REVOYONS L'ACTION AU MAGNÉTOSCOPE, THIERRY - Manuel Valls et Michel Sapin ont donné une étrange impression de grand n'importe quoi, en direct chacun sur sa chaîne de télé, jeudi 26 mai. À première vue, on pouvait penser que le ministre des Finances et le Premier ministre étaient en totale contradiction quant à la nécessité, ou non, de modifier le très polémique article 2 de la non moins polémique loi Travail. En réalité, il semble qu'un tout petit peu de précipitation de toutes parts ait provoqué cet imbroglio matinal.
Rappel : mercredi, Bruno "Relou" Le Roux a légèrement semé la pagaille en se disant ouvert à une réécriture de l'article 2 de la loi Travai, qui cristallise toutes les tensions entre le gouvernement et (notamment) la CGT. Une manière d'ouvrir la porte à un dialogue pour une sortie de crise. Mais le patron des députés PS avait été aussitôt publiquement contredit par Stéphane Le Foll et Manuel Valls.
# Étape 1 : Valls sur BFMTV
Un Manuel Valls qui a l'a répété sur BFMTV jeudi 26 mai. Peu après 8h30, le Premier ministre est interrogé sur cette question de l'article 2. Il dit alors : "Je suis toujours ouvert quand il faut améliorer tel ou tel aspect mais en revanche, sur les grandes lignes du texte et notamment l'article 2 [...], ça il n'est pas question évidemment d'y toucher."
"Il peut toujours y avoir des modifications, des améliorations", avait-il concédé auparavant, tout en faisant comprendre que la "philosophie" de l'article 2 était intouchable.
# Étape 2 : Sapin sur LCP
L'interview de Michel Sapin sur LCP, pour sa part, commence à 9 heures. Il se voit notamment poser cette question : "Ce matin, Manuel Valls fait un peu marche arrière, il dit qu'il peut y avoir finalement 'des modifications et des améliorations' sur le texte. Hier dans l'hémicycle, il a dit 'ni retrait ni modification de la loi Travail'. On ne comprend plus très bien la position du Premier ministre..." C'est en réponse à cela qu'il déroule :
"- Michel Sapin : On a le droit d'être un tout petit peu plus subtil que la manière dont vous vous exprimez. Il n'y aura pas de retrait. Il n'y aura pas de remise en cause des principes qui sont dans la loi parce que ça reviendrait au même. [...] Par contre, on peut maintenir et le texte et les dispositions principales et être dans le dialogue, dans la négociation avec les organisations syndicales, patronales. [...]
- LCP : Est-ce qu'il faut toucher à l'article 2 ?
- Michel Sapin : Peut-être qu'il faut toucher à l'article 2 sur des points qui ont été d'ailleurs très bien décrits par [la députée PS et présidente de la commission des Affaires sociales] Catherine Lemorton à l'instant.
- LCP : Donc un accord de la branche sur l'accord d'entreprise ?
- Michel Sapin : Il faut regarder tout cela. Tout cela, ce sont des sujets qu'il faut regarder dans le détail parce que le dialogue c'est ça, c'est d'être en finesse.
"
Loin d'être une remise en cause frontale de la position de Manuel Valls, le propos du ministre des Finances s'inscrit dans l'hypothèse qui lui est présentée de cette "marche arrière" du chef du gouvernement. Dans ce cadre de réflexion, Michel Sapin (qui n'a donc probablement pas pu écouter l'interview de Manuel Valls, en tout cas pas en intégralité), abonde et évoque quelques "points" qui peuvent "peut-être" faire l'objet d'une modification.
# Étape 3 : re-Valls (sur RMC)
Mais à 9h27, la phrase "peut-être qu'il faut toucher à l'article 2" fait l'objet d'une dépêche "urgente" de l'Agence France Presse. L'interview de Manuel Valls est toujours en cours, le Premier ministre répondant aux questions des auditeurs sur RMC. Jean-Jacques Bourdin, prenant connaissance de ces propos de Michel Sapin, interroge donc le chef du gouvernement sur ce qui ressemble à un bien gros couac, lui demandant "qui gouverne" dans ce pays, Michel Sapin étant un proche de François Hollande. Manuel Valls martèle alors : "Non, on ne touchera pas à l'article 2." Et ajoute :
"On peut toujours améliorer, toucher tel ou tel aspect. Mais la philosophie de l'article 2, la négociation dans l'entreprise, ça, on n'y touchera pas.
"
Il semblerait donc bien qu'en réalité, Manuel Valls et Michel Sapin soient peu ou prou sur la même longueur d'ondes. C'est par le jeu des déclarations interposées, forcément raccourcies pour les besoins des dépêches et des questions des journalistes, qu'ils ont semblé en contradiction totale.