UMP : comment Copé a "mitonné lui-même" sa victoire contre Fillon

Publié à 09h50, le 14 janvier 2013 , Modifié à 10h10, le 14 janvier 2013

UMP : comment Copé a "mitonné lui-même" sa victoire contre Fillon
Jean-François Copé, annonçant sa victoire à l'UMP (photo MaxPPP)

BONNES FEUILLES - Le Lab publie, ce lundi 14 janvier, les bonnes feuilles de La guerre des deux droites, ouvrage de Hubert Huertas, avec Frédéric Says, qui sort le 16 janvier aux éditions de l'Archipel.

Les deux auteurs, respectivement chef du service politique de France Culture et journaliste politique chez Radio France, y racontent comment Jean-François Copé, secrétaire général sortant de l’UMP, a "mitonné lui-même" le score avantageux qu’il a recueilli lors du scrutin du 18 novembre, face à un François Fillon définitivement trop sûr de gagner.

Les auteurs y dévoilent notamment la recette explosive employée par le cuisinier-en-chef Jean-François Copé, et mettent en avant l'existence de 25.000 suffrages "flottants", représentant quinze pour cent des votants.

 

  1. "Bizarre, vous avez dit bizarre ?"

    Quand l’équipe Fillon prévoyait déjà de tuer les copéistes Dati et Karoutchi

    Le 26 août 2012, François Fillon fait sa première sortie publique, après son accident de scooter, à Saint-Denis d’Orques (photo MaxPPP)

    Il est arrivé ce qu’il est arrivé parce que François Fillon s’appelle François Fillon, et qu’il est plus enclin à conduire des bolides qu’à mettre les mains dans le moteur, et que Jean-François Copé est Jean-François Copé, et qu’il est prêt à bien des ruses pour franchir en tête le drapeau à damier, y compris à l’agiter lui-même, après avoir gratifié son concurrent d’un peu d’huile sur le circuit, et de quelques clous par ci par-là.

    […]

    Un membre de son équipe de campagne raconte :

    "

    C’est lors de son dernier déplacement que j’ai su que François Fillon allait perdre.

    Il avait choisi de faire un déplacement en Vendée, pour le clin d’œil : c’est dans ce département que Sarko avait fait son dernier meeting lors de la présidentielle.

    D’accord, le clin d’œil est sympa, mais on était loin de la campagne de Sarkozy !

    On commence la visite d’une exploitation agricole à midi. Ensuite on déjeune pendant 2 heures et demi à l’exploitation, avec les notables du coin.

    Et on mangeait, et on mangeait !

    Il ne se passait rien, les journalistes étaient tenus à l’écart dans la pièce voisine.

    Pendant ce temps, Copé enchainait son deuxième meeting, il en faisait trois par jours !

    Et là, je vois Eric Ciotti, Valérie Pécresse et François Fillon commencer à parler de "ceux qu’il faudra tuer" une fois à la tête de l’UMP.

    "Tue Dati", "tue Karoutchi", les conseils au futur président de l’UMP, entre sentiment revanchard et méchancetés, se succèdent, comme s’il était déjà élu.

    On était consternés : ils étaient là, à un banquet, à se répartir les postes, avec les journalistes dans la pièce d’à côté, qui pouvaient tout entendre !

    "

    Dans l’équipe Fillon, les langues se sont déliées après le résultat : "De toute façon même si on gagnait à 53 %, c’était une défaite. Vous imaginez, un ancien premier ministre, homme politique le plus populaire auprès des Français, ainsi mis en ballotage ? C’est ridicule" tranche, amer, un soutien actif.

    François Fillon disposait d’atouts majeurs : la quasi-totalité des figures du parti : François Baroin, Valérie Pécresse, Laurent Wauquiez, Christian Estrosi, Jean Leonetti, Eric Ciotti…

    La majorité des députés, le statut d’homme d’Etat.

    L’un de ses conseillers en communication ajoute :

    "

    Même les médias étaient plutôt avec lui.

    En tout cas, plutôt hostiles à Copé et à son affaire de pain au chocolat.

    "

    Il avait été prévenu, et n’a pas voulu entendre. […] François Fillon a préféré croire aux sondages et s’en tenir à son "sens de l’état", c’est à dire des cathédrales. Or cette élection-là se passait dans une chapelle.

