C'est ce jeudi 28 mars que le Sénat a discuté et adopté la proposition de loi écologiste d'Esther Benbassa visant à abolir le délit de racolage public, passif comme actif, puni de deux mois d'emprisonnement et de 3.750 euros d'amende depuis 2003.
Une loi à première vue consensuelle. Chez les écologistes, chez les socialistes et même chez certains membres de l'opposition, on s'accorde pour dire que la loi de 2003 a un bilan négatif. Surtout, cette proposition de loi EELV accomplit une des promesses de François Hollande durant sa campagne.
Mais l'affaire n'était pas aussi simple. Abroger le délit de racolage c'est bien mais insuffisant, plaident de nombreux membres de la majorité qui auraient préféré attendre la grande loi prostitution du gouvernement, promise avant la fin de l'année.
Enfin, le profil Esther Benbassa n'est pas pour rassurer les abolitionnistes. La sénatrice est de ceux qui veulent la réguler, en faire un vrai métier. Des objectifs bien différents de ceux du gouvernement et de la majorité.
>> Le Lab a suivi le vote au Sénat en revenant sur chacun des enjeux.
Un débat, trois grandes questions
1 - Une proposition de loi verrouillée ?
(Le sénateur PS Philippe Kaltenbach et la sénatrice EELV Esther Benbassa - Maxppp)
Avant le débat :
Peu de suspense sur l'abrogation effective du délit de racolage public. Malgré certains doutes sur l'opportunité du calendrier, écologistes, socialistes et communistes devraient voter pour et s'assurer une majorité.
Mais comme beaucoup craignent le vide juridique, le groupe socialiste va tenter d'encadrer le texte d'Esther Benbassa.
[>> lire à ce sujet notre décryptage]
Les sénateurs PS Philippe Kaltenbach et Jean-Pierre Godefroy ont ainsi déposé un amendement pour que le racolage reste puni par la loi : plus de peine d'emprisonnement mais une contravention de cinquième classe (1500 euros maximum).
Une solution "a minima" estimait Philippe Kaltenbach au Lab mardi, craignant que le vote envoie un mauvais message : "On pourrait accuser les socialistes de favoriser la prostitution".
Cet amendement va-t-il passer ?
Résultat :
Sans surprise, l'article 1 de la proposition de loi est adopté en début de séance, suivi de l'ensemble du texte. A 20h15, le délit de racolage public est donc abrogé par le Sénat.
Entre temps, l'amendement socialiste visant à maintenir une contravention pour les personnes prostituées pratiquant le racolage actif est discuté. Après l'avoir défendu lors de la discussion générale, après avoir estimé qu'un "vide juridique" serait particulièrement néfaste, le senateur Jean-Pierre Godefroy propose cependant de ... retirer cet amendement. Il demande en contrepartie à la ministre de s'engager sur un texte global rapide.
C'est bien ce que va faire Najat Vallaud-Belkacem :
Je partage votre inquiétude et le fait de soutenir l'abrogation du délit de racolage nous oblige à une présentation le plus rapidement possible à un texte global. Nous l'espérons pour l'automne prochain.
La ministre précise également qu'elle est défavorable à l'amendement car cela revient à "replacer la personne prostituée comme victime". Elle soutient donc pleinement Esther Benbassa.
Le sénateur décide alors de retirer cet amendement. Le proposition de loi ne sera pas verrouillée.
Notons que l'ensemble des sénateurs de la majorité présents ont voté pour le texte d'Esther Benbassa, et ce malgré leurs doutes très prononcés. L'aboutissement de négociations très longues entre l'écologiste, le gouvernement et les sénateurs PS. Seule Chantal Jouanno s'est abstenue. Le senateur UMP encore présent au moment du vote final a voté contre.
2 - Quelle position du gouvernement ?
(Najat Vallaud-Belkacem et Christiane Taubira - Maxppp)
Avant le débat :
Impossible de dire "non" à l'alliée écolo Esther Benbassa, difficile d'expliquer pourquoi on rejette une proposition qui réalise une promesse de campagne mais délicat également de faire comprendre à sa majorité pourquoi on ne légifère pas dans une loi globale, comme promis.
Voilà la situation dans laquelle se retrouvent Najat Vallaud-Belkacem et Christiane Taubira ce jeudi. Les ministres devraient s'en sortir en s'en remettant à la sagesse des parlementaires. Bref, en ne se disant ni "favorable" ni "défavorable" et en laissant le vote se faire.
Résultat :
Lors de la discussion générale, Christiane Taubira annonce que le gouvernement en appellera à la "sagesse favorable" du Sénat. Un avis qui n'existe pas formellement mais la garde des Sceaux tient à donner un avis "nuancé", dit-elle. Une façon de soutenir la loi Benbassa ... mais pas à 100%.
Najat Vallaud-Belkacem va également afficher son soutien à cette proposition pour que la personne prostituée "ne soit plus la coupable mais la victime".
3 - Quels engagements sur la pénalisation du client ?
(Chantal Jouanno - Maxppp)
Avant le débat :
Elle est l'outsider du débat. Chantal Jouanno, s'avouant d'elle-même "assez seule" dans sa formation politique pour s'intéresser au sujet, va défendre six amendements purement abolitionnistes. La sénatrice UDI souhaite pénaliser le client et apporter plus de protection judiciaires aux personnes prostituées.
Bref, une ligne identique à celle entendue à gauche, tout particulièrement avant la présidentielle. Depuis, la ministre des Droits des femmes est restée plus vague, ne parlant que de "pistes".
En faisant débouler la pénalisation du client dans le débat, Chantal Jouanno veut obliger le gouvernement à "définir clairement sa politique", explique-t-elle au Lab ce jeudi. Ses amendements ne devraient pas être voté. Mais quels engagements vont prendre les ministres ?
Resultat :
Avant même la présentation des amendements de Chantal Jouanno, Najat Vallaud-Belkacem fait savoir qu'il est "prématuré" pour le gouvernement de se positionner sur la question de la pénalisation du client :
J'ai vu des amendements intéressants mais prématurés. Il faut une réflexion apaisée et nourrie avant de se prononcer. (...) C'est dans le cadre de la grande proposition de loi sur la prostitution que le gouvernera définira ses positions.
Une position qu'elle tiendra tout au long de la présentation des amendements de Chantal Jouanno : "prématuré".
Même réaction de la part des sénateurs de la majorité qui disent préférer attendre le résultat des travaux parlementaires, menés actuellement dans les deux assemblées, avant de se prononcer. Bref, de "bonnes idées" mais pas le "bon moment".
Tentative vaine de la part de Chantal Jouanno pour en savoir plus sur les intentions du gouvernement en matière de pénalisation du client. L'ensemble du débat de ce jeudi au Sénat a d'ailleurs largement évité d'aborder ce point sensible.