AUTO-ANALYSE – Un président de la République analysant sa propre communication, au cours d’un entretien avec un essayiste : l’exercice est largement inédit.
C’est celui auquel se livre François Hollande, dans L’homme sans com’ (à paraître le 3 octobre aux éditions du Seuil), un ouvrage signé de Denis Pingaud, plutôt marqué à gauche – il a été chargé de mission auprès de Laurent Fabius à Matignon, spin doctor de José Bové, et proche, politiquement, de la LCR puis du PS. Claude Bartolone disait même de lui, dans un article du Monde, en 2007 : "C’est un ami qui donne des conseils informels sur les médias"
"L’accoucheur" du chef de l’Etat précise bien le cadre de l’échange avec François Hollande, qui constitue les quinze dernières pages de l’ouvrage : il s’agit d’un entretien dont il dit lui-même qu’il a été "autorisé", qui s’est déroulé à l’Elysée, en juin 2013 – on comprend qu’il s’est déroulé le 5 juin.
Il se présente comme une longue prise de parole, assez structurée, avec des parties, des sous-parties, dans laquelle François Hollande décrypte la com’ présidentielle de François Hollande. Avec quelques cas pratiques mais, surtout, beaucoup de théorie.
Voici quelques points qui ont marqué le Lab.
1. Les images de ma cravate ont été prises à mon insu
C’est sans doute le passage le plus marquant pour le Lab – et qui, pour tout dire, donne une image de François Hollande un peu déconnecté des nouvelles pratiques de l’info, alors même qu’il cherche à discourir sur les mutations des conditions de production de l’information.
Evoquant sa très remarquée cravate de travers voilà ce qu’énonce le chef de l’Etat :
Tout a changé dans le monde de l’information. Avant, le pouvoir était à peu près en mesure de contrôler toutes les images qu’il voulait donner à voir. Quand je dis avant, ce n’était pas il y a trente ans, ce n’était pas du temps de l’ORTF et du ministre de l’Information.
C’était avant que n’apparaissent, il y a quelques années, les nouveaux outils multimédias ou miniaturisés qui permettent de saisir photos ou vidéos à chaque instant et à l’insu de tous.
Avant, une cravate de travers, un lacet défait, personne ne le remarquait, car personne ne disposait des images pour le voir. Maintenant, la moindre anomalie, le moindre incident, sont immédiatement détectés.
Le hic, c’est que les cravates de travers de François Hollande n’ont *jamais* été le résultat de photos volées, ni filmées à la gopro ou par iphone : c’est à chaque fois lors de séance de sorties très officielles que François Hollande a été épinglé.
Evidemment, c’est sur internet, et sur les réseaux sociaux que les clichés sont particulièrement diffusés. Mais affirmer qu’elles ont été prises "à l’insu de tous", c’est absolument … faux.
2. La rareté de la parole présidentielle, ça ne marche plus
C’est la partie la plus "conceptuelle" de l’entretien : François Hollande y tue, une fois pour toute, le dogme de la "rareté de la parole présidentielle", qui avait été érigé en loi d’airain de la communication présidentielle par Jacques Pilhan, qui fut successivement le conseiller de François Mitterrand, puis de Jacques Chirac.
François Hollande y revendique son droit le plus absolu à l’exercice du "commentaire de l’actualité". Pas forcément pour s’expliquer devant les Français, non … plutôt parce que, sinon, son attitude "ne serait pas comprise par les médias" :
Aujourd’hui, la rareté de la parole présidentielle ne peut plus fonctionner. La logique institutionnelle du quinquennat a changé. La transformation des médias a fait le reste. Je le vois très bien dans mes déplacements (…). La pression des rédactions en chef porte les journalistes vers la quête d’une information précise (sur) l’actualité du moment.
Je pourrais ne pas répondre. Il y a quelques années, une telle attitude aurait été recevable par les médias. Mais aujourd’hui elle ne serait pas comprise.
3. Ma com’ est moins pire que celle de Sarko
(MaxPPP)
Et hop, une petite pique contre Nicolas Sarkozy. Oh, elle n’est pas exprimée directement dans l’entretien accordé à Denis Pingaud, mais le sous-entendu est limpide.
Alors qu’il discourt sur le sujet de "la posture présidentielle", François Hollande énonce ainsi :
Je suis le président de la République. Ma personnalité ne peut pas transgresser ma responsabilité. Certains s’y sont essayés en privilégiant, en quelque sorte, le naturel à la fonction. Ils l’ont payé cher.
Coucou Nicolas, donc.
4. Le secret, ça n’existe plus
Associer les collaborateurs et les parties prenantes d’un dossier à la prise de décision publique ? François Hollande est résolument pour … et assume les difficultés nées de ce "contexte nouveau" :
Le secret et la confidentialité n’existe plus (…) le processus est devenu difficile à maîtriser (…). Le contrôle de la communication devient plus délicat. Sauf instaurer un contrôle des parties prenantes. Au nom de la peur des fuites. Tel n’est pas mon état d’esprit.
5. Pas de mea-culpa pour le "neuf français sur dix"
Vous vous souvenez de l’élément de langage totalement raté tenté par Jean-Marc Ayrault sur le plateau de l’émission Des Paroles et des Actes, en septembre 2012, au moment de la présentation du budget 2013, et qui assurait que"neuf français sur dix ne seront pas concernés par les augmentations de fiscalité" ?
On a su, par la suite, que c’était un certain François Hollande qui l’avait souffléà son premier ministre le jour même …
On apprend dans l’ouvrage de Denis Pingaud … que François Hollande n’a *aucune* envie de concéder une boulette :
C’était vrai pour le budget de l’Etat, mais pas sur l’ensemble du financement de la Sécurité sociale.
Or, les Français ne distinguent pas.
Un taux, un tarif, c’est toujours … un prélèvement.
Oui, vous avez bien lu : François Hollande (et Jean-Marc Ayrault) avaient raison, mais bon, les Français n’ont pas su le "distinguer"…
6. La gauche a un problème avec la com’
Dixit François Hollande, la gauche a un problème structurel avec la communication.
Le chef de l’Etat le dit ainsi :
Toute entreprise, institution, association ou même tout média qui veut faire passer une information, s’interroge et travaille sur la meilleure manière d’y parvenir.
La gauche pense souvent que la raison suffit, que la logique, l’argument, l’intelligence suffisent à franchir tous les murs, à percer toutes les résistances.
Sous-entendu : à gauche, on pense que notre travail se suffit à lui-même, et on rechigne à organiser le faire-savoir.