Le groupe Bouygues a-t-il triché pour obtenir la construction du pharaonique et ultra-sensible nouveau siège du Ministère de la Défense à Balard (15e arrondissement de Paris) ?
Le chantier continue et les chefs d'etat-major des trois corps d'armée se préparent à déménager d'ici le printemps 2016. Mais la justice soupçonne un trafic d'influence du groupe Bouygues, qui contre-attaque.
Le Lab vous propose à la fois un résumé des épisodes précédents et une petite visite guidée de ces étranges bâtiments...
La guerre Bouygues-Eiffage-Vinci
Sur lemonde.fr
Les professionnels l'appellent pudiquement "dialogue compétitif". Les trois plus gros constructeurs français se sont livrés en 2010 une guerre sans merci pour remporter la construction du Pentagone à la française. Un chantier présenté en conseil des ministres le 17 novembre 2007.
- Le groupe Eiffage défendait un projet du célèbre architecte Norman Foster. (Cliquez ici pour voir les dessins de ces bâtiments en gestation sur le site du Courrier de l'architecte.)
- Dominique Perrault était le champion de Vinci. (Cliquez ici pour voir son projet)
- Bouygues présentait un projet réunissant trois cabinets d'architectes : ceux de Nicolas Michelin pour le bâtiment principal, Jean-Michel Wilmotte pour la parcelle Ouest et de l'Atelier 2.3.4 pour la rénovation de la Cité de l'Air. Cet atelier a récemment conçu le nouveau centre interministeriel de crise. (Ce projet, qui a remporté le marché, est détaillé dans la selection numéro 2 ci-dessous.)
Derrière la créativité de la geste architecturale, Eiffage, Vinci et Bouygues se sont battus toute l'année 2010 jusqu'en février 2011. Un peu après la victoire de Bouygues, son employeur, Christophe Soisson, le responsable d'Opale Défense (nom qu'a donné Bouygues au chantier) reconnait lui même que la compétition a été acharnée (vers deux minutes de cette vidéo).
J'ai une certaine expérience des dialogues compétitifs car je dirige les partenariats publics-privés chez Bouygues Bâtiments. C'est de loin, le plus intense que j'ai vécu et le plus professionnel.
Quand à Bruno Vieillefosse, chef du projet pour le ministère de la défense, il explique au Monde que Bouygues a gagné en proposant "le projet le moins cher".
La petite maison (militaire) dans la prairie
Et à en croire cette vidéo promotionnelle sur le site officiel du chantier, les militaires français vont bientôt emménager dans un petit paradis. Une "machine naturelle innovante" avec toiture solaire et "cheminées d'air". Une "grande topographie insolite dans le paysage parisien". Voire, à les entendre, une "architecture spaciale de commandement" où même la cantine "ouvre sur les ondulations de la prairie en mouvement" (véridique).
Ce projet comprend aussi selon son site officiel :
- Des bureaux et salles de réunion pour 10 000 personnes
- Des restaurants
- Les centres opérationnels des armées
- Des chambres pouvant accueillir au total 850 personnes
- Deux grandes salles informatiques sécurisées
- Des amphithéâtres et salles de conférence
- Un espace média
- Trois crèches (d'une capacité totale de 180 berceaux)
- Un centre de soins
- Un garage pour les bus de la RATP
- Une extension de la station de métro Balard
- Une piscine
Détail important : Libération note que le "Pentagone français" est en réalité un hexagone.
A lire aussi :
- La plaquette de présentation.
- Une infographie pour présenter les différents militaires amenés à vivre et travailler ensemble.
Bouygues visé par une enquête pour corruption
Le plus gros partenariat public-privé jamais signé par l'État est sous la loupe de la justice. Comme l'a révélé Le Canard Enchaîné début décembre (ici repris par Le Monde), le parquet de Paris a ouvert en février une information judiciaire pour corruption, trafic d'influence et atteinte à la liberté d'accès et à l'égalité des candidats dans les marchés publics.
Selon Le Canard, un haut responsable du ministère de la Défense est soupçonné d'avoir transmis à un cadre dirigeant de Bouygues un cahier des charges du marché avant ses concurrents.
Déjà une enquête préliminaire en octobre 2010
Une enquête préliminaire avait été ouverte en octobre 2010 après communication aux enquêteurs de la Division nationale des investigations financières (Dnif) d'un renseignement anonyme à propos de la procédure de passation du marché.
Le ministère de la Défense affirme, bien sûr, que la procédure d'attribution du chantier a été conduite en toute "transparence" et "régularité".
Bouygues veut faire taire Le Canard
Sur lesechos.fr
Deux semaines après ses révélations, Le Canard Enchaîné annonce dans son édition du mercredi 28 décembre, que le groupe Bouygues a assigné le volatile en diffamation et lui demande - record absolu - 9 millions d'euros en guise de compétition.
Mais dans cet article intitulé Un crime de lèse-béton, Le Canard menace :
Mais ni les 9 millions, ni même l'euro symbolique ne sont encore dans sa poche. Le Canard a quelques biscuits dans sa musette.
A la place du groupe Bouygues, on s'inquièterait.
Après avoir tout d'abord nié l'ouverture d'une enquête à leur encontre dans un communiqué le 7 décembre, Martin Bouygues, le P-DG du groupe éponyme, a accordé une semaine plus tard, une interview au journal Les Échos dans laquelle il se dit "en colère".
Un parfum de secret défense
Sur twitter.com
Selon les informations et ce tweet d'un journaliste de l'autre hebdomadaire satirique, Charlie Hebdo, le ministre de la Défense aurait classé le dossier secret défense.
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