Dire que "toutes les civilisations ne se valent pas" est-il uniquement un argument de droite ou d'extrême-droite? Avant même la plume de Claude Guéant, un philosophe plutôt classé à gauche, André Comte-Sponville l'écrivait, comme le rapelle Luc Ferry dans les colonnes du Figaro.
Le Lab a retrouvé une conférence prémonitoire d'André Comte-Sponville en 2003 ainsi qu'un vif débat entre Ferry, Jules Ferry et Georges Clemenceau à l'Assemblée Nationale en...1885 !
Guéant n'a rien inventé
Sur lefigaro.fr
Dans sa tribune, Luc Ferry cite le philosophe André Comte-Sponville avec qui il a d'ailleurs écrit un livre :
Comme l'écrit André Comte-Sponville, qu'on ne soupçonnera pas de rouler pour le Front national, dans ce passage d'un article dont je fais cadeau à Claude Guéant pour sa défense:
«Toutes les civilisations ne se valent pas, ni tout dans chacune d'elles… Disons le donc tranquillement: de notre point de vue, non d'Européens mais de démocrates, une civilisation qui respecte les droits de l'homme est supérieure à une civilisation qui ne les respecte pas. Une civilisation qui prône l'égalité des sexes est supérieure à une civilisation qui veut maintenir les femmes en situation d'infériorité et d'oppression. Une civilisation laïque qui protège la liberté de croyance et d'incroyance est supérieure à une civilisation intégriste…» (Le Goût de vivre, Albin Michel, p. 292).
Le Lab a retrouvé une conférence d'André Comte-Sponville qui mérite d'être lue, à la lumière des propos du ministre de l'Intérieur, quasiment dix ans plus tard.
A la fin d'une démonstration de cing pages consultables ci-dessous, André Comte-Sponville conclut :
C’est donc précisément parce que toutes les civilisations ne se valent pas qu’il faut aider nos amis musulmans, c'est-à-dire ceux des Musulmans qui sont des amis possibles, à résister à la pente historique actuelle qui veut enfermer le monde arabo-musulman dans une horreur obscurantiste et totalitaire qui serait aussi néfaste pour eux, et aussi dangereuse pour le Monde, que l’était l’obscurantisme totalitaire stalinien.
Le Lab remercie Nicolas, philosophe en Haïti, qui nous a envoyé ce document.
D'un Ferry à l'autre
Autre textes un peu longs qui méritent qu'on prenne le temps de s'y pencher, cet échange entre Jules - et non pas Luc - Ferry et Georges Clemenceau, il y a 127 ans.
Pour justifier la politique coloniale de la France, Jules Ferry, député des Vosges et ancien président du Conseil des Ministres déclare le 28 juillet 1885 à la chambre des députés, selon le compte-rendu officiel aujourd'hui sur le site de l'Assemblée :
Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! il faut dire ouvertement qu'en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures... (Rumeurs sur plusieurs bancs à l'extrême gauche.)
De nos jours, je soutiens que les nations européennes s'acquittent avec largeur, avec grandeur et honnêteté, de ce devoir supérieur de civilisation.
Réponse du député radical de Paris et pas encore président du Conseil, Georges Clemenceau, trois jours plus tard, le 31 juillet 1885, toujours selon les archives numériques de l'Assemblée.
Les races supérieures ont sur les races inférieures un droit qu'elles exercent, ce droit, par une transformation particulière, est en même temps un devoir de civilisation. Voilà en propres termes la thèse de M. Ferry, et l'on voit le gouvernement français exerçant son droit sur les races inférieures en allant guerroyer contre elles et les convertissant de force aux bienfaits de la civilisation. Races supérieures ? races inférieures, c'est bientôt dit ! [...] L'histoire de France depuis la Révolution est une vivante protestation contre cette inique prétention.