La pièce de théâtre de Stéphane Fouks devant les députés de la commission d'enquête sur l'affaire Cahuzac

Publié à 12h42, le 18 juillet 2013 , Modifié à 13h18, le 18 juillet 2013

La pièce de théâtre de Stéphane Fouks devant les députés de la commission d'enquête sur l'affaire Cahuzac
Stéphane Fouks à l'Asemblée nationale, mercredi 27 juillet (captures d'écran)

ACTOR'S STUDIO - Auditionné par la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire Cahuzac, Stéphane Fouks, patron de l’agence de communication Havas Worldwide, ex-EuroRSCG, a interprété une véritable pièce de théâtre, ce mercredi 17 juillet, à l’Assemblée nationale.

Objectif de cette représentation unique : convaincre son auditoire que la "vérité" guide son action de communiquant.

- Jurez-vous de dire la vérité, rien que la vérité ?
- Je le jure 
(captures d'écran)

Ce faisant, cet agent d'influence se positionne en opposition totale avec l’une de ses anciennes protégées, devenue éminente consoeure en communication, Anne Hommel.

L'ancienne conseillère en com’ de DSK à l’époque FMI, théorisait ainsi dans Le Nouvel Obs, en avril 2013 :

"

La vérité n’est pas mon sujet.

"

PROLOGUE

Où le héros du jour quitte la coulisse pour la scène

Habituellement, Stéphane Fouks, est un homme de l’ombre.

L’un de ceux qui murmure à l’oreille des patrons et des politiques, pour leur glisser des "éléments de langage", leur organiser un "media training", voire, à l’occasion, leur suggérer une proposition d’amendement parlementaire.

Bref, Stéphane Fouks est un entremetteur qui, dans la coulisse, s’agite, téléphone, analyse, réseaute, pour défendre les intérêts de ses clients - de nombreuses entreprises privées, un nombre conséquent d’institutions publiques, ainsi que quelques personnalités politiques.

Ce mercredi 17 juillet, le changement des rôles est complet.

Fouks, contrairement à son habitude, se trouve en pleine lumière, avec plusieurs caméras braquées sur lui, et même quelques photographes qui lui collent aux basques, venus renouveler leur stock de photos du communiquant / chef d’entreprise.

Surtout, cette fois, il n’est plus le souffleur, mais l’acteur. Objet de toutes les questions de la quinzaine de députés qui siègent, ce jour-là, sur les bancs de la commission d’enquête parlementaire qui décortique la gestion, par le gouvernement, de "l’affaire Cahuzac".

Stéphane Fouks est l'un des derniers témoins auditionné par les députés.

Il arrive seul dans la salle d’audition, ne sort aucune note, refuse la proposition d’une prise de parole liminaire, et enchaîne directement sur une session de questions-réponses, qu’il aborde les deux mains fermement jointes.

ACTE I : SUR LES FAITS, TRES PEU TU EN DIRAS

Où la pièce tient du mauvais rapport de police

Fouks fait un point d’honneur à répondre en livrant peu d’éléments factuels.

On les résume en accéléré (vous pouvez également vous référer au traitement qu’en a fait Mediapart - article payant - si vous êtes curieux) :

> Le patron d’Havas raconte donc avoir échangé "trois ou quatre fois", allez, tout au plus "une demi-douzaine de fois", depuis décembre, avec "Jérôme", lui apportant un coup de main "amical" dans la construction de sa stratégie de communication.

> Non, il n’était bien sûr pas au courant de l’existence d’un compte en Suisse de Jérôme Cahuzac, qui ne lui en a révélé l’existence qu’"à la toute fin". Et, encore, le ministre du Budget qui s’apprêtait à démissionner ne l’a-t-il alors fait qu'"à demi-mots".

> Non, évidemment, il n’a pas parlé avec le ministre de l’Intérieur Manuel Valls, son ami de fac, de l’affaire Cahuzac.

