Prostitution et racolage passif : le calendrier décousu du gouvernement est contesté

Publié à 13h17, le 16 mars 2013 , Modifié à 13h51, le 16 mars 2013

Prostitution et racolage passif : le calendrier décousu du gouvernement est contesté
(Maxppp)

DANS LES CUISINES DE LA LOI - Jeudi 28 mars, au Sénat, le gouvernement, par la voix de sa ministre des Droits des femmes, soutiendra une proposition de loi écologiste pour abroger le délit de racolage passif. Un calendrier qui ne colle pas avec l’intention intitiale du gouvernement qui promettait une grande loi prostitution englobant toutes les questions pénales.

Une façon de différencier les sujets qui laisse certaines associations et parlementaires circonspects : où va le ministère des Droits des femmes ?

  1. "En attendant un texte plus large, on va créer du vide"

    C’est l’histoire d’une petite phrase passée inaperçue du grand public mais pas des milieux concernés. Dans une interview pour le magazine Causette publiée en février, Najat Vallaud-Belkacem donne quelques pistes sur son “calendrier prostitution”, insiste sur le travail “transpartisan” que sont en train de mener deux commissions parlementaires sur le sujet, prédit un rendu de leur travaux “en fin d’année” et donc une large proposition de loi à venir.

    Mais avant cela - et c’est un fait nouveau - elle annonce une abrogation du délit de racolage passif initiée dès le mois de mars. Le fait de “procéder, même par une attitude passive, au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles monnayées” est en effet puni par loi depuis mars 2003. 

    La ministre avance ainsi dans Causette :

    Ce qui sera plus rapide, c’est l’abrogation du racolage passif, qui faisait des victimes de la prostitution des coupables. Il fait l’objet d’une proposition de loi [déposée par la sénatrice Esther Benbassa, ndlr] qui sera examinée au Sénat à la fin mars.

    Un objectif d’ailleurs réitéré ce 16 mars dans Le Parisien.

    Arrêter de verbaliser les prostituées, les considérer comme des victimes et non plus comme des coupables, c’est en effet un des engagements de François Hollande durant sa campagne et une promesse de Najat Vallaud-Belkacem. 

    A un détail près : la ministre des Droits des femmes avait dit vouloir s’en occuper de façon globale. Abroger le délit certes, mais l’accompagner d’une politique pénale de la prostitution “sous tous ses aspects”. Elle l’expliquait ainsi le 18 décembre 2012 :

    Le gouvernement s’est engagé à abroger ce texte [du racolage passif, ndlr] et le travail parlementaire est désormais lancé dans le cadre d’un groupe de travail parlementaire, qui permettra d’examiner la question de la politique pénale de la prostitution sous tous ses aspects.

    Ces questions pénales ne doivent pas être abordées isolément.

    Racolage passif et loi générale sur la prostitution vont pourtant emprunter deux chemins législatifs distincts. 

    > Pourquoi ce changement de logique ?

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    La sénatrice EELV du Val-de-Marne, Esther Benbassa. (Maxppp)

    Il est un acteur qui s’est imposé entre temps : la sénatrice écolo du Val-de-Marne Esther Benbassa. Cette dernière n’est pas sur la même ligne que Najat Vallaud-Belkacem en matière de prostitution. Elle veut la réglementer et s’oppose à toute pénalisation du client alors que la ministre souhaite l’abolir et réfléchit à une responsabilisation du client.

    Suivant des logiques différentes, les deux se rejoignent sur un point : les prostituées ne doivent plus être verbalisées. 

    Esther Benbassa en profite dès décembre 2012 pour brandir une proposition de loi dans ce sens. Mais, à l’époque, la ministre la convainc de décaler ce texte, invoquant justement une loi plus large à venir. Esther Benbassa n’hésite alors pas à raconter dans les médias comment elle a été “convoquée” pour qu’elle se retire.

    Consciente que, sans soutien du gouvernement, les sénateurs socialistes ne suivront pas, elle s’exécute. Sur France Inter le 11 décembre, elle explique ainsi :

    Si la loi n'est pas votée et qu'on donne un coup de fil pour que les socialistes ne votent pas la loi, vous avez l'air bien ridicule.

    La sénatrice va alors entrer dans le jeu des négociations pour s’imposer. Pour prouver qu’elle a l’appui des socialistes, elle raconte au Lab avoir choisi Virginie Klès, sénatrice apparentée PS, pour être le rapporteur de sa loi.

    Le tout fonctionne. Après vote favorable de son groupe, la proposition est inscrite à l’ordre du jour pour le 28 mars 2013. Pas peu fière, Esther Benbassa se félicite d’avoir “convaincu” la ministre :

    Je lui ai montré qu’on ne pouvait pas reporter ce sujet indéfiniment, elle a compris que j’étais déterminée.

