Dans l'affaire dite "Fillon-Jouyet", les trois versions sont apparemment incompatibles. En réalité, les trois sont presque compatibles.
>> Apparemment un menteur, forcément un menteur
- Soit Le Monde affirmant en une de son numéro des 9-10 novembre : "Fillon a sollicité l’Élysée pour accélérer les poursuites judiciaires contre Sarkozy".
- Soit François Fillon, affirmant dans le JDD puis dimanche soir au 20h de TF1 qu’il n’a rien fait de tel, et même pas parlé du paiement par l’UMP des pénalités infligées à Sarkozy pour insincérité de son compte de campagne présidentielle et dépassement du plafond des dépenses autorisées.
- Soit Jean-Pierre Jouyet, contredisant la version de Fillon par un communiqué du 9 novembre à l’AFP : "François Fillon m'a fait part de sa grave préoccupation concernant l'affaire Bygmalion. Il s'en est déclaré profondément choqué (...) Il a également soulevé la question de la régularité du paiement des pénalités payées par l'UMP pour le dépassement des dépenses autorisées dans le cadre de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy"
>> En réalité presque 0 menteur
- Pas Le Monde : les journalistes et la direction de la rédaction auraient forcé le trait en parlant d’une demande d’accélération des poursuites. Elle n’était qu’implicite. Exagéré, pas menti.
- Pas Jouyet : il affirme que Fillon : "a fait part de sa profonde préoccupation concernant l’affaire Bygmalion" et a "soulevé la question de la régularité des paiements des pénalités payées". L’insistance sur deux problèmes, pas la demande d’une intervention.
Le petit mensonge du premier démenti a été démenti (c'est le cas de le dire). Reste que ses déclarations enregistrées sont nettement plus cash et gênantes pour Fillon que son communiqué de l'AFP.
- Pas Fillon : il dénie, et redénie, toute demande d’intervention sur la Justice, et affirme que soit les journalistes, soit le Secrétaire général de l’Élysée ont menti. "Une manipulation (ou) une machination". Cela n’exclut pas qu’il en ait parlé. Ce que, en réponse à Claire Chazal, il nie.
Alors : "beaucoup de bruit pour rien" ? Car, que l’on sache, il n’y a pas eu la moindre intervention, et que les points de vue des uns et des autres ne diffèrent qu’à la marge.
Oui, beaucoup de bruit pour rien dans un monde rationnel, où l’on décortiquerait les déclarations en attendant d’établir, autant que faire se puisse, la vérité.
Non, un scandale pour Fillon, ou Jouyet, ou les deux, dans un monde politico-médiatique simplificateur qui ne retiendra que trois choses :
- Que l’ex-Premier ministre et aujourd’hui concurrent de Sarkozy a évoqué des affaires pouvant le mettre en difficultés avec le n°2 de l’Élysée.
- Que ledit n°2 l’a écouté, et transmis au Président, qui aurait pu donner suite.
- Que l’un fut ministre dans le gouvernement de droite de l’autre, avant de devenir Secrétaire général de l’Élysée du socialiste Hollande.