    Trois cent mille inscrits, encartés, quasiment un public à prendre par la main, électeur par électeur, précisément ce qu’il n’aime pas. Il s’en est donc tenu aux communiqués de victoire acquise.

    Un autre membre de l’équipe de campagne regrette :

    "

    Franck Robine [le directeur de campagne] passait son temps à nous dire que nos salles étaient 30 % plus remplies que celles de Copé.

    Pour lui, c’était tout simplement inenvisageable qu’on ne gagne pas !

    "

    Pourtant certains l’envisageaient, cette défaite impossible, ils la voyaient venir et l’avaient averti.

    Cinq jours avant le vote, lors du dernier comité stratégique du mardi matin, à 9 heures 30, deux parlementaires font part de leur doutes : à l’intérieur du Musée social, où Fillon réunit chaque semaine ses parlementaires.

    Valérie Boyer et Guy Tessier se lèvent, à tour de rôle : députés des Bouches-du-Rhône, fillonistes isolés dans des terres copéistes, ils évoquent des irrégularités possibles :

    "

    On préfère vous avertir… Ce sera compliqué chez nous.

    Qu’est-ce qu’on fait si on découvre une tentative de fraude ?

    Où doit-on conserver les bulletins litigieux ?

    On ne peut pas les laisser à la Fédé, elle est tenue par les Copéistes…

    "

    Inquiétudes balayées d’un revers de main par la direction de campagne, sûre d’elle même et conquérante :

    "

    Bah, ne vous inquiétez pas, on vous enverra un carnet de bord où tout vous sera expliqué, toutes les procédures…

    "

    Ces carnets de bord, ils ne les recevront jamais.

    Broutilles… A quoi bon ces détails, quand on est assuré de gagner par soixante pour cent au moins ? Pourquoi s’inquiéter pour quelques dizaines de voix ?

    Un membre de l’équipe enrage :

    "

    On s’est laissé berner. On ne voulait pas se salir les mains.

    Or on aurait du tirailler matin, midi et soir : Copé s’est servi des moyens du parti, Copé a verrouillé les bureaux de vote, Copé a placé les siens à la COCOE.

    "

    Dominique Dord, l’ancien trésorier de l’UMP, passé chez François Fillon après avoir pensé se présenter lui-même ne raconte pas autre chose :

    "

    On savait bien ce qu’il mijotait, mais dans l’équipe, la ligne, c’était : "On ne va pas s’abaisser au niveau de ces petites mesquineries…"

    "

    En somme, on n’allait pas faire un schpountz pour deux ou trois anicroches. L’état d’esprit, c’était : à lui les manip’, à nous la victoire. 

     

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    Le rassemblement des amis de Sarkozy à Nice : le bal des faux-culs.

     A Nice, le 24 août, photo MaxPPP

    Contexte : Le 24 août 2012, l’association des Amis de Nicolas Sarkozy, présidée par Brice Hortefeux, tient son premier rassemblement à Nice. Hors micro, l’initiative suscite moqueries et soupirs.

    "C’est curieux, lance Hervé Novelli… On ne crée une association des amis que lorsqu’on a peur d’en manquer. Ca a un côté grotesque. Vous avez une association d’amis, vous ? Tout ça me fait penser à l’URSS, à Khrouchtchev, comme si la moindre critique allait tuer l’idole."

    Les mêmes mots reviennent dans la bouche de militants ou de responsables issus de tous les bords.

    Ce secrétaire national par exemple, qui soutenait Jean-François Copé sans état d’âme :

    "

    Franchement, l’ambiance était étrange, notamment le dîner du samedi soir.

    On était dans un espace restreint, il y avait une centaine de journalistes, cent vingt parlementaires et membres de l’UMP.

    J’ai rarement vu autant de haine et d’hypocrisie dans si peu de mètres carrés

    "

     

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    Le chantage et l'ultimatum du clan Fillon sur le président de la COCOE

    Le 21 novembre, Laurent Wauquiez, Eric Ciotti et Valerie Pécresse revendiquent, chiffres à l’appui, la victoire de François Fillon, lors d’une déclaration à la presse a l’Assemblée Nationale (photo MaxPPP)

    Ce jeudi 22 novembre : la COCOE doit décider : reconnait-elle son oubli [des bulletins de territoires d’Outre-mer, dont la Nouvelle-Calédonie] ?

    Cet oubli conduit-il à proclamer François Fillon ? Réunion en fin de matinée pour rédiger un communiqué.

