Ce fut le coup de tonnerre politique de l’été. Le 26 août 2014, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon sont éjectés du gouvernement suite à leur attaque concertée contre les orientations économiques de François Hollande la veille à Frangy-en-Bresse. Depuis, l’ancien patron de Bercy et l’ex-ministre de l’Education nationale sont revenus à plusieurs reprises sur le déroulé des évènements qui ont conduit à leur éviction par Manuel Valls.
Ce dernier, au contraire, n’avait pas encore livré sa version des faits. C’est désormais chose faite, dans un livre du journaliste Jean-Pierre Bédéï, Sur proposition du Premier ministre… (L’Archipel), à paraître en janvier 2015. Dans cet ouvrage consacré à l’exercice du remaniement ministériel, Manuel Valls livre pour la première fois son ressenti sur l’épisode de Frangy et le tremblement de terre gouvernemental qui s’en est suivi.
Cette fête de la Rose mouvementée, lundi 25 août 2014, le locataire de Matignon assure à l’auteur qu’il ne la voit pas venir. Même si l’attitude d’Arnaud Montebourg, qui souffle le chaud et le froid depuis plusieurs semaines autour de la politique économique de François Hollande, lui inspire une certaine inquiétude. Quelques jours avant la rupture, Manuel Valls le prévient d'ailleurs en ces termes :
Fais attention à ce que tu diras à Frangy, dimanche. S’il s’agit d’appeler à une réorientation des politiques en Europe, pas de problème, mais attention à ne pas aller trop loin par ailleurs.
Même avertissement à Benoît Hamon, dont l'interview à la une du Parisien publiée le jour de la fête de la Rose confirme les mauvais pressentiments du chef du gouvernement. À celui qui se proclame "pas loin des frondeurs", Manuel Valls réplique par SMS :
Fais attention, tu es en train de t’embarquer dans une autre histoire que celle que nous écrivons.
Mais les images des télévisions qui parviennent à Manuel Valls lui montrent que ses mises en garde sont sans effet :
Lorsque j’ai vu la séquence sur la cuvée du Redressement, l’ambiance qui émanait de Frangy, en mon for intérieur j’ai compris que ça n’allait pas durer.
Un coup de fil à Jean-Christophe Cambadélis, le patron du PS, à Bruno Le Roux, le chef des députés socialistes, à Claude Bartolone, le président de l’Assemblée nationale, à François Hollande bien sûr, et voilà le sort du ministre de l’Économie et celui de l’Éducation nationale scellé.
Le lendemain matin, mardi 26 août, Manuel Valls reçoit Benoît Hamon et Arnaud Montebourg à Matignon pour leur signifier leur congé. Quelle est alors l’attitude des ministres déchus ? À en croire le chef du gouvernement, c’est un vrai coup dur pour le premier :
J’ai senti quelqu’un de triste, de vraiment triste (…). Il avait bien préparé la rentrée scolaire, et il s’en voulait de ne pas y assister.
Mais le locataire de la rue de Grenelle, qui ne peut se dédire, ne cherche pas à sauver sa peau :
Benoît a compris de lui-même qu’il devait partir. Nous sommes très vite tombés d’accord, mais j’étais triste pour lui.
Fidèle à lui-même, Arnaud Montebourg se montre en revanche sous son meilleur jour, selon Manuel Valls :
Il était joyeux, il chantait, il parlait anglais pour donner le change. On a écrit que notre entretien avait été tendu. C’est faux.
L’ancien candidat à la primaire socialiste, nullement affecté par sa disgrâce ? À voir. Car comme l’écrit Jean-Pierre Bédéï, le matin de l’annonce du remaniement, Arnaud Montebourg est amer. Pris par surprise, le bouillant patron de Bercy ne croyait pas que Manuel Valls briserait l’accord tactique qu’ils avaient conclu quelques mois plus tôt, avec Benoît Hamon, pour déloger Jean-Marc Ayrault de Matignon. Ce qui, dans la bouche du futur ex-ministre, donne ceci :
J’avais un deal avec Valls, ce n’est pas moi qui l’ai trahi, c’est lui !
Un jeu de dupes, sur fond de lignes politiques contradictoires, que l’auteur du livre résume avec brio : "Montebourg-Valls-Hamon ou la fragilité d’un pacte que chacun a interprété selon ses propres intérêts".