Doit-on parler de germanophobie ?

Publié à 12h04, le 03 décembre 2011 , Modifié à 23h41, le 03 décembre 2011

Doit-on parler de germanophobie ?
Nicolas Sarkozy et Angela Merkel lors d'un sommet à Bruxelles. (Francois Lenoir / Reuters)

"Bismarck" et "Diktat" d'un côté, "germanophobie" de l'autre. Ces derniers jours, la polémique autour des relations du couple franco-allemand s'est invitée dans la campagne. Pour le Lab, nos blogueurs Aurélien Véron et Romain Pigenel reviennent sur ces mots. L'un se demande si la gauche est "en guerre contre les boches" et le second alerte sur les dangers de l'instrumentalisation de ces mots. Vous aussi, participez au débat !

  1. Du danger de l’usage des phobies

    Amis Allemands qui lisez ces lignes, je sollicite votre totale attention pendant quelques secondes. Si vous vivez actuellement en France, PRENEZ GARDE. Gardez votre calme, conservez un sourire constant, mais rassemblez vos affaires, regagnez votre domicile, et réservez de toute urgence un billet nach Berlin. Vous n’êtes plus en sécurité. Un terrible péril vous guette dans l’Hexagone : la bête immonde de la germanophobie.

    Le doute m’envahit. Peut-être, ami allemand, que tu ne risques en fait rien en France. Si l’on ne peut plus faire confiance à d’aussi grandes éminences intellectuelles que Jean Quatremer, Dany Cohn-Bendit ou Alain Juppé, où allons-nous, je vous le demande ! Tous ont, la main sur le cœur, le cœur au bord des lèvres, dénoncé solennellement la germanophobie qui envahit notre beau pays. « Germanophobie hystérique », même, selon Jean Leonetti, « ministre des affaires européennes » dont on découvre l’activité ministérielle au détour de cette saillie – c’est déjà ça.

    La cause de cette subite indignation ? Quelques mots des socialistes Arnaud Montebourg et Jean-Marie Le Guen, qui ont eu le malheur d’émettre un comparatif, pour l’un, entre Merkel et Bismarck, et pour l’autre entre les renoncements à répétition de Nicolas Sarkozy et celui de Daladier à Munich. Honte, honte à eux et sur toute la gauche ! Que la première comparaison vienne en vérité du patron des socialistes … allemands, Sigmar Gabriel, et que la seconde soit un lieu commun éculé de la langue française n’a apparemment frappé personne. Que l’inénarrable Quatremer soit en guéguerre personnelle contre Arnaud Montebourg depuis des semaines, que Cohn Bendit, Juppé et Leonetti soient en compétition électorale avec le PS, n’a, sans aucun doute, aucun lien non plus avec la violence de leurs réactions.

    On pourrait rire de ce qui est bien pour le coup une flambée verbale hystérique et grotesque, de ce savant montage en épingle de propos (de Montebourg, de Le Guen) tout au plus maladroits et ayant eu le mérite de poser le débat sur le couple franco-allemand et la crise européenne. Mais cela n’a en fait rien de drôle. Depuis quelques années, on assiste à une inflation verbale sur le thème de la –phobie. Homophobie. Islamophobie. Christiano-, cathophobie. Prolophobie (!). Et maintenant donc le retour de la germanophobie. Ces mots mettent leur puissance au service de la dénonciation d’une discrimination subie par une communauté, une catégorie, une classe sociale. Ce faisant, ils mettent également un signe d’égalité entre toutes ces –phobies. Et c’est là que surgit le malaise. Car derrière ces concepts, il y a des situations, des intentions et des auteurs qui n’ont pas grand-chose à voir – c’est le moins qu’on puisse dire. Quel rapport entre l’homophobie, désignant les brimades (jusqu’au meurtre) et le rejet subis par des citoyens demandant l’égalité des droits, et la christianophobie mise en avant par des intégristes chrétiens pour bloquer des salles de spectacles ? Evidemment, aucun. Le même exercice pourrait être fait en comparant un à un tous les concepts « phobiques » que j’évoquais auparavant. Outre l’effet de mode, ces constructions lexicales peuvent devenir le vecteur de manipulations idéologiques pernicieuses, permettant à des forces politiques ou religieuses de s’inventer des ennemis chimériques, pour mieux prendre la pose, ensuite, de victime. Ou leur permettant de se refaire une virginité tout en rejetant leurs propres vices sur leurs adversaires. Que penser de Juppé et Leonetti qui imputent une xénophobie anti-allemande aux socialistes, tout en appartenant à une majorité qui organise la précarisation (c’est un euphémisme) des étrangers en France ? Qui prêche la naturalisation tout en la refusant dans les faits, comme le relate dans Libération mon ami Amine El Khatmi ? Pourquoi se taisent-ils, le fils spirituel de Chirac et le fantomatique ministre des affaires européennes, quand leur collègue Guéant dénonce le fléau de l’immigration ?

