DOCUMENT– Qu’a dit Nicolas Sarkozy pour sa première intervention internationale ? Le Lab d'Europe 1 diffuse le verbatim intégral de la conférence à partir d'un enregistrement de 42 minutes qu'Europe 1 s'est procuré. Et vous en propose la retranscription.
On y entend un ancien chef de l’Etat n’hésitant pas à bousculer son auditoire composé de banquiers d’affaires, leur faisant porter la responsabilité de la crise.
Nicolas Sarkozy y livre également des témoignages sur ses relations avec les autres chefs d’Etat, y compris le président américain, Barack Obama. Il y développe encore sa vision de "trois Europe".
Exclu : le script de l'intervention de Nicolas Sarkozy à New-York
Nicolas Sarkozy s’est exprimé, à huis-clos, jeudi 11 octobre, à New-York, lors d’une conférence organisée par la banque d’investissement brésilienne BTG, dans un luxueux hôtel de Manhattan.
Le Lab vous propose en exclusivité le verbatim de cette intervention, dont seuls quelques extraits ont, pour l’instant, filtré.
Cette retranscription a été réalisée à partir d’un enregistrement audio de moyenne qualité, mais qui ne ne laisse aucun doute sur l'exactitude propos tenus. Il est établi à partir d'un enregistrement de 42 minutes de la conférence, qui, selon l'AFP, a duré cinquante minutes.
La scénographie est la suivante :
Nicolas Sarkozy n’est pas intervenu pendant cinquante minutes en direct, mais a été interrompu, relancé, prié de préciser, à plusieurs reprises, ses propos, lors d’échanges avec la salle.
Le Lab ne dispose pas de l'enregistrement de la première question.
Voici une visualisation des mots clés les plus répétés lors son intervention
Nicolas Sarkozy : La grille de lecture [historique], elle est toujours vraie. L’Allemagne et la France n’ont aucune autre alternative : s’opposer ou se rapprocher. [...]
Et voilà pourquoi en Europe l’idée européenne, malgré toutes les faiblesses, toutes les erreurs, tous les échecs, est une idée absolument incontournable. Parce qu’il y a 450 millions d’Européens qui savent, en regardant l’histoire de leur famille que s’il n’y a pas l’Union européenne, il y aura de nouveau la guerre.
L’Union européenne, c’est la paix. J’ai voulu dire ça parce que souvent, quand j’entends parler de l’Europe, je pense qu’on passe trop vite sur cette dimension historique qui permet mieux de comprendre les événements d’aujourd’hui. L’Europe c’est la paix. L’Europe doit être indestructible.
Deuxièmement, quelle est mon opinion sur la situation de l’Europe ? Elle est mauvaise pour deux ou trois raisons.
La première, c’est que l’Europe, les grands pays européens, l’Angleterre, la France, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, ont vécu leur histoire sur une idée qui est devenue fausse.
L’histoire des grands pays d’Europe, c’est qu’ils étaient en première division, que c’était un du, qu’ils n’avaient pas à le mériter, que c’était incontournable. Maintenant, c’est faux. Il y a le Brésil, le Mexique, l’Afrique du Sud, la Chine, l’Inde et tous les pays émergents. Imaginez le traumatisme national pour des pays qui sont en première division depuis des siècles et qui aujourd’hui se trouvent menacés de descendre en deuxième division.
C’est plus facile de passer de la deuxième division à la première que passer de la première à la deuxième, voire à la troisième. Ca implique un changement d’état d’esprit considérable.
Ca, c’est le premier problème. Donc l’Europe doit se remettre en cause, l’Europe doit mériter sa place. Le problème de l’Europe, c’est un problème de réformes et de compétitivité.
J’ajoute une incidente : ce problème ne doit plus être résolu par l’endettement. Il ne pourra être résolu que par le progrès technologique et le travail en plus.
Nous avons une deuxième grande difficulté: le monde change à une vitesse stupéfiante. Vous les chefs d’entreprise, vous le savez.
