On est allé voir pourquoi Valeurs actuelles a été rebaptisé Valeurs poubelle

Publié à 13h46, le 12 septembre 2013 , Modifié à 16h22, le 12 septembre 2013

On est allé voir pourquoi Valeurs actuelles a été rebaptisé Valeurs poubelle
(montage de la une du 22 août)

Il y a eu "La déferlante Marine Le Pen", "L’école malade de la gauche", "L’incapable" avec une large photo de François Hollande ou encore la dénonciation de "La chasse à l’homme" menée contre Nicolas Sarkozy.

Mais il y a surtout eu "Roms : l’overdose", cette une du 22 août de Valeurs actuelles qui a indigné les réseaux sociaux et entrainé un communiqué du Parti socialiste : le magazine y était rebaptisé “Valeurs poubelles”.

Valeurs actuelles connait sa réputation. “On nous traite de journal très à droite ou d’extrême-droite”, constate sans s’en émouvoir Yves de Kerdrel, à la fois directeur général et directeur de la rédaction du magazine, diffusé aujourd'hui à 92.000 exemplaires. Quelques mois plus tôt, le magazine ne faisait pourtant pas de vague. A titre de comparaison, son numéro d’août 2010 parlait déjà des Roms mais avec cette une bien plus neutre :”Enquête sur les Roms, qui sont-ils ? Que font-ils ?

Alors comment passe-t-on d’une réputation de magazine plan-plan à celle de suppôt de Marine Le Pen ? De l’enquête sur les Roms à l’overdose de Roms ? Mais aussi à un journal prisé par la droite, au point de publier les premières confidences de Nicolas Sarkozy ? Le Lab est allé leur rendre une petite visite.

Dans une conférence hebdo de Valeurs actuelles, les questions politiques et de société tiennent une place centrale. Ce sont elles qui éveillent les journalistes - une quinzaine réunie autour de la longue table ovale, peu de jeunes premiers - et qui suscitent le débat. On y parle peu querelles de personnes et beaucoup valeurs politiques.

On y évoque Marseille et "la tolérance zéro" qu’il faudrait appliquer dans les quartiers, "comme à New York", parce que "l’éducation c’est bien, mais c’est dans dix ans". On s’interroge sur les valeurs qui divisent la droite, sur l’impact de la Manif pour tous dans l’évolution de l’UMP, on parle "ligne Buisson" et, d’ailleurs, on aimerait bien lui accorder une interview. On réfléchit au "communautarisme", à ces parties de France "laissées à l’abandon". On se souvient que la démographe Michèle Tribala - celle qui estime par exemple que "l’islam reste une menace" - a planché sur la naturalisation.

Rien d’extrême-droite là-dedans, poursuit Yves de Kerdrel qui dresse ainsi le portrait de son lectorat :

Le profil type est un Français bourgeois, rural, de profession libérale, avec des préoccupations très provinciales. Il est contre le politiquement correct et contre le parisianisme.

En revanche, le lecteur de Valeurs actuelles vote assez peu FN. "Beaucoup moins que celui du Figaro Magazine ou de Marianne", tient d’ailleurs à souligner le directeur de la rédaction, qui n’en est pas à son premier canard :

La dernière étude typologique nous a montré que seuls 13% de nos lecteurs avait l’intention de voter Front national.

Pour être sûr de ne pas être assimilé au FN, Yves de Kerdrel raconte même avoir refusé de faire une campagne de pub propre à Marseille, ville où se tiendront les universités d’été du parti mi-septembre, car la dernière une du magazine aurait pu créer une confusion : "il ne fallait pas prendre le risque d’être confondu avec une affiche électorale."

Quelques pincettes donc. Mais à part ça, le magazine assume, et même revendique, ses unes "choc". Il faut dire que cette nouvelle titraille entre dans une stratégie plus globale de nouvelle formule, imaginée avec l’arrivée d’Yves de Kerdrel en octobre 2012 et lancée en janvier 2013. Refondation de la maquette mais aussi changements éditoriaux pour mieux vendre en kiosques.

Et les unes choc, résumées dans la bouche de Jean-Claude Dassier, le vice-président du magazine, cela donne ça :

C’est de la provocation, on le fait exprès évidemment. Dans les kiosques, il faut comprendre qu’on est rangé entre Alternatives économiques et Jeune Afrique.

Quand on est petit au fond d’une classe, il faut bien être un peu turbulent pour se faire remarquer… ça n’empêche pas de rendre des copies intelligentes.

Partant du principe que l’acte d’achat en magasin est influencé pour moitié par la une, Valeurs actuelles a sciemment misé sur le “buzz” (et le mot vient d’eux). La stratégie a l’air de fonctionner : 47% de ventes en plus en kiosques selon le dernier bulletin annuel de l’OJD, soit 14.000 numéros en août.

Pendant longtemps, ces ventes en kiosques sont restées marginales - "seulement 4.000 exemplaires vendus durant vingt ans", raconte Yves de Kerdrel - pour un journal vivant de sa “culture de l’abonnement”, grâce à une base d’environ 80.000 abonnés. Depuis février 2013 tout particulièrement, la grande nouveauté pour Valeurs actuelles est donc d’être choisi au milieu des autres.

Sur le web, la “turbulence” est également soigneusement entretenue. C’est Louis de Raguenel, ancien conseiller numérique au cabinet de Claude Guéant et pour la police nationale, qui s’en charge :

On essaye de créer de l’appétit sur les unes, les articles ou les sondages, on fait du teasing

Ce qui pour “l’overdose de Roms”, avait donné ça :

Nul "bad buzz" dans la réaction des internautes selon Louis de Raguenel. Il faut faire parler, en bien ou en mal, mais faire parler.

Quitte à devenir "Valeurs poubelles" ? Pour Geoffroy Lejeune, rédac' chef adjoint au service politique, justement auteur du dossier sur les Roms, la ligne du journal n’a pas bougé, seulement sa façon de se mettre en avant. Jeune journaliste, il considère également que la naissance de mouvements comme la Manif pour tous s’est retrouvée en accord avec leur ligne :

2013 est l’année qui a changé la droite, et on a collé à ça.

Lui non plus ne se voit pas du tout fricoter avec le FN. Mais reprend bien volontiers à son compte cette formule de Nicolas Sarkozy :

Si Marine Le Pen dit que le ciel est bleu, je ne vais pas dire le contraire.

 
Quant à la une sur les Roms, il ne l’a pas vraiment choisie. Mais aurait imaginé y aller encore plus franco :

On a parlé d’overdose en s’appuyant sur le sondage qui accompagnait l’article. On aurait pu titrer sur la problématique en tant que telle, en la prenant à notre compte.

Du rab sur le Lab

PlusPlus