouer l’histoire sept ans après, rappelons juste que, face à des Français très sûrs d’eux, consacrant trente-cinq de leurs quarante-cinq minutes de grand oral face aux membres du CIO à la diffusion d’un film franchouillard signé Luc Besson (à revoir en deux parties), les Britanniques avaient joué une double carte. 

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    (Tony Blair et Sebastian Coe, en 2005, à Singapour, photo Reuters)

    D’abord, celle d’une prise de parole beaucoup moins lénifiante et plus dynamique, comme l’expliquait le soir même le journaliste de France 2 Christophe Duchiron dans le jité de David Pujadas : 

    Quatre films ont été présentés.

    Durée totale : 12 minutes, trois fois moins long que les Français.

    Ensuite, la délégation britannique avait déployé une technique de lobbying vieille comme le monde, mais un peu touchy: la rencontre de tous les membres du CIO en tête-à-tête – pardon, en one-to-one, dans la langue de Shakespeare.

    Cette thèse du lobbying anglais triomphant a été largement évoquée par les médias français, mais très peu par leurs confrères anglais, tout à la joie de la désignation de Londres.

    Jean-Claude Killy, membre (français) du Comité international olympique racontait face caméra, à France 2 : 

    Les Anglais ne s’arrêtent jamais.

    Ils ont fait un lobbying de forcenés

    Nous faisions le même, avec plus de discrétion peut-être.

    Mieux encore. Dans ce même journal de France 2, le maire de Paris, Bertrand Delanoë, accuse même, évidemment avec l’amertume du perdant, le premier ministre Tony Blair de pratiques interdites par le CIO

    J’ai remarqué quand même hier soir, que Tony Blair, il la ramenait un peu, quoi.

    Je le dis gentiment, je ne veux pas agresser […], j’ai trouvé quand même qu’il la ramenait beaucoup [...].

    Il y avait par exemple, hier, quand je montais dans ma chambre à l’hôtel, des gens qui descendaient d’entretiens avec le premier ministre britannique

    Moi, je n’ai pas eu d’entretiens avec des membres du CIO dans ma chambre, puisque de toute façon, c’est interdit par les règles du CIO.

    L’interview se déroule à partir de 19 minutes et 55 secondes sur la vidéo INA ci-dessous :

    Sûr qu’entre les rendez-vous dans la chambre de Tony Blair à Singapour et les ratés de Chirac sur la cuisine britannique, Sebastian Coe, qui, comme le raconte Les Echosdans un article du 29 octobre, va récolter 12 milions de livres en vendant sa petite société de conseil, préfère que l’on parle plutôt des gaffes françaises ...

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