    “Respect du travail parlementaire”, répond simplement l’entourage de la ministre, peut-être soucieux de donner des gages au groupe écolo, allié de la majorité, et à une élue à la parole aiguisée, qui avait déjà été prise de vitesse par le gouvernement sur son ambition de travailler sur une loi numérique.

    Effectivement, cette fois-ci, Najat Vallaud-Belkacem ne dit rien. Mieux, elle en fait la promotion dans son interview à Causette pour montrer que les choses avancent. Faisant cela, elle sème cependant le trouble parmi les associations de défense des droits des femmes et certains parlementaires.

    > Qu’est-ce qui coince ?

    (Maxppp)

    Chez Osez le féminisme, on s’interroge : pourquoi n’avoir pas suivi le plan initial ? Symboliquement, ce calendrier est problématique. Il revient à dépénaliser les prostituées … mais sans contrepartie immédiate. Anne-Cécile Mailfert est en charge de ces questions dans l’association, elle explique au Lab :

    Esther Benbassa est très tactique. C’est difficile pour nous comme pour le gouvernement de s’opposer à sa proposition car, dans l’absolu, nous sommes absolument favorables à la fin du délit de racolage passif. Mais nos objectifs sont différents : elle veut que le client ne soit pas sanctionné, on milite pour le contraire. (...)

    Le problème c’est qu’en attendant le texte plus large, on va créer un énorme vide.

    Le message aurait été beaucoup plus fort si, au même moment, il y avait eu un renversement de la charge pénale sur le client. Ce n’est plus la prostituée qui paye mais le consommateur.

    Autrement dit, en légiférant à part sur le racolage passif, le gouvernement prend le risque d’envoyer le mauvais message : “vous pouvez vous prostituer”. Et, surtout, de ne plus viser le client, “seul acteur non inquiété dans la prostitution actuellement”.

    La députée de l’Essonne Maud Olivier. (capture d’écran d’une vidéo Telesonne).

    A l’Assemblée nationale, la députée Maud Olivier planche sur le sujet au sein de la Délégation droits des femmes. Et elle n’est pas plus sereine.

    C’est elle qui pilote la grande proposition de loi attendue par le gouvernement “en octobre”, explique-t-elle au Lab, “pour qu’elle passe au Parlement en novembre, à l’occasion de la journée contre les violences faites aux femmes”.

    Dans cette optique, Maud Olivier s’intéresse à la question de la responsabilisation du client, à l’éventualité de le pénaliser, à la lutte contre le proxénétisme, à la réinsertion des personnes prostituées … et au délit de racolage passif. Si elle y est favorable, voir le sujet traité indépendamment du reste n’est pas la bonne option à ses yeux:

    Je trouverai dommage de l’abroger dans quelques semaines. La proposition de loi doit tout englober. (...) 

    Si on supprime le délit de racolage passif sans contrepartie, cela peut-être perçu comme un message favorable pour les proxénètes : les prostituées sont moins surveillées, eux aussi.

    C’est le message inverse d’une société abolitionniste.

    La députée estime que le gouvernement serait “tout à fait légitime” en demandant aux sénateurs fin mars d'attendre la grande loi prostitution et de “remettre à plus tard” cette question, à l’image de ce qui s’est passé avec la PMA en janvier.

    > Le gouvernement joue la montre

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    Mais l’idée de dire “non” à Esther Benbassa en donnant un avis défavorable lors du vote n’est pas au programme de la ministre. Son entourage assure ainsi au Lab :

    Si le texte de la proposition de loi concerne seulement l’abrogation du racolage passif, le gouvernement ne s’y opposera pas.

    Pour autant, il assure que Najat Vallaud-Belkacem n’est pas revenue sur son idée de grande loi. Et met en avant le fait  que - avec la longueur du temps législatif - les deux propositions finiront par se retrouver :

    On veut que le travail de Maud Olivier complète celui d’Esther Benbassa.

    La proposition de loi de la sénatrice devra passer au Sénat, à l’Assemblée, passer le cap des navettes parlementaires … Ca prend du temps.

    D’autant plus de temps que la proposition de loi sur le racolage passif est signée Europe écologie-Les Verts et que ce groupe parlementaire n’a pas la main sur l’ordre du jour et dispose de peu de niches parlementaires. Contrairement au gouvernement. Au final, selon les petits calculs de calendrier de l’équipe de Najat Vallaud-Belkacem, les deux textes pourraient donc se trouvés associés. Pas de risque de vide.

    Si et seulement si le gouvernement n’enterre pas sa grande loi prostitution. Et Osez le féminisme de conclure :

    Espérons qu’ils ne se contentent pas de l’abrogation du délit de racolage passif pour dire : “On a fait quelque chose sur la prostitution pendant le mandat, c’est déjà bien.”

     
     
     
     
     

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