Plus important que prendre la bonne décision, c’est la prendre au bon moment. Parce que la bonne décision prise trop tard, c’est une mauvaise décision. Il ne s’agit pas pour vous, chefs d’entreprises, simplement de bien décider mais de bien décider au bon moment. Ni trop tôt ni trop tard. Souvent trop tard, rarement trop tôt.
Pour vous adapter à la situation du monde, vous avez organisé le management de l’entreprise différemment. Vous devez décider vite, changer de direction vite, adapter les effectifs et les moyens vite. C’est le nouveau leadership dans l’entreprise, dans la politique, dans la démocratie.
La décision rapide est impossible parce qu’il y a le Parlement, parce qu’il y l’opposition qui se bagarre avec la majorité, parce qu’il y a les medias, parce qu’il y a l’exigence de résultats immédiats.
Et donc, l’Europe doit apprendre à accepter le leadership car seul le leadership permet de prendre des décisions rapides. Or le leadership est le contraire de la règle qui a permis à l’Europe de se construire.
L’Europe s’est construite en disant à 27 pays, petits moyens et grands : vous avez les mêmes pouvoirs. Ca ne peut plus marcher.
On ne peut pas avoir un système où 27 pays doivent attendre que le 27e soit d’accord pour que les 26 autres puissent avancer. Ce système ne peut plus fonctionner. Et qui peut mener ce leadership ? Les grands pays : l’Allemagne, la France, l’Angleterre, notamment, qui a toute sa place en Europe.
Mais l’Europe va devoir changer énormément sa façon de se construire et de décider. Ca sera le changement ou l’état de gouffre.
Troisième remarque, je pense que dans les deux années qui vont venir, l’Europe, malheureusement, va connaitre beaucoup de difficultés. Malheureusement pour l’Europe, et heureusement pour vous les investisseurs.
Parce qu’il y aura beaucoup d’opportunités dans la crise. La crise européenne n’est pas finie. Les conditions pour que l’Europe sorte de la crise ne seront pas mises en place avant plusieurs mois voire plusieurs années.
Est-ce à dire qu’il faut déjà quitter l’Europe ? Certainement pas. Je dirais même, au contraire. Comme disent les investisseurs en France, il faut acheter au son du canon et vendre au son du clairon. Si vous écoutez la musique en Europe, aujourd’hui, c’est le son du canon.
-----
Question inaudible de la salle, qui provoque de nombreux rires. Nicolas Sarkozy lance un "certainly", qui, à son tour, fait rire. Et développe une nouvelle tirade.
-----
Nicolas Sarkozy: Toutes les familles en Europe ont tellement souffert des affrontements du passé. Il n’y a pas une seule personne en Europe qui doute de l’importance de la construction européenne. Toutes les personnes sont prêtes à faire des efforts pour réussir ? Evidemment non. Et dans les crises qui menacent l’Europe, la crise sociale n’est pas la moindre.
Il faut faire attention dans nos pays, les vôtres comme le mien, du décalage entre ce que comprennent les élites et ce que vit le peuple. Ce décalage peut provoquer la désintégration des sociétés.
Si une majorité ne vous suit pas, vous ne pouvez pas faire avancer.
Regardez la Grèce. Ce n’est pas n’importe quel pays la Grèce. Neuf millions d’habitants, une grande civilisation, le berceau de la démocratie, de la philosophie. La Grèce, peut être les plus beaux vestiges de l’action de l’humanité.
Regardez comment un pays s’est trouvé en situation de quasi faillite. En Amérique du Sud, vous avez connu ça. En Asie, on a connu ça aussi.
Mais en Europe, c’est beaucoup plus grave. Pourquoi ? Et c’est une décision que j’ai du assumer avec Mme Merkel. Les dirigeants grecs, à l’époque où ils sont rentrés dans la monnaie unique, ont menti sur les chiffres. Les chiffres étaient faux.
En Grèce, on ne paie pas assez ses impôts, et l’Etat n’est pas assez fort. Mais ce qui est infligé aux Grecs depuis deux ou trois ans, est énorme, comme effort.