    C’est alors que survient cet incident que Patrice Gélard a gardé sur l’estomac, et qu’il a fini par nous lâcher. [...]

    Il reçoit un appel sur son portable. C’est un négociateur de François Fillon. La voix est familière. Patrice Gélard reconnait son interlocuteur. [...]

    Au bout du fil, le ton est vif, et soudain, de réplique en réplique, l’échange tourne à la menace :

    "

    Attention à ce que vous faites, Monsieur Gélard.

    Pesez bien vos décisions. Prenez garde à votre réputation…

    "

    Le président de la Cocoe continue son récit :

    "

    Puis mon interlocuteur a enchaîné sur le mode "si vous ne faites pas ceci ou cela, voilà ce qui va arriver" ...

    C’était du chantage, un ultimatum, je ne vois pas d’autres termes ! C’était extrêmement désagréable.

    "

    Gélard n’a pas digéré l’échange. Lui qui devait arbitrer les élections internes, il s’est senti soumis "au chantage" de l’un des plus proches partisans de l’un des deux candidats, et il précise un peu sa description : c’est l’un des représentants du trio filloniste "Wauquiez-Pécresse-Ciotti" !

    "

    Je dois reconnaître qu’il y avait un camp beaucoup plus brutal que l’autre.

    Celui qui perdait, évidemment […].

    Mais moi je n’avais rien à me reprocher.

    Par conséquent, je n’avais pas à me plier à des ultimatums.

    "

    Et c’est reparti. La COCOE se réunit, à huis-clos.

    Un membre de la commission raconte :

    "

    C’était une angoisse terrible, on savait que chaque mot allait être décortiqué.

    On a pu passer dix minutes sur un adjectif.

    "

    Le communiqué final semble signé par un roi Salomon soucieux de ne pas se déjuger : certes, trois circonscriptions n’ont pas été "prises en compte", et leur addition "aboutirait vraisemblablement à une inversion des résultats", mais les statuts de l’UMP ne l’autorisent pas à faire "autre chose que le constat présent", et donc pas à "publier de nouveaux résultats".

    Emballé c’est pesé. Il arrive que les statuts ressemblent au rince-doigt de Ponce Pilate.
     

     

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    Où l'on apprend que Patrice Gélard, qui a voté blanc, ne veut pas disparaître

    Patrice Gélard, le 19 novembre, lendemain de vote à l’UMP – capture d’écran, BFMTV

    Le tranquille sénateur Gélard a-t-il été dépassé par les événements, avec sa petite silhouette recroquevillée capturée par les télévisions, tandis qu’il essayait de sortir du siège de l’UMP, en évitant les journalistes ?

    On le pensait écœuré par les attaques, la chaleur, la violence. Pressé de regagner l’ombre.

    Il proteste, à froid :

    "

    Pas du tout. Le pire, c’est que j’avais envie de réagir publiquement.
    Mais que vouliez-vous que je fasse ?

    Le moindre communiqué allait être immédiatement tordu dans tous les sens, entraîner d’autres réactions et ainsi de suite !

    J’ai mon honneur pour moi, c’est le principal.

    "

    Patrice Gélard est même prêt à remonter à cheval : il demande un nouveau vote et se dit prêt à l’arbitrer !

    "

    Statutairement, c’est mon rôle.

    Si on m’écartait, je n’aimerais pas du tout ça, je le prendrais comme une sanction, comme une mise en cause de ma probité.

    C’est d’ailleurs ce qui m’a le plus blessé : les attaques.

    On a dit que je mangeais dans la main de Copé.

    Je supporte très mal ce genre de choses, c’est épouvantablement désagréable.

    Je ne tiens pas à partir en retraite.

    Pas plus qu’à disparaître de la scène simplement parce qu’on m’a attaqué. Ce n’est pas dans mon tempérament.

    "

    Ce jour "tragique" du 18 novembre, avant de rejoindre les membres de la COCOE, Patrice Gélard est allé voter au Havre.

    Le sénateur de Seine-Maritime a pris deux bulletins, un Copé et un Fillon.

    Il les a mis tous les deux dans l’enveloppe.

    Il confesse :

    "

    Certes c’est un bulletin nul, mais jusque dans l’isoloir, je voulais démontrer ma neutralité.

    "

    C’est beau comme du Gélard.

