Incompatibilités parlementaires: comment maquiller un cafouillage entre François Hollande et Jean-Marc Ayrault en trois leçons

Publié à 14h23, le 17 avril 2013 , Modifié à 14h27, le 17 avril 2013

Incompatibilités parlementaires: comment maquiller un cafouillage entre François Hollande et Jean-Marc Ayrault en trois leçons
Claude Bartoline, François Hollande et Jean-Marc Ayrault, en octobre 2012 (photo Reuters)

LISTE NOIRE - LISTE VERTE - Jean-Marc Ayrault aime le Parlement, et écoute tellement les parlementaires qu'il a fait évoluer la position du gouvernement sur les moyens à employer pour lister les incompatibilités entre mandat parlementaire et activité professionnelle après avoir consacré une journée entière à la réception des représentants de ces derniers, à Matignon, jeudi 11 avril.

C’est la jolie histoire racontée par la porte-parole du gouvernement, ce mercredi 17 avril, interrogée par Le Lab à l'occasion du débriefing du conseil des ministres, pour expliquer le cafouillage qui a conduit François Hollande et Jean-Marc Ayrault à tenir des positions différentes sur ce sujet, à 30 minutes d'intervalle, il y a tout juste une semaine, le mercredi 10 avril.

Voici comment Najat Vallaud-Belkacem s’y prend pour tenter d’habiller cette petite bataille au sommet, qui n’a rien d’anecdotique.

D’abord, elle tente de minimiser le poids de sa parole, assurant n’avoir donné que des "grands axes" :

Il y a eu en conseil des ministres une communication […] donnant les grands axes [du texte sur la transparence].

Donc c'était sur les grands axes que je vous faisais un compte-rendu pour ce qui me concernait. 

Tout juste si Najat Vallaud-Belkacem ne raconte pas que sa parole post-conseil des ministres est en fait une aimable discussion au coin du feu.

Alors que ses propos, ainsi que le compte-rendu écrit officiel du conseil des ministres, il y a une semaine étaient beaucoup plus définitifs que de simples "grands axes", comme Le Lab le racontait :

Il faut que le […] non-cumul entre un mandat et une autre profession devienne la règle, mais qu'on puisse permettre un certain nombre d'exceptions, parce qu'on voit bien que pour certaines professions, il est difficile de couper complètement le lien avec une activité professionnelle, sauf à la compromettre.

Ensuite, elle garantit qu’il s’agit d’une évolution … "naturelle". Les choses "s’affinent et se précisent", assure-t-elle :

Pour le détail des choses, vous admettrez naturellement que, notamment dans le cadre de la consultation des différents groupes politiques, et du président de l'Assemblée nationale, et du président du Sénat, qui ont été reçus par le premier ministre jeudi dernier, eh bien les choses s'affinent et se précisent.

Enfin, Najat Vallaud-Belkacem énonce la nouvelle position du gouvernement, contradictoire avec celle présentée une semaine plus tôt :

Nous partirions plutôt sur une liste explicite des métiers considérés comme incompatibles avec le mandat de parlementaire, parce qu'ils induisent le doute, la suspicion légitime, quant au manque d'impartialité qu'ils font peser sur ceux qui cumulent.

Alors, emballé, c’est pesé ?

Ce n’est pas aussi simple que ça, en fait.

>> D’abord pour une question de timing

L’évolution du gouvernement n’est pas née jeudi 11 avril dans la bouche de Jean-Marc Ayrault, ainsi que le raconte Najat Vallaud-Belkacem, mais bien mercredi 10, directement par François Hollande, dans son allocution solennelle post-conseil des ministres.

Voilà ce que le chef de l'Etat actait: 

Il sera proposé d’étendre l’interdiction du cumul d’un mandat parlementaire avec l’exercice de certaines activités professionnelles pour prévenir tout conflit d’intérêts [...].

Il ne s'agit pas d'interdire toute activité professionnelle, mais celles qui peuvent, justement, appeler des conflits d'intérêts.  

Elles seront fixées par la loi, précisément.

D’ailleurs, dès mercredi 10, l’entourage d’Alain Vidalies, le ministre délégué aux relations avec le Parlement qui porte ce projet de loi, renvoyait Le Lab vers les "services du président et du premier ministre qui rendent et dévoilent les arbitrages", actant là un arbitrage passé.

>> Mais le casting est également un élément clef dans cet arbitrage perdu par Jean-Marc Ayrault

Car un troisième personnage intervient dans cette histoire: Claude Bartolone, le puissant patron de l’Assemblée nationale, qui s’est saisi du débat sur la transparence pour monter au front médiatique, y gagnant une posture toute neuve, est largement intervenu dans cet arbitrage.

Dans une "note blanche" révélée et publiéepar Le Monde, Claude Bartolone a détaillé en long et en large son opposition au concept de "la liste verte" défendue par Jean-Marc Ayrault.

La publication de ce genre de notes est rare, elle témoigne d’une volonté nette du patron de l’Assemblée nationale de faire valoir sa voix sur un sujet qui le concerne au premier chef. 

Et c’est précisément sur ce point des incompatibilités que Claude Bartolone se montrait le plus prolixe, n’hésitant pas à joindre, en annexe, un petit précis de droit parlementaire comparé à l’échelle européenne. 

Bartolone écrivait:

Ce serait une grave erreur d’interdire aux députés l’exercice d’une autre activité professionnelle.

D’une part, parce que la généralisation de l’incompatibilité affaiblirait lareprésentativité de l’Assemblée nationale en favorisant un peu plus encorela sur-représentation des agents du secteur public au sein de celle-ci.

D’autre part, parce qu’il convient de ne pas assimiler les fonctions dedéputé à une profession au sein de laquelle on ferait carrière.Comme le montre la note jointe (Droit comparé en matièred’incompatibilités parlementaires), ni l’Allemagne, ni l’Espagne, ni laGrande-Bretagne, ni l’Italie n’ont posé un principe générald’incompatibilité du mandat parlementaire avec l’exercice d’uneautre activité professionnelle.

Pour prendre un seul exemple – si décrié en France, dans tous ces pays, le cumul avec la profession d’avocat estautorisé.

La compatibilité doit être la règle, l’incompatibilité l’exception.

Notre droit électoral est d’ores et déjà l’un des plus complets sur laquestion des inéligibilités et des incompatibilités (cf. art. LO. 132 etsuivants)

S’il l’a assurément répétée à Jean-Marc Ayrault, jeudi 11 avril, à Matignon, Claude Bartolone avait manifestement réservé la primeur de cette position à François Hollande, qui a désavoué son premier ministre.

Du rab sur le Lab

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