C’est Michel Sapin, le ministre du Travail, qui l’assure ce lundi 3 juin, invité de LCI: les journalistes ont inventé un "couac" sur la réforme de l’auto-entrepreneuriat, entre le premier ministre Jean-Marc Ayrault, qui a pris la parole sur le sujet vendredi 31 mai, à Annonay, et sa ministre, issue des rangs du Parti Radical de Gauche, Sylvia Pinel, qui s’est, elle, exprimée sur le dossier dans la presse, dimanche 2 juin.
Voici ce qu’affirme le ministre du Travail, lorsque le journaliste de LCI lui demande de commenter les prises de position apparemment contradictoires des deux membres du gouvernement :
Eh ben là, vous inventez le couac.
J’étais avec le premier ministre, ça tombe bien, puisque je l’ai entendu parler de ça.
Il n’a jamais dit que ce serait limité au seul secteur du bâtiment.
Et Michel Sapin d’expliquer, bien lourdement, que le bâtiment, ce n’était qu’un exemple, rien qu’un exemple :
Il a dit, à juste titre, comme exemple, que dans le secteur du bâtiment, par exemple, ça avait eu comme conséquence de détruire des emplois dans le monde artisanal et commercial, lorsque ce système, qui est bon dans son principe, est détourné.
Vous n’en n’avez pas assez ? Michel Sapin développe encore sur cet exemple du secteur du bâtiment - alors même que le point qu’il évoque est une dérive propre à tous les secteurs d’activité:
Vous voulez que je prenne un exemple dans le bâtiment ? Il y a des entreprises qui ont dit à leurs salariés: "Vous sortez de l’entreprise, vous n’êtes plus salarié, vous êtes maintenant autoentrepreneur, et je ne travaillerai qu’avec vous."
Oui, décidément, Michel Sapin le jure : Les médias ont inventé un couac.
Et il le redit:
Donc vous voyez, quand on veut inventer un couac, on peut toujours le faire, mais […] j’étais avec lui, moi ça m’a semblé très clair. Après d’autres peuvent …
Alors, comme le dit Michel Sapin, les médias ont-ils inventé de toute pièce un nouveau "couac" gouvernemental?
Ce vendredi 31 mai, en marge d’un déplacement à Annonay sur le thème de l’emploi, dans l’entreprise "Irisbus", Jean-Marc Ayrault a effectivement été interrogé par quelques journalistes sur la polémique des "poussins", ces autoentrepreneurs protestant contre les pistes de réforme du statut de l’autoentreprise esquissées par Sylvia Pinel, le 23 mai.
Voilà très précisément ce que dit Jean-Marc Ayrault, sans coupure aucune:
Les autoentrepreneurs, c’est un statut qui existe, qui permet de créer très rapidement une entreprise. Donc il faut le sécuriser. Je rassure tous ceux qui s’en inquiètent.
Il y a un problème, qui a été soulevé par les artisans du bâtiment, parce que là, il y a effectivement une concurrence qui peut s’avérer … (long silence) je dirai … inacceptable pour les professionnels.
Les professionnels du bâtiment, ça demande énormément de compétences, de savoir-faire, de respects d’un certain nombre de règles, sécurité, environnement, règlementation.
Donc, ce qui est proposé, c’est que, lorsque un autoentrepreneur dans le bâtiment, notamment les secteurs artisanaux s’installe, au bout de deux ans, si son entreprise est viable, qu’il rejoigne le droit commun.
Mais pour tous les autres, y compris sur le régime fiscal, je pense par exemple à des autoentrepreneurs qui vont s’installer dans le secteur des métiers du numérique, il faut qu’ils soient rassurés, il faut qu’ils soient sécurisés.
Notez-bien, car c'est important pour la suite: Jean-Marc Ayrault évoque bien un sort spécifique pour le bâtiment, et lui seul, puisque "tous les autres" secteurs ne sont pas compris dans ce retour à un statut de droit commun.
Reprenons la déclaration de Jean-Marc Ayrault:
En tout cas, c’est le message que j’annonce. Il n’y a pas d’inquiétude à avoir. Le gouvernement, au contraire, souhaite le maximum de flexibilité pour les créateurs d’entreprises.
Mais quand il y a un problème concret qui se pose, c’est vrai dans le secteur du bâtiment, il faut aussi le courage de le traiter.
Voici la déclaration de Jean-Marc Ayrault en son:
La sortie de Jean-Marc Ayrault est très rapidement relayée par une dépêche "urgente" de l’AFP, rigoureusement fidèle aux mots prononcés, puisqu’elle est titrée : "Auto-entrepreneurs: limitation du régime seulement dans le bâtiment".
Soient des propos bien différents de ceux tenus par Sylvia Pinel qui a assuré, de son côté, dimanche, que plusieurs secteurs seront concernés, et qui nous permet de répondre à Michel Sapin qu'il ne s'agit certainement pas d'une invention de toute part de journalistes.
Au jeu de l’explication de texte, un élément supplémentaire est à relever, et permet de pencher pour un couac né d’un propos un peu trop imprécis, un peu trop rapide, bref, d’une boulette de Jean-Marc Ayrault.
Comme nous l’indiquions dès dimanche, en relayant la sortie de Sylvia Pinel, Matignon a tenté, dès samedi, en fin de journée, d’assurer une nouvelle exégèse de la déclaration de Jean-Marc Ayrault, en distillant quelques éléments de compréhension à l’agence Reuters, l’une des deux agences de presse qui couvre extensivement la vie politique française.
Ainsi l’agence relaie-t-elle, dès samedi, cet argument du simple "exemple". Voici les trois premières phrases de cette dépêchepar laquelle Matignon a tenté d’infléchir la lecture qu’il convenait de faire de la sortie de Jean-Marc Ayrault :
Les auto-entrepreneurs du bâtiment ne seront pas les seuls concernés par le projet de réforme du régime, qui suscite un tollé des "poussins", précise samedi le gouvernement français.
Lors d'un déplacement en Ardèche, vendredi, Jean-Marc Ayrault avait paru indiquer que seul le bâtiment serait concerné.
Le Premier ministre a simplement pris le secteur du bâtiment en exemple parce que le problème y est "particulièrement criant", expliquent samedi ses services.
Invité de BFMTV, ce lundi 3 juin, Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif, s’est bien gardé de commenter, dans un sens ou dans un autre, les déclarations de Jean-Marc Ayrault et Sylvia Pinel.
L’autre patron de Bercy, Pierre Moscovici, invité quasiment en stéréo sur France Info, avait lui aussi soigneusement évité de s’immiscer dans la polémique "autoentrepreneurs".
En revanche, le ministre de l’Economie a clairement expliqué que la fin de la polémique n’est pas pour demain : les arbitrages de Matignon ne sont pas attendus avant plusieurs semaines :
Les arbitrages seront rendus par le Premier ministre, d’ici à quelques jours, dans, je pense, la deuxième partie du mois de juin, ou autour de la mi-juin.