     

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    Le bidouillage de Jean-François Copé

    Jean-François Copé, le dimanche 18 novembre, vers 23h30, revendique la victoire. Dix neuf minutes plus tard, François Fillon fera de même. Capture d’écran BFMTV

    Et si les sondages ne s’étaient pas trompés ?

    Et s’ils avaient donné la bonne tendance pour l’élection à la présidence de l’UMP : 60-40 en moyenne pour François Fillon, et même un pic de  67-32 à la veille du vote, dans une enquête BVA auprès des sympathisants. 

    Et si le résultat final, 50-50 n’était pas le résultat du vote mais celui d’un bidouillage ?

    Car tout est incroyable dans la crise enclenchée le 18 novembre, et l’écart entre les chiffres des instituts et le décompte final est un symptôme supplémentaire.

    Sur la planète terre, et le territoire de France, les sondages ont déjà été pris à contrepied, mais jamais dans de telles proportions. Jamais. En 2002, avec Jean-Marie Le Pen "l’erreur"était spectaculaire, mais elle reposait sur un écart de deux pour cent. En 2007, le raz de marée UMP annoncé au second tour des législatives n’a pas eu lieu, mais pour une poignée de voix.

    Avec l’UMP 2012, le fiasco sondagier a pris une dimension industrielle, et clairement inexplicable. Dix ou quinze points d’écart ! Comment justifier cette catastrophe ?

    L’étrangeté pour ainsi dire extraterrestre de ce phénomène a été mise sur le compte de la différence entre les "sympathisants" et les "militants".

    Or cet argument est fragile. Dans le passé, avec les primaires de 2006 au parti socialiste, qui ne concernaient que les militants, cette distorsion ne s’est pas vérifiée. Comme prévu par les sondeurs, Ségolène Royal a écrasé Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn.

    Il s’est donc passé à l’UMP, dans une élection organisée et mise en place par le secrétaire général Jean-François Copé, un événement "anormal", au sens étymologique du terme. [...]

    Jean-François Copé et son pouce de la victoire, arrive, le 19 novembre, avec sa femme, au siège de l’UMP (photo MaxPPP)

    Il se trouve que la distorsion entre les urnes et les enquêtes complète une foule d’étrangetés qui ne concernent pas les instituts, mais le parti lui-même.

    Résumons :

    - Presque un millier de militants de l’étranger n’ont pas pu voter parce que, de Shanghai à Moscou en passant par Londres ou Singapour, le matériel de vote n’a pas été envoyé dans les délais prévus. Ces militants étaient majoritairement favorables à François Fillon.

    - Trente mille électeurs ont donné leur procuration (parfois vierge) à l’organisateur, c'est-à-dire aux amis de M. Copé. Dans l’Oise, le secrétaire national aux fédérations, pro-Copé, a ainsi compté 200 procurations sur 700 votants, soit presque trente pour cent !
    Dans le Gard, pro-Copé, on a compté 455 procurations sur 2500 votants. A ce jeu François Fillon, éloigné de l’appareil n’a pu ratisser que 10 000 procurations. Avantage net pour le Secrétaire général : 20 000 voix dans le pays.

    - Ce n’est pas tout. Combien d’électeurs potentiels, découragés par le désordre de certains bureaux, presque tous favorables à François Fillon, sont rentrés chez eux sans voter, ou sans avoir émargé les listes pour échapper à une nouvelle attente ?
    Le code électoral précise qu’au-delà de 800 à 1000 inscrits, un bureau n’est pas gérable. Comment imaginer que les grands professionnels qui entouraient le Secrétaire Général aient pu ignorer ce détail, alors qu’ils ont participé à des centaines de scrutin à travers toute la France.

    - Dans la même rubrique "bizarre vous avez dit bizarre", le bureau de Neuilly, plutôt favorable à François Fillon, comptait 4000 inscrits, et au bout d’un désordre indescriptible, avec des attentes allant jusqu’à trois heures, cette cohue fantastique a accouché d’une participation étique : 25% de votants ! La foule aux abords du bureau de vote, et le désert au fond de cette urne !
    Très concrètement, si les organisateurs avaient voulu créer un engorgement délibéré dans des bureaux trop favorables à leurs adversaires, ils n’auraient pas agi différemment.

