Rachida Dati n'a pas signé l'appel de 17 anciennes ministres contre le harcèlement sexuel et "l'impunité" des harceleurs, publié dans Le JDD le 15 mai. Elle fait même partie de ces femmes politiques qui critiquent la démarche. Sauf que dans son cas, cette opposition paraît peu compréhensible.
Sur BFMTV vendredi 20 mai, l'ancienne ministre de la Justice et eurodéputée LR explique d'abord avoir été "sollicitée" pour signer cette tribune, ce qu'elle a donc refusé. "J'ai trouvé que c'était une tribune de l'entre-soi", fait-elle valoir. Son argumentation pour le justifier est double : 1) les signataires de cet appel ne font que dénoncer et ne formulent pas de "propositions" pour lutter contre le harcèlement et les agressions sexuels ; 2) il y a aussi des femmes dans des positions socio-professionnelles moins solides que ces anciennes ministres qui sont victimes, et qui n'ont donc pas les mêmes moyens de "se défendre".
Or, le premier argument est faux et le second est également défendu par ses camarades.
# 1 - "Pas de propositions", vraiment ?
> Ce que dit Rachida Dati :
"Dans cette tribune, y'a quoi ? Y'a rien, c'est euh... 'on est victimes'. Pas de propositions. [...] Y'a rien dedans, est-ce qu'il y avait des propositions ? Moi je vais vous dire, j'aurais préféré entendre monsieur [Jean-Jacques] Urvoas [ministre de la Justice, ndlr] à la une du 'JDD' ou même dans le cadre de ces tribunes, j'aurais été signataire, dire : 'Voilà les mesures que nous allons prendre à l'encontre des harceleurs.'
"
Et l'ex-garde des Sceaux de plaider pour une "politique pénale extrêmement claire" : "Quand il y a poursuite, il y a poursuite et condamnation. Et condamnation lourde."
> Ce qu'écrivaient les 17 anciennes ministres
Contrairement à ce qu'affirme l'eurodéputée LR, les signataires de la tribune du 15 mai formulaient de fait des "propositions". Elles pointaient en effet "plusieurs pistes" à "étudier" pour lutter contre ce fléau :
"Allongement des délais de prescription en matière d'agression sexuelle ; possibilité pour les associations compétentes de porter plainte en lieu et place des victimes ; fin de la possibilité de correctionnaliser un viol ; instruction donnée aux parquets de poursuivre systématiquement en cas de harcèlement ; création d'un référent 'agression ou harcèlement sexuel' dans les commissariats et gendarmeries ; augmentation des moyens donnés aux services d'enquête pour établir le harcèlement sexuel ; et meilleure indemnisation des victimes de harcèlement sexuel, à la fois par les auteurs condamnés et par leurs anciens employeurs quand elles ont été contraintes de quitter l'entreprise.
"
Rachida Dati n'est peut-être pas en accord avec ces "pistes" (quoiqu'elle se montre ouverte à un allongement des délais de prescription), mais il est donc mensonger d'affimer qu'aucune "proposition" n'était formulée.
# 2 - Les femmes en position de faiblesse oubliées, vraiment ?
> Ce que dit Rachida Dati
"On peut toutes se défendre [les femmes politiques, ndlr]. On peut se défendre, et puis il faut aussi être nuancée parfois." Au-delà du sous-entendu sur l'exagération de certains faits, actes ou paroles par certaines femmes se disant victimes de harcèlement ou d'agression, Rachida Dati veut surtout pointer le fait que de nombreuses femmes, par peur de perdre leur emploi, ne dénoncent pas ces agissements :
"Il y a beaucoup de femmes, moi j'en connais et j'en ai connu - vous savez, moi j'ai travaillé j'ai été caissière, j'ai été aide soignante, j'ai été comptable et c'est vrai que j'ai vu dans des environnements notamment extrêmement féminins, par exemple les caissières, eh beh parfois vous avez quelqu'un qui vous met la main aux fesses ou qui est là à vous mettre un coup de pression en disant 'tu dois rester deux heures de plus'... Il y a beaucoup de femmes qui sont harcelées, qui subissent et qui ne peuvent rien dire parce qu'elles sont souvent seules avec des gamins et elles se disent 'si je perds mon job, je peux rien faire, donc j'assume ça en silence'.
"
> Ce qu'écrivaient les 17 anciennes ministres
Exactement la même chose, en moins de mots. Dans l'appel en question, on trouvait notamment ce passage :
"Dans la majorité des cas, les femmes qui dénoncent des faits de harcèlement sexuel perdent de facto leur emploi. Elles sont donc doublement victimes.
"
Et d'avancer à nouveau quelques idées pour y remédier : "Pour lutter contre cette double peine, il faudrait encourager les entreprises à connaître et à respecter leur obligation légale de protéger les salariés et de sanctionner le harceleur, supérieur hiérarchique ou simple collègue. Il faut éduquer la population, déconstruire les préjugés et les codes, expliquer sans cesse ce qu'est un harcèlement ou une agression sexuelle. Les femmes doivent pouvoir travailler, sortir dans la rue, prendre les transports sans avoir à subir des remarques ou des gestes déplacés."
Les arguments qu'avance Rachida Dati pour justifier son refus de signer cette tribune sont donc étranges, puisque la tribune en question défend les idées de Rachida Dati...
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