> Non, bien sûr, ce n’est pas lui qui a organisé la "fuite" vers Le JDD des conclusions partielles de la demande d’information retournée par les Suisses à Bercy et qui, selon l’hebdomadaire, "blanchissaient" Jérôme Cahuzac.

> Quant à la question d’éventuels échanges entre lui et Alain Bauer, qui figure tout à la fois parmi les intimes du ministre de l’Intérieur et de Stéphane Fouks, et qui assurait à une journaliste du Monde, dès le 12 décembre, que Jérôme Cahuzac avait bien un compte en Suisse, elle ne lui sera tout simplement pas posée.

ACTE II : IL N'EST POINT DE BONNE COMMUNICATION INTERMEDIEE

Où la pièce prend un virage comique

 

Attention, moment plutôt amusant. Pour ne pas rester cantonné aux faits, Fouks va progressivement, monter en généralités. Assez rapidement dans l'audition, il va donc se mettre à énoncer des considérations sur l'art de bien ou mal communiquer.

Le chef d’entreprise, dont le travail consiste à représenter les intérêts de ses clients en influençant notamment le traitement médiatique dont ils bénéficient, explique ainsi le plus sérieusement du monde aux députés qu’il n’est pas du genre à partager des infos avec des journalistes qui, par nature selon lui, produisent une information suspecte de partis-pris.

Près de dix fois, il va raconter la même histoire : faire fuiter une décision de justice, même partielle, à un journaliste, c’est une erreur de com'.

Attention, la tirade est un peu répétitive.

Une fois :

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Dans une affaire judiciaire, il n’y a que la justice qui peut vous blanchir.

"

Deux fois : 

"

Et [..] ça ne vous sert à rien de passer par les médias pour essayer, d’une quelconque manière, de faire pression sur le cours des choses et des événements.

Et quand il y a des documents, surtout quand il y a des documents qui sont favorables [...], il vaut mieux les laisser être utilisés - et sortir - par les voies judiciaires que de faire quoi que ce soit avec [...].

"

Trois fois :

"

Je considère que son innocence doit être manifestée par la justice, et pas par les médias [...].

"

Quatre fois :

"

Si vous regardez comment j’ai pu traiter d’autres affaires médiatiques, vous verrez que, justement, je ne procède pas par fuites dans les médias [...].

"

Cinq fois :

"

Et donc je considérais vraiment que c’était à la justice, si elle le désirait, de faire sortir ce document, et certainement pas à nous [...].

"

Six fois :

"

[Le rapport partiel des autorités suisse], c'est une information qui sera beaucoup efficace utilisée et communiquée par la justice, que communiquée par les médias.

"

Sept fois :

"

Quand les médias communiquent ce type d’information, il y a toujours, et c’est normal, un doute.

Et donc pour moi, ce document qui, tel que je le comprenais, permettait de manifester l’innocence de Jérôme Cahuzac, devait être communiqué par la justice, et certainement pas par d’autres mains.

"

 >> Regardez ce passage en vidéo :

ACTE III : LE CODE D'HONNEUR DES SPINDOCTORS

Où l’on apprend que les communiquants n’ont pas d’ordre mais ont quand même un code d'éthique

Les personnages restent les mêmes - Stéphane Fouks, les députés.

Mais là, le patron tente une opération un peu hasardeuse : expliquer aux parlementaires qu’en face d’eux, ils ont le représentant d’une profession qui obéit, à l’unission, à quelques règles d’éthique bien particulières, par tous partagées.

Autrement dit : là, dans la salle Lamartine de la rue de l’Université, ce n’est plus Stéphane Fouks, l’ami tellement proche de Jérôme Cahuzac que celui-ci lui avait confié la réalisation de ses implants capillaires (true story) qui répond aux parlementaires.

Mais un communiquant comme un autre :

"

Pardon, mais tous les professionnels de la communication disent la même chose, je n’ai aucune originalité [...].

Dans ce métier, vous apprenez à garder les choses pour vous.

