Faut-il une sorte de "concordat" entre l'État et le culte musulman ? Alors que la loi de 1905 établit la séparation des Églises et de l'autorité publique, et donc le principe de laïcité de la République et de la société françaises, les questions liées aux difficultés organisationnelles de l'islam en France font resurgir ce débat. Voilà quelques temps que Benoît Hamon, par exemple, y réfléchit. Sans pour autant prononcer le terme de "concordat" et en défendant l'application de la loi de 1905.
Le 10 juillet, le député PS des Yvelines accordait à Libération une longue interview croisée avec Gérald Darmanin. Le maire LR de Tourcoing et vice-président de la région Hauts-de-France, auteur d'un Plaidoyer pour un islam français. Les deux hommes y faisaient valoir une approche non-"hystérisée" de ce débat souvent incendiaire en France. Ils y échangeaient leurs vues et ébauches de solutions quant au financement des mosquées ou la formation des imams. Jeudi 28 juillet, sur BFMTV, Benoît Hamon revient sur ces questions, alors que selon Le Canard Enchaîné, Bernard Cazeneuve "s'interroge" sur l'opportunité d'un "concordat" avec l'islam.
Sans aller jusque là, l'ancien ministre de l'Éducation nationale se dit favorable à une vraie réflexion tendant vers un accord entre l'État et l'autorité religieuse musulmane, dans le respect du principe de laïcité :
"Il faut qu'il y ait ce moment, dans la République, dans la relation de la République à l'islam de France, où on construit un compromis comme il s'est construit sous Bonaparte avec les juifs, comme il s'est construit avec les catholiques et les protestants en 1905. Il faut ce moment, il faut y travailler.
[...] S'il doit y avoir un texte, une charte, un moment où cet accord se noue, se construit, soit. Mais ensuite je pense que les règles qui ont été édictées par la loi de 1905 restent les bonnes. Parce que la loi de 1905 est une loi de tolérance. La laïcité, c'est un principe, c'est pas une valeur. C'est un principe qui permet de faire vivre toutes les autres valeurs : liberté, égalité, fraternité. Et c'est ce principe qui organise la coexistence, le vivre-ensemble, qu'il faut soigner.
"
Il prévient cependant qu'il n'appartient pas aux responsables politiques de définir arbitrairement ce cadre, en s'érigeant en "exégètes du Coran". Et appelle de ses vœux l'élaboration d'une "autorité" du culte musulman qui ne souffre pas d'un manque de légitimité, comme c'est le cas du Conseil français du culte musulman (CFCM) :
"- Benoît Hamon : C'est pas à nous de dire 'c'est comme ça et pas autrement'. [...] [Le CFCM], tout le monde voit bien aujourd'hui que ça ne marche pas bien, qu'il y a des querelles de pouvoir, des divisions et puis surtout qu'il souffre d'un déficit de légitimité auprès des fidèles, ce qui est un sujet. [...] Il s'agit de parler de millions de Français qui vivent tranquillement une foi, d'ailleurs avec plus ou moins de distance, certains très pieux, d'autres pas, et qui voudraient pouvoir, dans la République, la vivre en respectant la loi de 1905. Moi je pense qu'il faut une autorité qui soit légitime et organisée comme telle. Je suis favorable à ce qu'on puisse se pencher sur la manière dont on finance les lieux de culte. [...] Je ne pense pas que ça puisse être de l'argent public. C'est la différence que j'ai avec Gérald Daramanin, qui se prononce pour que les municipalités puissent financer l'aménagement, l'entretien [des mosquées].
- BFMTV : Vous dites que ça doit être l'argent des musulmans qui finance leurs lieux de culte ?
- Benoît Hamon : Je pense que c'est là que la taxe sur le halal - dès lors qu'elle est contrôlée par un compte de la Caisse des dépôts, contrôlée dans son usage en lien avec ce que serait cette autorité du culte musulman - pourrait être un principe sur lequel on s'engage. L'intérêt, c'est quoi ? C'est finalement de tarir les sources de financement qui viennent de l'étranger - on aurait comme ça des lieux de culte qui seraient construits sans être dépendants de financements de l'étranger donc de l'influence, le cas échéant, d'un État étranger - et de pouvoir maîtriser en toute transparence les conditions dans lesquelles on construit et on entretient des lieux de culte.
"
"La réalité, c'est que les musulmans aujourd'hui respectent toutes les lois de la République !, précise-t-il ensuite. On fait comme s'il y avait une communauté composée de 4, 5, 6 millions de Français qui vivraient sous les lois de la Charia, c'est pas le cas ! Aujourd'hui en France, tout le monde respecte toutes les lois de la République." C'est donc non pas sur une supposée "incompatibilité avec les valeurs de la République", mais plus sur l'organisation concrète du culte et les moyens d'endiguer les dérives extrémistes par une plus grande proximité avec l'État, que se porte sa réflexion.
Gérald Darmanin, lui, faisait valoir dans les colonnes de Libé :
"La loi de 1905 est une loi extraordinaire. Je ne veux pas la défaire : je veux la renforcer. Il faut l’enrichir comme si l’islam avait existé en France en 1905. Je ne suis pas un laïcard qui nie la religion. Je considère qu’il est tout à fait normal que l’État s’y intéresse. Non pas pour dire comment on prie mais pour aider à organiser le culte. On a fait ce travail avec les catholiques, avec les protestants, avec les juifs. On ne l’a pas fait avec l’islam.
"
Des questions qui se posent donc dans le contexte actuel du terrorisme qui frappe de plus en plus souvent et du phénomène de radicalisation qui touche certaines personnes se réclamant de l'islam. À ce sujet, Benoît Hamon développe d'ailleurs :
"La question centrale qui nous est posée, à nous responsables politiques, c'est : qu'est-ce que toute cette année dit de nous, aussi. Qu'il y ait autant de Français qui commettent aujourd'hui - même si certains sont psychiatriquement atteints, etc. - commettent des attentats d'une telle barbarie. Qu'est-ce que tout ça dit de nous, du délitement, d'une forme d'autodestruction de la société française ? Moi je m'interroge aussi sur le fait que la République a véhiculé un imaginaire puissant - celui de l'égalité, de la liberté, de la fraternité - mais quand, et ça ne concerne pas que des quartiers populaires mais dans des pans entiers du territoire français, on fait davantage l'expérience de la contrainte que de la liberté, davantage l'expérience de l'inégalité ou de l'injustice - on a l'impression qu'on n'a pas les réseaux, on n'a pas les chances, y'a des choses qui sont pas pour vous et elles sont toujours pour les mêmes -, quand on fait davantage l'expérience de la discrimination que de la fraternité... On doit s'interroger : comment est-ce que ce modèle là, qui était puissant, qui a mobilisé des générations pour s'imposer comme un modèle unique, comment, aux yeux de certains, est-il devenu si laid ?
"