DOCUMENT LAB - On entend souvent parler de l'influence des lobbys auprès des parlementaires. Mais le jeu de la séduction moyennant votation ne se limite pas à quelques avantages en nature. L'image d'élus ripaillant avec de gros industriels ou s'amusant dans une loge de Roland-Garros tous frais payés n'est qu'une des facettes du lobbying : il existe des manières plus subtiles pour tenter de convaincre un député ou un sénateur.
Le Lab a ainsi pu mettre la main sur un mail envoyé à plusieurs députés par Unifab, association pour la protection internationale de la propriété industrielle . Dans ce mail, Unifab évoque le projet de Loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, examiné en ce moment à l'Assemblée nationale. L'association espère que cet examen permettra l'adoption d'amendements favorisant ses intérêts :
"Nous pensons justement que ce projet de loi permettrait de renforcer la lutte contre la contrefaçon.
"
Et le mail se poursuit ainsi :
"Dans ce contexte, nous vous appelons à soutenir les amendements ci-dessous :
Les amendements n°CL26, CL33 et CL52, après l'article 12, visent à insérer le délit de contrefaçon dans la liste des infractions troublant gravement l'ordre public.
Les amendements n°CL25, CL32 et CL53, après l'article 16, visent à accroître les sanctions pour les contrefacteurs.
Les amendements n°CL27, CL54 et CL34, après l'article 16, introduisent un devoir de diligence.
Les amendements n°CL24, CL31 et CL51, après l'article 16, visent à considérer comme contrefaçon l'importation, le transbordement ou la commercialisation, sur le territoire français, sans le consentement du titulaire de la marque, des produits en provenance d'un pays tiers à l'Espace Economique Européen sur lesquels est apposée ladite marque.
Les amendements n°CL22, CL29, CL49, après l'article 12, visent à élargir le champ d'application du mécanisme de renversement de la charge de la preuve aux infractions passibles de trois ans de prison.
Les amendements n°CL18, CL45, CL111, après l'article 12, précisent que le commerce illicite doit faire l'objet d'une incrimination spécifique d'un point de vue juridique.
Les amendements n°CL19, CL46, CL112, après l'article 12, créent une nouvelle circonstance aggravante au délit de recel, visant expressément la vente d'objets de contrefaçon.
Les amendements n°CL21, CL28, CL48, après l'article 12, élargissent le champ d'application du délit de non justification des ressources aux délits passibles de trois ans de prison.
Les amendements n°CL23, CL30, CL50, après l'article 12, visent à permettre aux juridictions d'ordonner la confiscation de l'ensemble des biens des personnes physiques reconnues coupables du délit d'association de malfaiteurs qui encourent une peine maximale de cinq ans de prison, contre dix ans actuellement.
Les amendements n°CL20, CL47, CL110, après l'article 16, prévoient qu'une peine délictuelle d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende se substitue à une contravention de 4ème classe actuellement prévue pour les faits de recel de contrebande.
"
Ce mail est accompagné d'une note reprenant les arguments en faveur des amendements.
Voici l'intégralité de la note transmise aux élus :
Ce mail a été envoyé aux députés le 16 février, soit un peu plus de deux semaines après la publication d'un rapport de l'Unifab sur, justement, la contrefaçon et la lutte contre le terrorisme.
Ce rapport a été remis le 28 janvier au ministre des Finances Michel Sapin. Il détaille certaines ramifications entre l'argent provenant de produits contrefaits et le financement de groupes terroristes, dont Daech.
Dans les jours qui ont suivi, plusieurs amendements sont déposés par des députés. Certains amendements, portés par des élus différents, sont rigoureusement identiques. Ils reprennent l'argumentaire d'Unifab et visent, par exemple, à la création d'une incrimination juridique spécifique pour le commerce de contrefaçons. Succès de l'opération, donc.
Enfin, le 16 février donc, Unifab a fait le service après-vente en envoyant un mail aux députés pour les inciter à voter pour ces amendements. On voit donc le parcours observé par le groupement pour influencer les parlementaires.
Au Lab, l'auteur d'un des amendements suscités , le député LR de Lozère Pierre Morel-A-L'Huissier, détailles les contours de ce genre de pratiques, expliquant avoir été "sollicité par plusieurs personnes". Ce qui est tout à fait normal. Il dit :
"Plus on est alimenté par des circuits divers et plus on est efficace. On reçoit énormément d'informations en fonctions des thèmes que l'on aborde à l'Assemblée, que ce soit de la part de groupements ou d'individus. Dans le domaine agricole, par exemple, on est extrêmement sollicité.
"
Le genre de mail envoyé par Unifab n'est donc pas rare, au contraire. Et si cette fois les intérêts défendus par l'association consistent, pour l'essentiel, à créer de nouvelles qualifications pénales, les demandes peuvent être bien différentes. Peu importe, rétorque Pierre Morel-A-L'Huissier :
"On est sollicité de toutes parts mais, après, on fait ce qu'on veut. Quand je lance un truc, c'est toujours après étude.
"
Contactée par le Lab, Catherine Lemorton, députée PS de Haute-Garonne réputée pour sa lutte intensive contre le poids des lobbys à l'Assemblée nationale , n'est pas surprise pas ce genre de procédés, qui n'est pas exceptionnel. Elle raconte, pour sa part, ne plus recevoir ce type d'invitation au vote. "Les lobbys savent que je garde tout et que je le rends public. Ils ont dû m'enlever de leurs fichiers", s'amuse-t-elle.