Pourquoi, avec Madame Merkel, nous sommes-nous battus au fond pour payer pour la Grèce ?
Parce que nous nous sommes aperçus de quelque chose que vous, les chefs d’entreprise, vous pouvez parfaitement comprendre. Qu’un petit pays pauvre, décide un jour de ne pas payer ses dettes, ce n’est pas bien. Mais on peut le comprendre. Et c’est arrivé à l’échelle d’un pays en Afrique.
Mais que la Grèce fasse faillite, ne paye pas ses dettes et laisse ses créanciers sans rien… Nous avons pensé avec Mme Merkel qu’à la minute où nous acceptions cela en Europe, l’ensemble des marchés regarderaient l’Europe en disant : "Qui est le prochain ?".
Vous savez bien que tout notre système repose sur un mot et un seul : la confiance. Si nous avions laissé tomber la Grèce, après tout, 2 % du PIB européen, c’était envisageable. Mais après, imaginez pour vous les investisseurs, si nous l’avions fait, lequel ici, dans cette salle, n’aurait pas pensé, quel est le prochain ?
A ce moment là, comment aurait-on sorti de la panade le Portugal, l’Irlande, et tant d’autres? Donc à la différence de ce qui s’était passé pour certains pays d’Afrique, nous ne pouvions pas laisser tomber la Grèce.
La Grèce devait 200 milliards d’euros, nous avons négocié pour qu’elle n’en doive plus que 115. Et on a expliqué à nos Parlements qu’il fallait payer pour les Grecs.
Mais imaginez un peu, dans vos pays !
Quand nous sommes arrivés avec Madame Merkel devant nos Parlements, en disant : "C’est bien, nous vous demandons de travailler plus longtemps, pour les Français, pour les Allemands, et nous allons plus payer pour les Grecs ..."
Imaginez la joie et l’allégresse dans mon pays et en Allemagne !
Et pourtant, nous n’avions pas le choix, il n’y avait pas d’autre solution.
[Cette histoire illustre] à la fois la solidité des liens en Europe, et à la complexité de nos relations.
Parfois, je parlais avec le président des Etats-Unis, Barack Obama.
Et il me disait :
"
Mais regarde, aux Etats-Unis, c’est compliqué !
Il y a le Congrès …
"Et moi je lui dis:
"
Imagine en Europe, il y a 27 Congrès !
27 gouvernements !
"Imaginez la complexité absolue des prises de décision, et en même temps, nous ne devons pas nous séparer.
Donc, mon analyse, c’est que la situation est très difficile, qu’elle ne peut pas s’améliorer dans les mois qui viennent, voire les deux années qui viennent.
Qu’elle ne pourra s’améliorer que si l’Europe retrouve la croissance qui seule lui permettra de rembourser ses dettes.
Mais qu’en même temps, je ne pense pas que l’euro disparaîtra, et [je pense que] l’Europe fonctionnera.
Il y a peut-être un paradoxe dans ce que je vous dis. Mais c’est profondément ce que je pense.
Si j’avais à parier, je parierais que dans dix ans, l’euro sera toujours une monnaie vivante. Mais je parierais aussi que dans les deux années qui viennent, l’Europe connaîtra de grandes crises.
Et encore une fois, c’est grâce aux crises que l’Europe arrivera à bousculer ses procédures de décisions, et à changer sa façon d’avancer et d’être ouverte.
[blanc, et rires dans la salle]
J’aimerais que ce soit plus simple …
Il y a une chose qui est sûre. Dans vos intérêts, dans vos pays, comme dans le mien, la simplicité n’est plus une valeur culturelle.
Et justement, ce qui est compliqué, c’est de trouver son chemin, dans un univers si complexe […].
----
Question, en anglais, longue, de près de deux minutes.
L’intervenant lance notamment à Nicolas Sarkozy : "On ne savait pas que vous nous manqueriez si vite !", déclenchant l’hilarité de la salle.
