Axelle Lemaire : "Je ne suis pas sûre que ce soit sain de faire trois mandats d'affilée"

Publié à 19h25, le 01 août 2012 , Modifié à 19h51, le 01 août 2012

Axelle Lemaire : "Je ne suis pas sûre que ce soit sain de faire trois mandats d'affilée"
Axelle Lemaire et François Hollande lors d'une visite du président de la République à Londres (Maxppp).

Le Lab continue sa série d'été consacrée aux jeunes personnalités politiques à suivre dans les prochaines années, à l'UMP et au PS. Troisième volet de la série, côté PS, avec Axelle Lemaire.
Axelle Lemaire est une députée atypique. Une femme, de 37 ans, qui a fait l'essentiel de sa vie à l'étranger. Un oiseau rare sur les bancs du Palais Bourbon. Par ailleurs, elle fait partie de ces personnalités politiques qui ont refusé à François Hollande une proposition de ministère. Pour la députée des Français établis hors de France, en zone Europe du Nord, il y a un avant et un après ce moment.
A lire aussi, le précédent volet de la série :
> Bruno Julliard (PS) : "Je me passerai sans problème de la politique "
> Olivier Dussopt (PS) : "Derrière la situation familiale, il y a une situation sociale "

  1. "Il y a un avant, et un après, mon refus d'entrer au gouvernement"

    • > Quel est votre parcours ?

    J'ai une formation académique assez classique. J'ai commencé par une hypokhâgne à Montpellier, puis Sciences Po à Paris en "service public". Après Sciences Po, en 1997, je n'ai pas voulu tenter les concours administratifs. C'était un moule dans lequel je ne me reconnaissais pas. Du coup, je suis entrée en droit à Paris I, jusqu'au DEA et à l'école doctorale. Je me suis spécialisée dans le domaine du droit international. J'ai aussi étudié à Londres à King's College, dans le même domaine. Pendant et après mes études j'ai enseigné à l'université, chargée de travaux dirigés. Une expérience que j'ai beaucoup appréciée, qui oblige à se renouveler. Parmi mes expériences professionnelles, j'ai travaillé dans le privé, dans des cabinets d'avocats, j'ai été assistante de recherche à Londres dans le domaine des droits de l'homme et dans le droit européen. 

    C'est à Londres que j'ai commencé à travailler dans la politique, auprès d'un député travailliste, Denis MacShane, à la Chambre des communes. Il est connu pour ses positions francophiles et pro-européennes, ce qui est assez rare en Grande-Bretagne.  C'est par la politique britannique que je suis arrivée à la politique française. J'avais adhéré au MJS quand j'étais en fac de droit, mais j'ai repris ma carte à Londres, en 2006. J'ai été élue secrétaire de la section avec pour objectif d'humaniser, de rajeunir et de féminiser la section londonienne. Puis en 2012 j'ai été élue députée. J'ai eu la chance de bénéficier d'une création de circonscription. Je ne pense pas que ça ne me fasse démétirer, mais c'est une chance. J'ai fait une campagne de deux ans, pendant laquelle j'ai été enceinte et j'ai eu un enfant. Une campagne épuisante, sur dix pays, mais très stimulante. En six semaines, il s'est passé beaucoup de choses pour moi : les législatives, la visite du président de la République à Londres, les JO, la venue du Premier ministre, une nouvelle visite de François Hollande. Et le refus d'entrer au gouvernement. Pour moi, il y a clairement eu un avant, et un après, ce moment là. 

    • > Pourquoi avez-vous décidé de vous engager en politique ?

    C'est lié à deux événements. Tout d'abord en 2002, l'élection présidentielle. Cela a joué un rôle important, comme beaucoup de gens de ma génération. Ca a été un électrochoc. Les moments passés à manifester dans la rue, les discussions jusqu'au bout de la nuit, cela donne une conscience aigüe du danger qui nous guettait à l'échelle européenne. 