Vous êtes parfois détenteurs des secrets de vos clients, on est tenus parfois à une forme de secret professionnel, quand on fait des opérations financières ou de communication pour nos clients, et donc les communiquants, depuis longtemps, en tout cas les bons, ont appris à se taire.

Il n’y pas d’ordre chez les communiquants, nous ne sommes pas une profession héritée de Vichy [rires].

[Mais] il y a une déontologie professionnelle, et il y a un syndicat professionel, qui, évidemment, édicte non pas des textes législatifs [...] mais les règles déontologiques pour la profession.

"

ACTE IV : LA VERITE, TOUJOURS, TU CHERIRAS

Où l’on apprend qu’EuroRSCG est le chantre de la vérité

Voilà assurément le moment le plus surprenant de cette courte pièce - et qui, d’ailleurs, a provoqué quelques réactions amusées sur twitter lorsque le Lab en a rendu compte en live depuis l’Assemblée.

Stéphane Fouks constate ainsi :

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On vit dans une époque dans laquelle vous ne cachez jamais la vérité.

Elle finit toujours par sortir.

La question n’est pas de savoir si elle va sortir, la question elle est de savoir éventuellement quand et comment.

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Conséquence, selon Fouks ?

"

Le mensonge est une arme imbécile qui se retourne contre ceux qui l’utilisent. Notre métier est un métier qui est un métier d’exercice de la vérité.

 

Parce que nous construisons des marques, nous travaillons à faire, dans le monde entier, des marques.

Comment est-ce que vous pouvez construire la confiance sur le mensonge ? C’est d’ailleurs une problématique qui vaudrait, de manière générale, pour les politiques, alors que je vois des cultures qui sont différentes [...] entre le monde de l’entreprise et la politique, sur ces sujets.

Notre culture, je dirai la discipline de l’agence sur la communication de crise telle que nous la déployons à l’international et auprès de l’ensemble de nos clients, c’est, toujours, d’être dans la vérité [...].

 

Nous savons que la culture de notre métier, c’est que tout ce qui est dit doit être vrai. Et c’est d’autant plus important qu’aujourd’hui on vit dans une société qui a de la mémoire, que tout se sait, et que tout s’entend.

"

Voici la leçon de com' de crise de Stéphane Fouks :

EPILOGUE

Montre en main, l'audition de Stéphane Fouks, mercredi 27 juillet, aura duré un peu moins de 40 minutes, avec un retentissement limité. Dans la foulée, les députés de la commission ont décidé de ré-auditionner Jérôme Cahuzac, mais la demande, formulée par des députés UMP, d'entendre Jean-Marc Ayrault est restée lettre morte.

Les députés ont toutefois prévu de passer à la question Marion Bougeard, qui fut la conseillère en communication de Jérôme Cahuzac à Bercy. 

Stéphane Fouks, lui, jure mordicus qu'on ne l'y reprendra plus, à faire de la politique : 

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[La communication politique, c'est] une activité qui représente 1 % du chiffre d'affaires d'Havas Worldwide et 99 % de ses emmerdes.

"

BONUS-TRACK : mais combien Havas a facturé à Bercy ?

Charles de Courson, le président (UDI) de la commission d’enquête, raconte, lors de l’audition de Jérôme Cahuzac, que, dans le cadre du contrat-cadre qui liait Bercy à EuroRSCG, et qui avait été attribué à l’agence de Stéphane Fouks par l’ancienne majorité, "six factures" ont été régulièrement soumises et réglées par Bercy, pour un montant total de 16.000 euros hors taxe - soit un total de 96.000 euros hors taxe.

Problème ? Stéphane Fouks n’a manifestement pas le même montant en tête :

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Au total, l’agence aura facturé pour 64.000 euros [pour] quatre factures.

"

Sollicité par le Lab mercredi 17 juillet, le cabinet de Pierre Moscovici n’a (pour l’instant) pas apporté plus de précision sur ce point.

Du rab sur le Lab

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