    Mettez bout à bout ces "originalités", et faites le total :

    - un millier de votes à l’étranger,

    - vingt-mille procurations,

    - des centaines et des centaines d’électeurs découragés par le bazar des gros bureaux,

    Vous arriverez aux alentours de 25 000 suffrages "flottants", ce qui représente quinze pour cent des votants.

    Si l’on ajoute à ces constats chiffrés :

    - l’utilisation de l’appareil du parti, des fichiers, des permanents, des locaux,

    - la confusion des genres entre le Chef du parti et le compétiteur,

    - l’épuration à quelques semaines du scrutin pour écarter des responsables hésitants et les remplacer par des fidèles,

    - si l’on tient compte de la main mise sur une commission de contrôle capable d’oublier trois départements d’outre-mer, et sur la commission d’appel présidée par un ami très proche et très actif du secrétaire général,

    … il faudrait se fermer les yeux et les oreilles pour échapper à la conclusion :

    Jean-François Copé n’a pas obtenu son score flatteur du 18 novembre au soir, il l’a mitonné lui-même.

     

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    "Nuit terrible"à la COCOE

    Le pupitre vide de l’UMP (photo Reuters)

    Le contexte : Jour de vote à l’UMP : en cette soirée du 18 novembre, la COCOE est réunie à huis-clos au premier étage de l’UMP. La Commission d’organisation et de contrôle des opérations électorales décompte les résultats qui lui parviennent. Selon les statuts de l’UMP, seule la COCOE est autorisée à proclamer le vainqueur.
     

    En bout de table, trône le président de la COCOE, Patrice Gélard [...].

    Pour tromper l’attente, alors que les résultats des fédérations tardent à arriver, il a sorti un livre, qu’il lit nonchalamment, les pieds sur un siège.

    Son titre ? L’exécuteur.

    Il s’agit d’un roman noir où se croisent armes de guerre et jolies femmes, règlements de compte et espionnage...

    Laurent Wauquiez lance :

    "

    Le tome 2, ça sera 'Le liquidateur' ?

    "

    Il est 23 heures 20. Un vacarme au rez-de-chaussée. Un bazar incroyable. On dirait un bâtiment qui s’écroule. Occupés à leurs chiffres, les membres de la COCOE se demandent ce qui arrive.

    Une voix lance :

    "

    C’est Copé qui vient d’annoncer sa victoire.

    "

    Le président Gélard grommèle :

    "

    Ah ça, c’est pas malin, ça ne nous aide pas !

    "

    Deux semaines plus tard, alors que Copé et Fillon essaient de se rabibocher sous la pression de Nicolas Sarkozy, Gélard nous confiera son agacement :

    "

    Nous n’avons pas apprécié cette autoproclamation, comme d’ailleurs celle qui a suivi. J’ai trouvé que c’était un abus, une violation de nos statuts.

    Oui, c’est très grave, et l’un et l’autre ont commis la faute.

    "

    Gélard se sent piégé. Il ne lit plus son livre. Le roman est dépassé. Il n’y a pas un "exécuteur", mais deux.

    "

    On était enfermé dans notre bureau, à dépouiller scrutin après scrutin. On ne sortait plus, on était bloqué.

    J’ai réagi en disant que nous n’avions pas les résultats, et c’était le cas.

    Sur un département Copé était en tête, sur un autre Fillon avait de l’avance, et ça a duré comme ça jusqu’au dépouillement final.

    "

    [...]

    La soirée tire en longueur, les PV remontent au goutte à goutte. Tension, coups de bluffs et guerre psychologique.

    A 2 heures, Valérie Pécresse arrive dans la pièce, salue les fillonistes, fait mine d’oublier les autres, avant de se raviser : elle fond sur Isabelle Vasseur, membre de la commission.

    Valérie Pécresse, au siège de l’UMP, dimanche 18 novembre, capture d’écran BFMTV

    Cette ancienne députée de l’Aisne, élue à la COCOE en 2010 sous Xavier Bertrand, n’a jamais caché son penchant pour Jean-François Copé.

    Valérie Pécresse lui fait deux bises, puis lance à la cantonade :

    "

    - Madame Vasseur, pro-Copé, où est votre devoir de neutralité ?
    - Ce genre de propos est inadmissible !

    "

    Isabelle Vasseur se lève et quitte la salle.

    Laurent Wauquiez, conscient de l’erreur diplomatique, essaie de calmer les choses en faisant le signe "pause" avec ses mains croisées.