Puis interroge Nicolas Sarkozy sur les risques populistes dans les pays tels que l’Espagne, touchés par la crise.
----
Nicolas Sarkozy : C’est la vraie question. D’abord, il me faut revenir un peu en arrière. Pourquoi, pour faire court, le monde développé s’est précipité dans les déficits et dans la dette ? C’est quand même une question qui se pose ! Pourquoi ?
C’est pas parce que les dirigeants étaient mauvais, ils étaient ni meilleurs, ni pires. Mais pourquoi cette stratégie, dans tous les pays, des Etats-Unis jusqu’à l’Europe, de la dette et du déficit ?
Est-ce que vous vous êtes posés la question du pourquoi ? Parce qu’il y a une raison à cela. Et quelle est cette raison ? Elle est à mes yeux simple.
Le monde, jusqu’au lendemain de la seconde guerre mondiale, était organisé de façon à ce que la croissance ne soit partagée qu’entre les grands pays occidentaux, point final.
Et avec cette croissance, ces grands pays occidentaux ont créé des systèmes sociaux fantastiques, pour la santé, pour la retraite, pour les pauvres, pour le chômage. Fantastique !
Mais qu’est-ce qu’il s’est passé ? Au lendemain de la guerre, d’autres pays ont dit : "Nous voulons une partie de la croissance." La Chine, le Brésil, l’Inde …
Ils sont venus concurrencer, et c’est normal, les pays occidentaux.
Qu’est-ce qu’il s’est passé, dans les pays occidentaux ? Du fait de la concurrence, ils ont moins gagné d’argent, ils ont depuis plus de chômeurs, plus de pauvres, plus de déficits sociaux.
Moins de recettes, et plus de pauvres : l’effet ciseaux parfait !
Naturellement, à ce moment, là, les gouvernements des pays occidentaux n’ont pas dit à leurs opinions publiques : "Maintenant, il y a de nouveaux acteurs sur la scène internationale, on doit partager la croissance, on va donc diminuer nos programmes sociaux."
Qui, ici, peut m’expliquer qu’on peut dire à un peuple, parce qu’il y a la crise, on va diminuer la protection sociale ..
Et comment a été financée l’émergence des pays émergents, le partage de la croissance, la diminution de la richesse des pays occidentaux ? Par le déficit et par la dette. C’est très exactement ça qu’il s’est passé.
Au fond, les pays occidentaux ont compensé leur perte de compétitivité et de parts de marchés par une augmentation de la dette […] Et le système financier, fort intelligemment, a compris qu’on pouvait faire des bénéfices sur la dette.
On est même arrivés à un système fantastique ou, plus il y a des dettes, plus il y a de bénéfices. Naturellement, le type de la rue, arrivait pas à comprendre ça.
Et les produits sont devenus de plus en plus sophistiqués, et les intervenants ont gagné de plus en plus d’argent sur la dette. Donc on avait un système où tout le monde perdait de l’argent mais, à l’arrivée, on pouvait en gagner.
Ca veut dire quoi ? Ca a donné lieu aux subprimes, aux ingénériesfinancières que plus personne ne comprenait, et à l’explosion de la bulle. Voilà où nous sommes arrivés.
Je veux dire, je n’excuse pas, j’explique : que la stratégie du déficit et de la dette était un choix ; que les dirigeants de l’époque, ils ne pouvaient pas faire autrement, du fait de l’émergence de nouveaux concurrents sur la scène internationale.
Mais maintenant, c’est fini, it’s over, il faut faut trouver autre chose.
Pourquoi ? Parce que la dette est arrivée à un tel niveau, que l’on ne peut plus continuer. Et donc il nous faut à la fois réduire nos déficits, retrouver la compétitivité, et ne pas provoquer d’explosion sociale. Voilà l’extrême difficulté du système, l’extrême difficulté.
La solution ? Elle est simple, mais très difficile à expliquer, j’en sais quelque chose. Elle est dans le travailler davantage, pas dans le travailler moins.