    Il y a plus inquiétant encore. En inventant une nouvelle –phobie chaque jour ou à l’occasion de chaque nouvelle polémique politicienne, on fait perdre toute force au suffixe. Que nous restera-t-il, comme mots, pour dénoncer le racisme ou l’extrémisme si par malheurs ils devenaient un fait de société majeur en France ? Si comparer Merkel à Bismarck fait de moi un germanophobe, alors la xénophobie, par exemple, ou l’homophobie, ce n’est pas bien grave. Les mots les plus lourds de sens, les plus importants s’usent quand on les emploie inconsidérément. Mais c’est peut-être tout l’effet recherché par certains dans cette ridicule polémique qui n’honore pas ce début de séquence présidentielle.

  2. La gauche en guerre contre les boches ?

    Les attaques de la gauche contre Merkozy et l’inféodation de la France à l’Allemagne a un petit air de ressemblance avec les années 30. Heureusement, il reste peu de stigmates des conflits sanglants qui ont opposé nos deux vaillants pays. Il n’y a donc aucun risque que ces tensions tournent mal. En tout cas pour le moment. Mais ce qui est plus surprenant, c’est que ces attaques viennent d’un centre gauche qui se prétend éclairé et pro-européen. Et que la réponse vienne d’un Nicolas Sarkozy qui n’avait jamais affiché de convictions pro-européennes jusqu’à son élection. C’est presque cocasse de l’entendre défendre avec un air aussi convaincu (quel travail !) le renforcement de la construction européenne face à une gauche au discours de plus en plus digne d’un Dupont Gnangnan. Il n’y a pas si longtemps, c’était l’inverse. Rappelez-vous lorsque Mitterrand prenait la main d’Helmut Kohl il y a 26 ans à Douaumont, et subissait les quolibets d’une droite aux réflexes facilement souverainistes.

    Certes, le couple franco-allemand a beaucoup souffert sous les coups de boutoirs de Sarkozy. S’affranchissant des principes diplomatiques, et parfois de savoir-vivre élémentaire, il a souvent brusqué une Merkel prudente, lente au démarrage, et avait fini par la rendre réticente par principe aux initiatives françaises. Mais avec la crise, le président a compris que la solution ne pouvait être qu’européenne. L’ennui, c’est que la solution européenne, ce n’est pas seulement la dérive bureaucratique de Bruxelles, mais aussi paradoxalement la libéralisation des Etats membres. Le nord l’a fait de façon progressive, consensuelle. L’Allemagne a ainsi maintenu sa compétitivité, reculé l’âge de la retraite, réduit la protection sociale sous la direction du social démocrate Schröder avec le succès qu’on sait. Hors de l’euro, la Suède souvent citée en modèle a privatisé tous ses services publics. Au contraire, le sud s’impose aujourd’hui un choc thatchérien - version européenne - après des années d’errements budgétaires et d’absence de réformes structurelles suffisantes. Au milieu de la mêlée, il reste un pays qui ignore la crise en train de s’abattre sur lui : la France. S'il n'a pas véritablement reformé notre modèle social, Sarkozy continue à se donner des airs de candidat réformateur. Il ose, le bougre. Ça plaît à son électorat et ça ne mange pas de pain.

    Mais c’est sans doute pourquoi la gauche se positionne ainsi contre cette Europe qui impose des remises en question des modèles économiques et sociaux qui ne marchent pas. Le nôtre par exemple. L’Europe, ça sonne bien quand on parle de constructions institutionnelles complexes auxquelles personne ne comprend rien. C’est plus délicat lorsqu’il s’agit de trancher dans les budgets publics et la protection sociale. Cette gauche dont l’horloge idéologique s’est arrêtée en 1981 n’a donc aucune envie de se Blairiser, et encore moins de se thatcheriser. En tout cas, pas pendant la campagne. Ensuite…

  3. A lire sur le Lab : Sarkozy a-t-il donné les clefs de l'Elysée à Merkel ?

    Sur lelab.europe1.fr

    Nicolas Sarkozy, lors de son discours jeudi soir à Toulon, a fait un pas supplémentaire vers la création d’un nouveau traité européen concerté avec l’Allemagne. Les socialistes comme l’extrême droite craignent que celui-ci ne scelle l’abandon de la souveraineté économique de la France. Réalité ou fantasme ? Le Lab démêle le vrai du faux. Un sujet réalisé avec l'aide de Bruno Jérôme, maître de conférence en économie à Paris II. 

  4. A lire ailleurs

    La germanophobie s'invite dans la campagne présidentielle. Le Lab a sélectionné pour vous ce qu'il faut lire sur le sujet : 

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