Marine Le Pen : après Lapix, France Inter

Publié à 17h16, le 25 janvier 2012 , Modifié à 07h45, le 26 janvier 2012

Marine Le Pen : après Lapix, France Inter
Capture d'écran.

Après son célèbre clash avec Anne-Sophie Lapix sur Canal Plus , Marine Le Pen, interviewée mercredi matin sur France Inter, s'est énervée contre Patrick Cohen. Comment interviewer Marine Le Pen sans lui permettre de sortir de ses gonds et de jouer la victime, malmenée par les journalistes ? Une question que pose notre blogueur Vogelsong.

  1. De la difficulté d’interviewer l'extrême droite

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     Ils subissent (les maires) une rétorsion. Est-ce que c’est démocratique ?

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    Marine Le Pen le 25 janvier 2011 sur France Inter. Transformer le rendez-vous le plus écouté des matinales d’informations radiophoniques en ring de boxe, c’est le pari de Marine Le Pen. Un pari tenu.

    Voir la video

    La question n’est pas de faire la leçon aux journalistes (aguerris) qui se sont fait rouler par la vieille technique frontiste, la posture du martyr médiatique. Cet échange révèle tout d’abord que rien n’a réellement changé dans la stratégie du Front National avec les medias, même si on joue des deux côtés la dédiabolisation. Et ensuite qu’il s’avère périlleux de tenir le crachoir à une formation qui utilise la "démocratie", et l’un de ses piliers, la presse, pour coloniser le débats de valeurs antidémocratiques, tel le rejet, la xénophobie voire le racisme d’Etat.

    Les journalistes souvent paresseux se font prendre presque à chaque fois, dans le paradoxe inextricable du Front National. Parti très "représentatif", qui tout en ayant pignon sur rue, une vaste surface puisque bankable médiatiquement, n’en reste pas moins une usine à haine difficilement contrôlable dans le format des émissions proposés.

    Comment extirper en vingt-six minutes le sens de ce que M. Le Pen veut vraiment dire ? Comment figurer réellement ce qui se niche sous les vocables de "préférence nationale" ou "retraite à la carte" ? Il faudrait probablement une dizaine d’heures pour faire le tour du premier sujet et presque autant pour arriver au bout du second. Or ce matin du 25 janvier 2012 pour évoquer en express les concepts du Front national, parti d’extrême droite rassemblant dit-on un votant sur cinq, nous aurons une petite trentaine de minutes.

    Derrière une simple question de temps se cache toute la difficulté de l’éclairage politique dans la démocratie. Se profile aussi une autre problématique. Selon quelques commentateurs, blogueurs et spécialistes (de gauche), le seul moyen de sortir du piège de l’extrême droite consiste à abandonner la diabolisation.

    Cette mise au ban organisée par les bobos bienpensants, insensibles à la souffrance du populo, ce premier réceptacle aux idées du FN. Ce qui pourrait se décrypter autrement : les classes moyennes et populaires blanches ont un problème avec l’immigration africaine, il faut faire quelque chose.

    Ou bien (plus raide), ils sont un peu xénophobes, on les canalise comment ? Les non-dits sont cruels en démocratie, et ce type d’accommodation de langage ne circule qu’en circuit fermé et privé. D’ailleurs concernant la dédiabolisation, sur ces mêmes antennes de service public, le 19 janvier 2012, W. de Saint-Just, conseiller en communication pour Marine le Pen, confiait que le principal objectif du Front National était, selon ses propres termes, "la dédiabolisation".

    On s’étonnera, peut-être (ou pas), de cette convergence entre débatteurs, experts, journalistes (certaines fois de gauche) et membres influents du parti d’extrême droite. On soutiendra bien évidemment qu’il ne s’agit pas de la même "dédiabolisation"… A moins d’une confluence, si ce n’est idéologique, d’intérêts…

    L’esclandre du 25 janvier 2012 sur France Inter a une saveur particulière, puisque on peut déceler à chaque instant de l’interview, la façon dont Marine Le Pen monte doucement dans les tours pour atteindre à la toute fin, le climax de sa (fausse) colère.

    Un story-telling bien mené, d’abord sur sa difficulté à obtenir les signatures nécessaires à sa candidature à la présidentielle. Une brimade supplémentaire de l’ "établissement". D’ailleurs elle gratifiera une question de Thomas Legrand sur sa légitimité, puisqu’elle peine à trouver ses parrainages, d’un cinglant "c’est n’importe quoi ce que vous dites". "Je suis une femme libre" pérorera-t-elle quelques instants plus tard, un ton au-dessus.

    C’est Bernard Guetta qui essuiera la plus douceâtre des vacheries suite à une remarque sur le soutien du FN au régime de Bachar" El-Assad, "Mais où avez-vous lu ça ? Dans un Carambar ?". S’ensuivra un feu d’artifice d’invectives (et une menace de diffamation) après l’évocation de Frederic Chatillon pro-Syrien (proche du FN) par P. Cohen.

    "Et votre boulangère qu’est-ce qu’elle pense de la Syrie ?" lancera-t-elle l’ire à son comble aux journalistes après la fin de l’émission, considérant peut-être que l’ambiance n’était pas encore assez plombée. Tout ceci formidablement interprété, la morgue tout en maitrise. Ce qui aura échappé aux journalistes dans la tourmente, c’est que Marine Le Pen reprend quasiment mot à mot les arguments d’A. Soral sur la Syrie, en particuliers concernant le "double jeu du Qatar". Un auteur, ex-membre du FN, qu’elle potasse et écoute assidument... Si l’on en croit les ouvrages qu’elle exhibe sur son bureau.

    Marine Le Pen réussit l’invraisemblable. Squatter le système médiatique, rouler les journalistes, et continuer de faire comme si elle figurait hors du champ. Une virginité sans cesse renouvelée par le paradoxe des mass medias, à la fois pilier du modèle de "démocratie libérale" servant la soupe à une formation qui ne la respecte pas, et en même temps si friands de cette nouvelle égérie électorale. Car le FN et Marine Le Pen font comme si, brimée par l’industrie d’informations, ils étaient parvenu à rassembler potentiellement 20 % des électeurs par le seul effet du bouche à oreilles et d’une campagne alternative hors des grandes chaines. Par un mouvement spontané d’adhésion aux thèses nationales et xénophobes. De la belle mythologie. Quant aux intervieweurs ils sont à la fois complices et victimes : Valser avec les démons comportent quelques menus désagréments…

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  2. Lire aussi sur Le Lab : La fessée d'Anne-Sophie Lapix à Marine Le Pen

    Sur Le Lab

    Et un, et deux, et trois zéro ! Anne-Sophie Lapix, la rédactrice en chef et présentatrice de Dimanche Plus a mis Marine Le Pen KO à trois reprises lors de son interview. Séance de rattrapage .

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