Et avec un discours comme ça, vous avez devant vous un type qui a concuru à l’élection présidentielle, et qui n’a été battu que de 1%, un peu plus. [blanc] C’est pas si évident.
Et quand je vois d’ailleurs le débat politique aux Etats-Unis, je vois bien l’indexation entre les courbes de sondages, et les résultats économiques.
Alors l’alternance est une chose, la montée des populismes en est une autre. […] C’est un risque.
C’est pour ça qu’il faut que nous soyons extrêmement attentifs à ne pas mentir au peuple, à prendre les bonnes décisions, et à faire attention à ne pas faire mourir, mais guérir le patient.
J’ajoute une dernière chose : je crois que les pays émergents comme ce géant qu’est le Brésil doivent comprendre qu’ils vont prendre de plus en plus de la croissance mondiale, mais qu’ils doivent assumer, comme la Chine, comme l’Inde, leurs responsabilités dans la marche du monde.
Au fond, et je terminerai par là, le partage du monde entre pays pauvres et pays riches, n’est plus un partage pertinent. Il y a une troisième catégorie de pays, les pays riches où il y a beaucoup de pauvres.
----
Question : quelle institution, quel processus, l’Europe doit-elle développer pour évoluer dans la complexité que vous décrivez ? Qu’est-ce qui manque aujourd’hui ?
----
Nicolas Sarkozy: Oh, il n’y a qu’une seule institution qui peut fonctionner […]. L’Europe doit se doter d’un gouvernement économique. Qui constituera ce gouvernement économique ? Non pas les ministres des Finances, les chefs d’Etat. Parce que l’économie, ce n’est pas que la finance.
Ce gouvernement économique imposera une politique économique globale et cohérente à l’Europe. C’est un changement considérable, parce que ça ne peut pas être la Commission, qui n’a pas la légitimité, qui pourra impulser cette politique économique cohérente.
Et ça amène immédiatement une deuxième conséquence, c’est que, dans les années qui viennent, vous verrez, vous n’aurez pas à travailler avec une Europe, mais avec au moins trois Europe.
Il y aura "l’Europe des 17", c’est-à-dire une Europe avec la même monnaie, et la même politique économique. Le cœur de la centrale nucléaire.
Il y aura "l’Europe des 27", qui deviendra avec les Balkans, "l’Europe des 36". Solidarité politique, marché unique, mais moins d’intégration, et moins de fédéralisme.
Et puis peut-être vais-je vous étonner, mais je crois qu’il y a une troisième Europe, beaucoup plus large. Une Europe qui alliera "l’Europe des 36", plus la Russie, plus la Turquie.
La Russie est profondément un pays européen. La Russie, c’est un pays qui est grand comme deux fois et demi les Etats-Unis d’Amérique, dont la superficie est 46 fois la superficie de la France, et qui perd près d’un demi-million d’habitants chaque année.
La Russie a des terres, la Russie a des matières premières, l’Europe a la technologie. Je crois au rapprochement entre la Russie et l’Europe.
Quant à la Turquie, vous savez que j’ai toujours été opposé à son entrée dans l’Union européenne. Mais je crois qu’il faudrait imaginer un nouvel ensemble de près d’un milliard d’habitants, qui rassemblera dans une communauté de sécurité et de libre circulation des marchandises et des biens, de la Russie à l’Europe jusqu’à la Turquie.
Donc j’ai bien conscience, là, de plonger tout le monde dans un abyme de perplexité, mais c’est ça l’évolution de notre continent. Et cette évolution, elle est inévitable.
Et je voudrais faire une remarque : quand vous pensez, quand vous pensez, au Maghreb. La frontière est fermée aujourd’hui entre l’Algérie et le Maroc. La frontière est fermée entre l’Algérie et le Maroc, qui auraient tant à faire … de l’Algérie, au Maroc, de la Tunisie, à la Libye, au Machrek.