    Isabelle Vasseur, partie s’isoler dans le couloir après ce qu’elle qualifie d’ "humiliation publique" reçoit alors un SMS :

    "

    Mets ça sur le compte des tensions sur la ligne d’arrivée, je peux vraiment témoigner que tu as été top de bout en bout.

    "

    Le texto n’est pas signé, mais c’est Laurent Wauquiez qui l’a écrit, convaincu qu’il vaut mieux éviter de tirer sur les arbitres, fussent-ils juge et partie.

    Patrice Gélard est consterné :

    "

    J’ai dit que c’était inadmissible. Une brutalité réelle. Une agression.

    Je peux témoigner qu’Isabelle Vasseur a été d’une honnêteté totale.

    "

    Pourquoi cette "honnêteté totale" ne l’a-t-elle pas conduite à quitter la COCOE ? En juillet, quatre membres de la commission, considérés comme "juge et partie" ont choisi de se retirer. Dans le camp Copé : Camille Bedin, Agnès Le Brun et Hamida Rezeg. Chez Fillon : Sébastien Lepêtre, maire de la Madeleine.

    Isabelle Vasseur répète à ceux qui s’interrogent :

    "

    C’est insultant de me soupçonner ! Je peux avoir une préférence politique personnelle, et faire ce travail de contrôle correctement.

    Evidemment, comme tout le monde, j’espère que mon candidat va gagner, mais si c’est François Fillon, pas de problème.

    "

    L’un de ses proches révèle le pot aux roses, sous couvert d’anonymat :

    "

    Isabelle m’a dit qu’elle avait songé à démissionner en juillet, mais que Lavrilleux [le directeur de cabinet de Copé] voulait qu’elle reste.

    "

    L’exercice tourne au marathon : après la journée du vote, la nuit des résultats. Les yeux se cernent, les mines palissent.

    La dernière collation, un sandwich mangé à 20 h 30, est un lointain souvenir, qui gargouille dans les estomacs.

    Sur les tables, il ne reste guère que quelques plateaux de fromage racorni et du coca à température ambiante.

    [...]

    Dans cette partie d’échecs (comme ce jeu porte bien son nom !), le camp Fillon décide de déplacer son Roi. François Fillon, qui était rentré chez lui, se ravise et se rend en personne à la COCOE.

    Il arrive à 3 h 12, s’engouffre dans l’ascenseur, arrive dans la salle de la commission, entre avec son garde du corps, fait le tour, serre la main de chacun, s’assied.

    Et prend la parole :

    "

    Vous vous rendez compte de ce qui est en train de se passer ?

    C’est la mort en direct d’un parti politique, il faut arrêter ça.

    Pourquoi les PV ne remontent-ils pas ? C’est inadmissible.

    Maintenant il faut donner les résultats.

    "

    Jérôme Lavrilleux fait face :

    "

    Je vous dois du respect en tant qu’ancien premier ministre.

    Mais vous n’avez pas à être là, vous n’avez pas à faire pression sur une commission indépendante…

    "

    François Fillon le toise, sans se départir de son calme.

    "

    - Ce n’est pas de la pression. Ce qui est en jeu, c’est l’image qu’on donne de notre parti.

    - Vous ne m’impressionnez pas. Je suis là en tant que représentant d’un candidat, Jean-François Copé. Vous êtes là en tant que représentant d’un candidat : vous-même.

    "

    La présence de l’ancien premier ministre au milieu de cette foire d’empoigne est surréaliste. Patrice Gélard essaie de modérer le ton, sans grand succès.

    L’attente reprend, les PV tardent.

    A 3 h 45, l’équipe Fillon refuse de lever le camp, mais Patrick Gélard s’emporte et tranche :

    "

    Ecoutez : les jeunes qui travaillent à la collecte des résultats sont là depuis 30 heures, quasiment sans manger, ça ne sert à rien de continuer.

    Je lève la séance. Nous reprenons à 10 h.

    "

    En bas de l’escalier, face aux journalistes, François Fillon se lance :

    "

    C'est un dysfonctionnement majeur qui fait peser un doute très important sur cette élection.

    J'en suis extrêmement choqué.

    "

    >> Pour aller plus loin :

    On ne vous fait qu’une seule recommandation : lire ces bonnes feuilles avec la playlist du chaos, ou la crise de l’UMP en chansons, sélection opérée par la rédaction du Lab.

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