Jean-Pierre Michel ou la disparition très politique d'une moustache

Publié à 15h35, le 19 mars 2015 , Modifié à 09h26, le 20 mars 2015

Jean-Pierre Michel ou la disparition très politique d'une moustache
Ça change tout, n'est-ce pas ? © Gif via AFP / JACQUES DEMARTHON

LE CHANGEMENT - Le 28 septembre 2014, Jean-Pierre Michel est frappé par surprise. Cette élection sénatoriale, il pensait s'en sortir au second tour. Sénateur socialiste de Haute-Saône depuis 2004, il lui aura manqué, selon ses minutieux calculs, une centaine de voix parmi ses éventuels soutiens.

Après quatre mandats à l'Assemblée (battu en 2002) et un au Sénat, 21 ans à la tête de la mairie de Héricourt et 9 au conseil général, Jean-Pierre Michel voit donc sa carrière politique se terminer un peu brutalement. Rapidement, il réalise qu'il a besoin de "changer quelque chose", explique-t-il au Lab. Ce sera la moustache.

Le désormais ex-sénateur prend la décision de se séparer de ses bacchantes, arborées fièrement depuis les années 80. Seulement voilà, amputer un homme de cette excroissance pileuse n'est pas sans risques. Un barbier conscient du danger a même refusé d'exécuter la sentence.

Dans son appartement parisien mercredi 18 mars, autour d'une bière tchèque et d'un whisky issu de sa terre d'élection, Jean-Pierre Michel raconte :

Je vais chez un nouveau coiffeur. Je lui dis : 'Je veux que vous me rasiez la moustache'. Il me regarde et me répond : 'Ah non, je ne peux pas faire ça. Vous allez avoir un choc, vous n'allez plus vous reconnaître, vous pouvez déprimer'.

À cette solution radicale, le coiffeur propose une alternative plus raisonnable : "Vous vous laissez pousser une barbe de 4-5 jours et je vous égalise tout ça". Va pour cette barbe faussement négligée, que le "jeune" retraité porte aujourd'hui.

L'anecdote pourrait n'être qu'amusante si elle n'illustrait pas, en réalité, une frustration plus profonde. À 77 ans, Jean-Pierre Michel a quitté la vie publique avec une pointe d'amertume. Ancien magistrat ayant participé, après mai 68, à la création du Syndicat de la magistrature, il aura été rapporteur du Pacs à l'Assemblée avant d'occuper, 16 ans plus tard, la même fonction pour le mariage pour tous ainsi que la réforme pénale au Sénat. Une carrière bien remplie.

Une carrière jalonnée de choix stratégiques qu'il lui faudra assumer, aussi. Dans les années 90, il se rallie à Jean-Pierre Chevènement et adhère au Mouvement des citoyens. Il s'éloigne finalement du "Che" et de sa formation après la présidentielle de 2002 pour fonder un petit parti, l'Association pour une gauche républicaine, "qui tentera d'exister pendant un temps", explique-t-il.

En 2004, retour dans le giron du PS, dirigé par un certain François Hollande. Mais en 2011, il soutient Martine Aubry pour la primaire socialiste, avant de se ranger derrière le vainqueur de cette compétition interne et de prendre d'importantes responsabilités parlementaires durant la première moitié du quinquennat.

C'est au bout de cette route que, deux jours après avoir vidé son bureau du Palais du Luxembourg, il écrit à François Hollande. Un courrier en forme d'offre de services auquel il n'a, à ce jour, reçu aucune réponse. Un certain "manque de respect", grince son entourage. Lui glisse :

C'est vrai que ça, je l'ai un peu saumâtre.

Ce qu'il avait déjà laissé entrevoir sur Twitter, il y a quelques jours. Le 12 mars, il postait un message empreint d'une jalousie bon enfant vis-à-vis des frondeurs reçus pour "boire un godet" à l'Élysée, alors que François Hollande n'a pas pris le temps de "remercier ceux qui ont fait le job".

Un de ses proches poursuit auprès du Lab :

Lui et Hollande se connaissent bien, ils ont toujours eu des relations prévenantes. Il était un parlementaire déjà chevronné quand Hollande a été élu député en 1988. En 2004, Hollande lui a tendu la main. Ensuite, il s'est mis à son service en tant que rapporteur sur de gros textes après son élection. Et du jour au lendemain, la défaite arrive et plus rien. Il ne comprend pas qu'il n'y ait pas eu un signe, une proposition...

Un peu oublié, Jean-Pierre Michel s'est donc rappelé au bon souvenir de la majorité début décembre en postulant au Conseil constitutionnel. Au lendemain de la mort de Jacques Barrot, l'ancien sénateur a en effet écrit au président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, pour candidater au poste laissé vacant par l'ex-ministre. Mais là encore, il attend toujours une réponse.

Comme l'on sait, c'est Lionel Jospin qui fit son entrée rue de Montpensier. Au grand regret de l'ancien élu de Haute-Saône, qui s'estimait mieux placé pour défendre les "acquis de la gauche" que sont le mariage gay et la réforme pénale, qui seront selon lui "menacés" d'abrogation par la droite en cas d'alternance en 2017. "Si c'est le cas, le Conseil constitutionnel aura un rôle central à jouer. Et en tant que spécialiste de ces deux dossiers, il estimait disposer de plus de compétences que Lionel Jospin, qui est par ailleurs un de ses amis", précise encore son entourage.

Jean-Pierre Michel en est conscient, tout cela n'est probablement pas étranger aux quelques détours qu'il a empruntés par le passé. "Ce que j'ai fait, je l'ai fait. Je ne regrette pas, au contraire", assure-t-il aujourd'hui. Mais il en paye peut-être un prix trop élevé à son goût.

Il partage désormais ses semaines entre son fief, où il préside trois associations et est toujours "invité partout", et la capitale. Et s'il jure ne pas "vivre dans le passé", il s'est fendu d'un petit coup de nostalgie, sur Twitter ces derniers jours :

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