Quand vous pensez qu’il y aurait tant à développer dans les solidarités sur le continent sud-américain entre les régions que sont le Brésil, l’Argentine, le Mexique, peut-être aussi la Colombie, le Chili.
L’Europe qui, parfois agace tant, l’Europe qu’on montre tant de fois comme l’exemple de ce qui ne va pas … Je vais vous dire une chose : il y a des tas de choses qui ne vont pas en Europe, mais l’intuition de la nécessité pour les pays d’une même zone dans le monde de se rapprocher, de se comprendre, de s’aider, d’abaisser les barrières entre eux, cette intuition elle est la bonne. Et c’est une intuition européenne !
L’Afrique devra s’inspirer de cela. L’Amérique du Sud devra s'inspirer de cela.
Et regardez les Américains qui sont ici, regardez comme c’est pas facile ! Vous êtes un pays, les Etats-Unis d’Amérique, et un continent. Au fond, vous avez deux voisins : le Canada, au nord, plutôt sympathique, au sud, le Mexique, aussi sympathique, un peu plus compliqué. Est-ce que vous êtes arrivés à faire un marché commun entre vous trois ? Et vous n’êtes que trois !
Et pourtant, qui peut contester que, quand on est les habitants d’un même continent, pour les entreprises, l’accès à un marché gigantesque est indispensable pour avoir de la croissance, et qu’il n’y a pas d’autres choix.
----
Question : Quel regard portez-vous sur l’évolution des pays émergeants comme le Brésil ou la Chine ?
----
Nicolas Sarkozy : Vous savez, l’un des grands malheurs du monde – et je vais dire quelque chose qui est le contraire de ce que l’on a l’habitude de lire. L’un des grands malheurs du monde, c’est la religion du consensus : car au nom de la religion du consensus, on ne décide de rien.
Regardez les Nations-Unies : parfait exemple d’une idée brillante, qu’on est en train de fracasser sur la stupidité, qui veut qu’on avance que si tout le monde est d’accord. Comment voulez-vous qu’une organisation qui compte 200 pays puisse décider, si on doit attendre que tout le monde soit d’accord ?
C’est pour cela que j’ai dit, à Heiligendamm [en Allemagne, NDLR], à mon premier G8 :
"
Je ne viendrai plus jamais en tant que président français dans un G8, car je n’accepte pas que l’on invite, pour le dernier déjeuner, du dernier jour, le Brésil, la Chine, l’Inde, le Mexique, et l'Afrique du Sud.
"[Plus tard], j’étais à Camp David, et je me suis battu pour convaincre Georges Bush de créer, je voulais que ce soit un G14, finalement on a créé le G20, parce que les Etats-Unis, quand ils sont dans un cénacle où il y a la Corée du Sud, la Turquie, l’Arabie Saoudite et l’Australie, ils se sentent moins seuls.
C’est même émouvant d’être si grand et de ne jamais vouloir être seul. (rires) A quoi ca sert d’être si fort ? (rires) Et on a créé le G20.
Mais réfléchissez au scandale que représente une situation où il n’y a aucun pays africain membre permanent du Conseil de sécurité. L’Afrique c’est 1 milliard d’habitants.
Dans 30 ans, c’est 2 milliards d’habitants. Sur ce milliard d’habitants, il y en a 60% qui ont moins de 17 ans. Et aucun pays africain membre du conseil de sécurité. Pas un pays d’Amérique latine, 450 millions d’habitants, membre permanent du conseil de sécurité. Comment voulez vous que ca fonctionne ? L’Inde, dans 30 ans le pays le plus peuplé du monde, plus que la Chine, membre non-permanent du conseil de sécurité. Donc nous avons créé le G20, pour rééquilibrer les responsabilités.
M. Ban Ki-Moon, que j’aime beaucoup, qui est l’exemple de la bonne éducation [...] m’a dit :
"
Mais Monsieur le président, pour le G20 ?
"Je lui ai dit :
"
Mais M. le Secrétaire général, il y a une raison. J’ai voulu la création d’un G20 parce que votre G199 ne décide de rien. Voilà la raison. Elle est là.