    Et puis il y a eu une frustration liée à mon métier, de recherche en droit international, au moment de la guerre en Irak. J'ai pu voir l'impuissance d'une doctrine et de la théorie face à l'action politique. Pour moi la politique c'était une façon d'être dans la réflexion et l'action. C'est le moyen de lier les deux. Mon engagement part du constat très concret des inégalités, sans doute encore plus visibles en Angleterre qu'en France. 

    • > Un mentor en politique ?

    J'ai des modèles assez classiques et partagés, comme Pierre Mendès-France, De Gaulle le résistant ou Simone Veil. Mais surtout un ancien Premier ministre québécois : René Lévesque. Il a contribué à faire entrer le Québec dans la modernité, en portant le projet de défense de la langue française, des réformes sociales. Un homme engagé intellectuellement, passionné et caractériel. Ma première rencontre politique c'était avec cet homme à 7 ans. Je lui avais demandé un autographe, qu'il avait refusé, j'avais beaucoup pleuré. Puis il était revenu s'excuser pour me donner une photo autographiée.  Il y a aussi eu l'élection de François Mitterrand, vécue à distance. Mes parents étaient isolés mais je sentais que le moment était très important. Par ailleurs, je me nourris aussi beaucoup des écrivains, de la littérature engagée, j'adore aussi les poètes, les auteurs de l'absurde, comme Beckett ou Ionesco. 

    • > C'est quoi être de gauche ?

    Contrairement à ce que l'on reproche souvent aux gens de gauche, c'est faire preuve d'une grande lucidité et d'un grand réalisme quant à la nature humaine. La société est profondement inégale, il faut en avoir conscience. J'ai aimé les propos de Christiane Taubira, qui a dit lors du débat sur le harcèlement sexuel : "l'égalité n'est pas naturelle, c'est une promesse". Cela traduit bien ce que je pense.  Quand on est de gauche on a cette conscience que l'homme a un rôle à jouer dans le rétablissement d'un ordre social qui n'existe pas au départ. Etre de gauche c'est être volontariste et interventionniste : utiliser l'école pour rétablir l'équité, utiliser les services publics pour garantir un accès égal à ce qu'on considère comme des principes universels, la santé, l'éducation, la culture. Etre de gauche c'est ne pas se satisfaire de l'ordre établi. C'est sans doute très frustrant d'être de gauche, mais c'est très stimulant. 

    • > Quelle est votre activité numérique ?

    J'ai un blog, une page Facebook et un compte Twitter . J'ai d'abord été retissante à utiliser les réseaux sociaux dans le cadre de ma campagne. Je le vivais un peu comme une intrusion. Je craignais qu'en devenant acteur du réseau on en devienne servile. Mais c'est fascinant. L'immédiateté, ça change beaucoup le rapport du politique au citoyen, il faut rendre des comptes dans l'immédiat et réussir à prendre du recul en maintenant une certaine réactivité. 

    Twitter est un outil amusant. L'humour Twitter me plait beaucoup, mais c'est frustrant. Les 140 signes, pour la nuance, c'est compliqué ! Parfois la concision ne permet pas la substance. Pour les politiques, c'est aussi risqué. On est sans arrêt dans le questionnement vis-a-vis du risque qu'on prend. J'aimerais réussir à tweeter intelligemment et de manière assez intuitive. Pour l'instant je n'y arrive pas totalement. Je vois davantage Facebook comme un relais de transmission assez neutre. Twitter m'intéresse plus que Facebook.

    • > Où vous voyez-vous dans 15 ans ?

    Je n’ai jamais eu des reflexes de stratégie ou de calcul. J'ai beaucoup de mal à visionner l'avenir, à me projeter. Forcement maintenant que je suis députée je calcule en termes de durée de mandat. Quinze ans, c'est trois mandats, ça me parait beaucoup. Je ne suis pas sûre que ce soit très sain de faire trois mandats d'affilée. Est-ce que je serai toujours en politique ? Je pense que oui, mais peut  être sous des formes différentes. Cela fait partie de mon ADN que d'avoir besoin de m'engager. Ce qui m'intéresse, c'est la chose publique, la Res Publica. La politique n'est pas une fin en soit. Ca peut être dans l'associatif, dans la transmission des connaissances, en écrivant. J'espère surtout rester libre.

     

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