Les arrêtés anti-burkini libèrent la parole gouvernementale. Coup sur coup, deux ministres viennent de prendre position contre ces mesures, jeudi 25 août. Et ce alors que le Premier ministre, Manuel Valls, réaffirme au contraire son soutien aux maires qui les prennent.
De bon matin, c'est en effet Najat Vallaud-Belkacem qui a jugé que "la prolifération des arrêtés anti-burkini n’est pas bienvenue". "Jusqu’où va-t-on pour vérifier qu’une tenue est conforme aux bonnes mœurs ? Cela libère la parole raciste et on l’a remarqué dans la verbalisation, dans les incidents…", a fait valoir la ministre de l'Éducation nationale. En début d'après-midi, c'est au tour de Marisol Touraine de s'inquiéter de "la pente glissante sur laquelle est engagé notre pays".
Dans un post de blog relayé sur son compte Twitter, la ministre de la Santé fustige certes le "retour en arrière" que constitue le port du burkini par des femmes en France, ce qu'elle juge "perturbant". Mais c'est pour mieux enfoncer immédiatement :
"Mais faire comme si, en se baignant voilée ou en restant habillée sur une plage, on menaçait en soi l’ordre public et les valeurs de la République, c’est oublier que ces valeurs doivent précisément permettre à chacun de ne pas renier son identité. C’est oublier que la laïcité n’est pas le refus de la religion : c’est une garantie de liberté individuelle et collective. Elle ne peut pas et ne doit pas devenir le fer de lance d’une stigmatisation dangereuse pour la cohésion de notre pays.
"
Pointer du doigt le burkini, tout autant que le simple voile islamique, comme risque de "trouble à l'ordre public" (selon les justifications desdits arrêtés) ouvre donc la voie à une "stigmatisation dangereuse" selon elle. Référence aux diverses femmes voilées qui se sont vues verbaliser et/ou inciter à ôter ces accessoires ces derniers jours à Cannes et Nice, sachant que le voile est autorisé dans l'espace public.
Marisol Touraine estime, dans la lignée du journaliste spécialiste du jihadisme David Thomson, que ces arrêtés et ces dérives font le jeu de Daech. À ce titre, elle n'épargne pas Nicolas Sarkozy :
"Ce climat de haine, ces divisions attisées, le fanatisme en fait son carburant. Il est plus facile de convaincre des individus de se retourner contre un pays dont on leur fait croire qu’il les rejette. Et quand j’entends un ancien Président de la République mélanger immigration, religion et terrorisme, pour appeler à l’assimilation, j’enrage. Ce débat sur l’identité relancé ad nauseam est pernicieux et dangereux, précisément parce qu’il permet toutes les dérives.
"
Mais Manuel valls en prend également une au passage. Évoquant tout à la fois "le voile, la burqa ou le burkini", le chef du gouvernement avait affirmé que "ce sont des signes de revendication, bien sûr, d'un islamisme politique, d'une revendication qui vise à faire en sorte que dans l'espace public, on fasse reculer la République." Marisol Touraine rétorque :
"Il y a un extrémisme islamiste dangereux, il doit être combattu dans le cadre de notre État de droit. Mais faire du port du voile l’expression d’un refus de la République, non. La vérité est que trop souvent, c’est la porte ouverte à tous les excès, à toutes les stigmatisations. Ce n’est pas la République pour laquelle je me bats.
"
Le conflit est donc ouvert au gouvernement sur ce débat, alors que le Conseil d'État entame, dans l'après-midi, l'examen de la validité ou non de l'arrêté pris par la municipalité de Villeneuve-Loubet. Même le sénateur PS très proche de Manuel Valls, Luc Carvounas, a développé un discours tout à fait opposé à celui de son ami à ce sujet.
La ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes Laurence Rossignol avait en revanche, le 15 août, répété son opposition au burkini, cet "archaïsme" qu'elle souhaite combattre sans "arrière-pensées" - sous-entendu pas comme "une partie de la droite dure" qui chercherait à stigmatiser les musulmans.
[BONUS TRACK]
Elle n'est pas ministre mais sa voix porte à gauche. Anne Hidalgo a elle aussi dénoncé l'ampleur de la polémique autour du burkini. Au cours d'une conférence de presse commune avec le maire de Londres, Sadiq Khan, la maire de Paris a tranché, ce jeudi :
"Aller chercher un sujet comme celui là et le poser comme l'alpha et l'oméga autour duquel toute la vie politique française devrait être tournée [...] je trouve que l'on est dans une sorte d'hystérie médiatique qu'il faut arrêter !
"
"Il ne faut pas prendre des sujets qui sont symboliques pour en faire des sujets autour desquels tournerait le débat politico-médiatique. Il y a d'autres choses beaucoup plus importantes en France", a-t-elle ajouté.