"Et donc, ces pays émergents, les cinq grands (le Mexique, l’Afrique du Sud, la Chine, l’Inde, le Brésil) ont un rôle de plus en plus important à jouer dans les équilibres du monde et dans les décisions du monde.
Mais ils ne peuvent pas dire : "Nous voulons toute notre part de la croissance mais nous ne voulons pas payer le prix du sang en envoyant nos soldats pour garantir la paix, nous voulons maintenir des barrières protectionnistes, sur nos marchés mais nous voulons vendre nos produits dans vos marchés".
Et donc il faut sortir de la vulgate qui voulait que d’un coté il y ait les pays riches et de l’autre coté les pays où l’on [vit dans la pauvreté]. Ca n’existe plus.
C’était un des grands débats avec Lula, vous savez que j’admire le président Lula, comme je suis proche de lui.
Je lui disais :
"
Tu es un grand du monde avec le Brésil mais tu dois accepter de payer aussi pour la stabilité du monde.
"C’est pas facile à comprendre. Or je comprends bien qu’au Brésil, comme dans chacun de ces pays, il y a une espèce de schizophrénie. En même temps on se sent les nouvelles puissances du monde, mais on est toujours dans le monde d’il y a 30 ans à la tête de ceux qu’on appelait "les non-alignés". Il faut choisir.
Les puissances d’aujourd’hui, elles ont les droits des puissances mais elles doivent avoir les devoirs des puissances. Pas l’un sans l’autre. Et je crois que c’est ça la priorité du monde. [...]
Chacun d’entre nous doit faire des efforts. L’Europe est le continent le plus ouvert à la concurrence. Les pays émergents ne pourront plus continuer à mettre des barrières à l’entrée de leurs marchés.
----
Question : Nicolas Sarkozy est interrogé sur une éventuelle installation au Brésil ...
----
Nicolas Sarkozy : C’est une erreur sur le Sarkozy qui va aller au Brésil. (rires).
C’est mon fils ainé Pierre, pour une raison que je ne comprends pas, il a été à Rio de Janeiro deux jours, et en rentrant il a dit :
"
Papa, c’est là que je dois vivre.
"J’ai pas bien compris ce qu’il s’était passé (rires), mais ça devait avoir un rapport avec la plage, les Brésiliennes et (…) un endroit où il faut vivre. Pour moi, je me sens très proche du Brésil, et je ne sais pas de quoi sera fait mon avenir.
Mais je vais vous dire quelque chose qui est une confidence : la politique, c’est vraiment très dur parce qu’on est attaqué à chaque instant et en même temps, c’est un grand honneur.
Je m’appelle Sarkozy, un nom pas très français. Je n’ai jamais bu une goutte d’alcool de ma vie, en France ! Et les Français m’ont élu président.
C’est un honneur qui vaut tous les combats. Je pense que la vie, pour vous comme pour nous, sera de moins en moins une vie toute entière consacrée à un secteur.
J’aimerais tellement montrer qu’on peut avoir été un politique et comprendre l’entreprise. Parfois il y a des chefs d’entreprise qui sont devenus des grands politiques. Et je crois qu’il est très important, dans tous nos pays, qu’il y ait davantage de passerelles entre le monde de l’entreprise et le monde de la politique.
Vous savez, je ne connais pas l’amertume. J’aime ma vie et je me suis battu pour gagner. J’ai gagné une fois et j’ai perdu une autre fois. C’est la vie. Je ne m’en plains pas.
Je veux maintenant une nouvelle vie, mais pas une vie seulement pour faire des conférences. Vous savez, moi ce que j’aime, ce n’est pas la politique. Ce que j’aime, c’est faire. Faire dans la politique ou faire ailleurs.
Alors au Brésil ? Pourquoi pas. Franchement, si vous me donnez le choix, entre la Norvège et le Brésil ... OK, j’achète le Brésil tout de suite.
[Retranscription : Antoine Bayet et Sébastien Tronche]