Ce 28 mars, la proposition de loi écologiste visant à abolir le délit de racolage public arrive sur les bancs du Sénat. L’occasion pour Chantal Jouanno d’aller beaucoup plus loin que le seul racolage. La sénatrice UDI veut pousser le gouvernement à clarifier sa politique sur la prostitution, tout particulièrement la pénalisation du client.
Elle l’explique au Lab.
Depuis l’élection de François Hollande, Najat Vallaud-Belkacem promet en effet une large loi abolitionniste sur la prostitution, soit une série de mesures visant à supprimer, à terme, cette pratique. Parmi elles, on trouve la piste de la pénalisation du client. Chantal Jouanno y est très favorable. Elle craint cependant que cette loi n’advienne jamais :
La ministre portait une position abolitionniste très affirmée il y a un an. Depuis, elle semble atténuée. Dans une interview récente, elle a même dit qu’elle n’avait jamais parlé de pénalisation du client [interview à Causette en février 2013, ndlr].
Pour pousser la ministre dans ses retranchements, Chantal Jouanno a déposé six amendements, purement abolitionnistes, qui seront discutés ce jeudi. Le plus emblématique vise à pénaliser le client en créant un “délit de recours à la prostitution” puni de deux mois d’emprisonnement et de 3.750 euros d’amende. Soit ce que risquent aujourd’hui les personnes prostituées pratiquant le racolage.
Parmi les autres amendements de Chantal Jouanno, on trouve la création d’une peine complémentaire, sous forme d’un “stage de sensibilisation aux conditions d’exercice de la prostitution”, mais aussi l’ouverture pour les victimes de proxénétisme d’un droit à la réparation comme pour toute victime de traite.
Pas de révolution dans ces amendements, précise d’emblée Chantal Jouanno :
Ils reprennent mot pour mot les propositions de Guy Geoffroy et Danielle Bousquet, faites en 2011, et sur lesquelles il y avait eu consensus.
En effet, en décembre 2011 ces deux députés, le premier UMP, la seconde socialiste, avaient réussi à faire adopter à l’unanimité à l’Assemblée nationale une résolution réaffirmant la position abolitionniste de la France. S’en était suivie une proposition de loi des deux mêmes députés, jamais inscrite à l’ordre du jour, mais dont Chantal Jouanno reprend les articles.
Faisant cela, la sénatrice veut montrer que les socialistes, désormais au gouvernement, ont eu des idées très claires par le passé sur la prostitution et la pénalisation du client. Et veut savoir s’ils se décideront à les mettre en oeuvre :
Tout le monde s’était réjoui de la résolution. Aujourd’hui je vais demander au gouvernement de défininir clairement sa politique. Va-t-il revenir sur l’orientation de 2011 ?
Bref, le faire sortir du bois. Jusqu’ici, la ministre des Droits des femmes - qui s’exprime le plus sur le sujet - n’a parlé que de “pistes”. Elle attend les conclusions du travail parlementaire transpartisan mené en ce moment même à l’Assemblée et au Sénat - et auquel Chantal Jouanno participe - avant de se prononcer. Leur conclusions doivent être remises à l’automne.
La sénatrice UDI veut surtout s’assurer qu’il y aura bel et bien, in fine, une loi:
Si cette proposition contre le délit de racolage public passe aujourd’hui, je ne crois pas une seconde qu’on réouvrira le dossier. Le calendrier sera trop chargé.
Voter l’abrogation du délit de racolage public indépendamment du reste, c’est la principale crainte de Chantal Jouanno. Elle développe :
Réviser ce délit est absolument nécessaire: son but était de remonter davantage jusqu’aux proxénètes, cela n’a pas été le cas. A l’inverse, le danger a augmenté pour la santé et la sécurité des personnes prostituées.
Mais il ne faut pas le faire seul. Je suis fondamentalement contre une loi aussi sèche qui enverra un message de tolérance accru aux proxénètes et à la société.
C’est aussi la porte ouverte aux réglementaristes qui veulent faire de la prostitution un métier et non l’abolir [c'est le cas d'Esther Benbassa, auteure de la proposition de loi sur le racolage, ndlr].
Les craintes et les propositions de Chantal Jouanno sont - inhabituellement - partagées par les parlementaires socialistes et certaines associations féministes comme l’a expliqué Le Lab ici et là.
La sénatrice UDI ne s’attend cependant pas à être soutenue par la majorité sur ses six amendements, “discipline de parti” oblige. Pas la peine non plus de compter sur l’UMP qui n’est pas abolitionniste et “raisonne dans une logique d’ordre public”. Seuls les membres de son groupe devraient la suivre.
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