KEM’S ET CONTRE KEM’S – Faire bonne figure avec les associations de lutte anti-discrimination et les politiques, au premier rang desquels la porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem… pour mieux affirmer sa non-volonté de se soumettre aux injonctions judiciaires.
Twitter, à qui la justice française a ordonné, le 24 janvier 2013, la communication, dans un délai de "quinze jours [suivant] la signification de la décision", de "données" devant permettre "l’identification" des auteurs de tweets "manifestement illicites" - et en l’occurrence antisémites - a joué un jeu de billard à plusieurs bandes, ce vendredi 8 février, pour mieux tenter de se débrouiller d’une situation délicate.
La partie s’est largement jouée au cours d’une réunion de 2h30, qui s'est déroulée au 35, rue Saint-Dominique, dans le 7è arrondissement de Paris, au sein du ministère du Droit des femmes.
Participaient à cette réunion, qui s'est déroulée à huis-clos :
- des représentants du réseau social - et notamment son general counsel, ou patron des affaires juridiques, l’américain Alexander Macgillivray,
- des représentants d’associations de lutte contre l’homophobie - le Ravad , et l’Inter-LGBT
- et la ministre Najat Vallaud-Belkacem, chargée d’une mission de lutte contre les discriminations en raison de l’orientation sexuelle par le Premier ministre.
Le premier coup de billard se situe sur le terrain juridique pur
Au cours de cette réunion, les représentants de Twitter ont notamment annoncé, selon le récit livré par Najat Vallaud-Belkacem à l’issue de la rencontre, que la décision de l’entreprise d’interjeter appel de la décision du TGI de Paris, "n’est pas encore prise".
D’autres participants de la réunion ont même précisé au Lab que l’entreprise s’était clairement décrite "non satisfaite" par la décision du TGI, mettant en avant la nécessité d’une régulation "internationale" sur ces questions, et non un traitement pays par pays.
Si l’entreprise se contente aujourd’hui de se montrer insatisfaite, sans indiquer si elle fera ou non appel de la décision, c’est, selon les informations recueillies par Le Lab de source proche du dossier, parce que le réseau social considère ne pas encore avoir été notifié formellement de la décision de justice.
Autrement dit : Twitter estime le fameux délai de 15 jours n’est pas encore enclenché.
Du coup, l’entreprise, qui joue donc clairement la montre, a tout intérêt à multiplier, dans le même temps, la démonstration des preuves de bonne volonté.
L’un des participants à la réunion résume du coup l’atmosphère qui régnait lors de la rencontre :
"On n’avait pas des portes de prison en face de nous.
"
Et c’est bien sur ce terrain de la communication qu'intervient le deuxième coup de billard
Au cours de cette même réunion, Twitter a également fait bonne figure en présentant, comme l’a ensuite détaillé Najat Vallaud-Belkacem, la mise en place d’un "dispositif" de signalement de messages illégaux.
Ce dispositif permettrait à plusieurs associations de bénéficier d’un statut particulier, leur garantissant que leurs éventuels signalements de messages haineux seraient traités de manière prioritaire.
Voici le détail de ce "statut", tel que présenté par Najat Vallaud-Belkacem :
"C’est un statut qui leur [permettra] d’envoyer des messages de rappel à la loi, ou de rappel à la décence […] qui [bénéficieront] d’une très grande publicité et qui [arriveront] systématiquement en haut d’une page concernant un sujet.
Par exemple, si la page concerne l’homophobie, c’est le message de l’association qui rappelle que l’homophobie est un délit sanctionné par la loi en France, qui apparaitrait tout en haut et qui aurait le plus de visibilité.
"
Les associations anti-homophobie représentées vendredi lors de la rencontre avec Twitter ne seront pas les seules qui pourront bénéficier de ce dispositif.
Najat Vallaud-Belkacem souhaite ainsi qu’il puisse profiter à :
"Toutes les associations engagées dans ces combats contre la haine au sens large.
"
La porte-parole du gouvernement assure que la présentation du dispositif est "une question de jours", puisque "une première réunion [doit] avoir lieu très prochainement avec le ministère de l’Intérieur, qui est l’interlocuteur idoine pour cela".
Le dernier coup de billard pourrait toutefois venir d’une association qui n’était pas représentée ce vendredi lors de la rencontre avec Twitter
L’UEJF, Union des étudiants juifs de France, principale auteure de l’assignation en référé, fin novembre 2012 et dont Najat Vallaud-Belkacem a d’ailleurs souligné "le courage [d’avoir] initié cette action en justice parce que ce n’est jamais facile et que les associations préféreraient se consacrer à leur travail de terrain quotidien plutôt que d’entamer des poursuites judiciaires", affiche déjà son intention de porter l’affaire devant le terrain de la justice pénale, si Twitter refusait d’obtempérer à la décision du TGI de Paris, comme l’a indiqué vendredi son président, Jonathan Hayoun, sollicité par Le Lab.
Sur le fond, Twitter continue, comme il a eu l’occasion de le faire devant le Tribunal de Grande Instance de Paris, à se définir comme un prestataire technique, et assure que sa filiale française, immatriculée au registre du commerce depuis le 19 novembre 2012, a, et conservera, avant tout une vocation commerciale.
Autrement dit : qu’elle n’a pas vocation à opérer une modération sur les contenus postés sur son site, ni à transmettre des données.
(avec Paul Larrouturou)