Pour discréditer Manuel Valls auprès de François Hollande, Christiane Taubira l'accuse d'instrumentalisation des statistiques

Publié à 17h43, le 13 août 2013 , Modifié à 08h41, le 14 août 2013

Pour discréditer Manuel Valls auprès de François Hollande, Christiane Taubira l'accuse d'instrumentalisation des statistiques
Christiane Taubira et Manuel Valls (montage via Maxppp)

COUP POUR COUP - Dans un courrier envoyé directement au président de la République le 25 juillet, censé rester secret mais révélé ce mardi par Le Monde, Manuel Valls explique toute son opposition au projet de réforme pénale de sa collègue garde des Sceaux et propose même une liste de "contre-propositions". Pour se défendre, Christiane Taubira a donc elle aussi envoyé une missive argumentée au chef de l'Etat début août, lettre dans laquelle elle accuse le ministre de l'Intérieur de tomber dans l'instrumentalisation des statistiques.

La pratique a généralement cours entre la majorité et l'opposition. Afin de discréditer un adversaire politique, rien de plus efficace que de prouver qu'il ment ou qu'il base son discours sur des informations volontairement biaisées. C'est exactement ce que fait Christiane Taubira dans sa lettre de réponse en s'adonnant à la pratique du fact-checking. A la différence près qu'elle vise un collègue.

>> Les affirmations de Manuel Valls

L'une des principales réserves de Manuel Valls à l'égard du projet de loi de sa collègue est la question de la récidive. Le ministre de l'Intérieur estime qu'il faut traiter plus finement, mais aussi plus fermement, les récidivistes. Il assure qu'avant d'arriver devant un tribunal, les prévenus ont souvent fait l'objet d'une simple garde à vue ou d'un avertissement. Bref, que leurs actes sont prévisibles :

Les prévenus qui comparaissent devant la juridiction pénale ont déjà fait l'objet de plusieurs mises en garde préalables à leur comparution, voire de gardes à vue. Ils sont multi-réitérants et inscrits dans des parcours délinquants.

Et pour cela, il se sert d'une étude très sérieuse de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP). Préconisée dès 2011 par le conseil d'orientation de l'Observatoire, elle a été expérimentée pour la première fois avec son arrivée au ministère.

S'appuyant sur cette étude, Manuel Valls écrit à François Hollande que, sur un échantillon de 1.508 personnes mises en cause pour des "crimes et délits non routiers", plus de la moitié d'entre elles ont également été mises en cause pour 5 à 6 autres infractions entre 2009 et 2010 à Paris et poursuit :

18% ont été mises en cause pour 10 infractions principales (...) et 32% de personnes avaient au plus 15 ans à la date des faits, dont 53,3% mises en cause pour 7 infractions principales ou plus et 21,4% pour 10 infractions principales ou plus.

Fort de ces chiffres, Manuel Valls dit comprendre ceux qui "soulignent l'inefficacité de nos pratiques actuelles de probation autant que l'inadéquation des modes de traitement de la délinquance". Bref, il y a un souci, et les chiffres parlent d'eux-mêmes.

>> Christiane Taubira dégaine son fact-checking

"Exploitation biaisée". Dans sa lettre de réponse, la ministre de la Justice refuse ce profil de prévenus qui seraient majoritairement des "multiréitérants", envers qui la réponse carcérale serait "systématiquement ferme". Elle dézingue donc, non pas l'étude, mais son utilisation par Manuel Valls.

Car si étude il y a, et si ses résultats ont bien été publiés dans le numéro de juin du bulletin statistique de l'Observatoire intitulé "Grand angle", elle est très circonstanciée. Manuel Valls omet en effet de préciser que ces personnes se sont retrouvées dans cette étude uniquement parce qu'elles avaient plus de cinq infractions à leur actif en deux ans. Ce qui n'a pas grand chose à voir avec un échantillon de prévenus lambda.

Et Christiane Taubira de préciser que, du fait du territoire étudié (celui de la préfecture de police de Paris), une grande partie de ces délinquants sont des mineurs étrangers et même des jeunes filles étrangères, prouvant ainsi que l'étude brandie par son collègue n'est pas représentative et n'a "pas de valeur statistique"  :

Sur les 1.508 mis en cause, 53% sont mineurs, et 30% de ces mineurs sont étrangers, dont la moitié de nationalité "roumaine ou d'un pays d'Europe balkanique". Sur cet échantillon, il y a aussi 120 filles mineures originaires des Balkans.

>> Que dit l'auteur de l'étude ?

Une même analyse, deux utilisations différentes. Qu'en déduire ? Dans l'introduction de l'étude, Stéfan Lollivier, président de l'Observatoire, donne un sérieux indice : "On doit insister sur les limites d'interprétation des données exploitées".

S'il se félicite de cette avancée dans l'étude du "profil des personnes mises en cause", basée sur les antécédents des personnes interpellées et non uniquement sur les décisions judiciaires, il met en garde dès l'introduction :

Ces données sont inédites, puisqu’elles permettent de déterminer pour toutes les personnes de l’échantillon le type et le nombre d’infractions pour lesquelles elles ont été mises en cause.

Leur champ n’en est pas moins restreint dans le temps, dans l’espace mais surtout par rapport à l’ensemble des personnes mises en cause en raison du seuil de cinq infractions qui a été appliqué.

Un léger détail apparemment zappé par Manuel Valls dans sa missive à François Hollande. Et dont Christiane Taubira n'a pas hésité à tirer profit.

Du rab sur le Lab

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