REPORTAGE – C’est officiel : l’actuel patron des Jeunes UMP sera, dès le 5 décembre, élève-fonctionnaire dans l’école de la haute fonction publique, selon les résultats du concours d’entrée dans l’école, publiés ce mardi 4 décembre sur le site internet de l’ENA.
Le Lab a pu assister à l’une des épreuves orales du jeune politique : l'examen de finances publiques. Hasard des tirages au sort, elle a été l'occasion de plancher sur un sujet éminemment symbolique : la TVA sociale, l’une des mesures phares de Nicolas Sarkozy.
Voilà comment ça s’est passé.
Le chatroulette de la fiscalité publique
La scène se passe le lundi 19 novembre 2012.
Nous sommes au lendemain de la soirée de toutes les déchirures de l’UMP, qui se réveille avec une sérieuse gueule de bois plus deux présidents autoproclamés, et j’ai rendez-vous, à 16h25 précises, avec Benjamin Lancar, 27 ans, le patron du mouvement des Jeunes Populaires, au 2, avenue de l’Observatoire, juste derrière le jardin du Luxembourg, à Paris.
A l’ordre du jour : pas un mot concernant le duel opposant Jean-François Copé à François Fillon - qui avait sa préférence - dans l’élection interne à l’UMP.
Non: j’ai rendez-vous avec Benjamin Lancar, car il passe, ce jour-là, son oral de finances publiques, dans le cadre du concours d’entrée à l’ENA, où il a été déclaré admissible le 25 octobre, ainsi que 90 autres candidats.
(photo MaxPPP)
D’ailleurs, pour ne rien vous cacher, Benjamin Lancar n’est pas vraiment au courant de notre rendez-vous : pour ne pas être facteur de stress, et, surtout, éviter que notre présence ne puisse être considérée comme une rupture d’égalité entre candidats éventuellement contestée après coup (on n’est jamais trop prudent, en ce moment, sur cette question), on ne l’a pas prévenu - pas plus que l’ENA, d’ailleurs - de notre petit reportage.
En tête, Le Lab a plein de questions :
La plus internet : devient-on plus facilement énarque lorsque l’on a créé un lipdub devenu culte ?
La plus sérieuse : dans ce grand exercice mêlant connaissances encyclopédiques et capacités de bonimenteur, part-t-on avec une longueur d’avance lorsque l’on a trainé ses costumes sur les plateaux télés pendant plusieurs années ?
La plus vicieuse : en on, en off, dans une remarque assumée, une allusion subtile ou un sourire aussitôt dissipé, le jury réserve-t-il un traitement particulier à ce candidat pas tout à fait comme les autres ?
La plus amusante : est-ce que passer l’oral de l’ENA fait le même effet qu’être reçu par Nicolas Sarkozy – soit celui d’un produit pas très légal ?
Les cinq oraux que passe chacun des 91 candidats admissible cette année – un grand oral, officiellement baptisé "entretien", une épreuve de finances publiques, une épreuve de questions internationales, une épreuve de langue, et une des matières non traitée à l’écrit – sont, en théorie, ouverts à tous.
Il suffit juste de s’armer d’une bonne dose de patience : les serveurs informatiques de l’ENA étant ce qu’ils sont, la surcharge était au rendez-vous dès la mise en ligne des formulaires permettant d’obtenir un carton d’invitation, et les billets pour les prestations de Benjamin Lancar se sont arrachés plus rapidement que d’autres.
"Il s’appelle comment, ce monsieur ?"
(dans le couloir des locaux parisiens de l'ENA, photo MaxPPP)
On n’est pas encore entré dans la salle de l’oral que l’on a la réponse à notre première interrogation : non, le patron des Jeunes Pop’ n’est pas connu par tous.
C’est l’une des deux vacataires préposée à l’accompagnement du public et des candidats à l’épreuve de finances publiques ce jour-là qui en fait la révélation, pas forcément très volontaire.
Ainsi, à 16h25, au moment précis d’aller rechercher le candidat auquel elle a laissé, quinze minutes plus tôt, le temps d’une courte préparation pour esquisser un plan qui tienne la route sur un sujet tiré au sort, la vacataire reprend sa feuille de présence du jour, manifestement un peu perdue, et lance, à la cantonade :
Il s’appelle comment, ce monsieur, déjà ?
On en a donc la confirmation : oui, aux yeux d’une partie du personnel de l’école, le conseiller régional d’Ile-de-France passe encore inaperçu. Non, il ne bénéficie pas d’une mise à l’écart particulière.
D’ailleurs, juste avant d’aller plancher, il patientait dans un espace-cafeteria bien tristoune, duffel-coat à la main, définitivement banal dans cette assemblée.
Ni groupie sarkozyste, ni pourfendeur du hollandisme
Il est 16h30, place à l’oral, proprement dit, et c’est le public qui entre le premier. Soit, pour cet oral, cinq personnes, sur les six places qu’affiche la jauge de la salle.
Toutes les inscriptions n’ont donc pas été honorées. Il n’y a que des étudiants dans la salle, pas de famille, pas d’opposants manifestés non plus.
La vacataire préposée au concours énonce une dernière salve de consignes :
Vous me laissez bien tous vos téléphones, et, surtout, pas de chewing-gum, pas de bruit quand vous prenez des notes, et, évidemment, pas d’approbation ou de réprobation des propos tenus par le candidat ou par le jury.
Puis annonce le candidat au jury.
On cherche un sourire, un regard, bref, l’expression d’un quelconque sentiment sur le visage de ses deux membres.
Rien.
Benjamin Lancar salue poliment, la voix tout juste un peu impressionnée, s’assoit sur la petite table d’écolier, et annonce le sujet qu’il a tiré au sort :
La TVA sociale
Là, je rigole, un peu : parmi toutes les réformes fiscales de Nicolas Sarkozy, c’est probablement la plus symbolique, après la loi TEPA sur le pouvoir d’achat.
Elle a même été officiellement inscrite dans la loi … le jour du second tour de la présidentielle, avant d’être annulée par François Hollande … puis ressucitée - n’en déplaise aux éléments de langage du gouvernement made in François Hollande, en novembre 2012.
Bref, Benjamin Lancar, patron de la branche jeunes du parti avec lequel Nicolas Sarkozy a gouverné pendant cinq années, va plancher sur l’une des mesures phares de son ancien mentor, devenue l’un des sujets d’affrontements marqués lors de la dernière campagne présidentielle.
Mais même cette perspective ne semble pas déclencher le moindre sentiment parmi les membres du jury.
Le jury ? C’est :
- Rémi Pellet, professeur des universités, éminent spécialiste de droit financier public et de droit de la santé et de la protection sociale au CV long comme le bras, 52 ans, barbe finement taillée, chemise au col italien prononcé, et jambe qui remue incessamment,
- et Elsa Costa, une juge du conseil d’Etat, petites ballerines, haut vert sombre, aux deux pieds joints aussi calmes que la jambe de son voisin est énervée, mais à qui l’on donnerait volontiers des airs de hipster.
Mais pour l’instant, donc, le jury parle peu, en fait.
Une fois la vérification que le sujet est le bon, c’est parti pour dix minutes d’exposé ininterrompu de Benjamin Lancar.
Je vous restitue, aussi fidèlement que possible, la trame de son intervention :
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Une définition :
La TVA sociale, c'est l'augmentation du taux de la TVA – taux supérieur ou non – pour diminuer le coût du travail
Une problématique :
La TVA sociale est-elle le seul moyen de diminuer le coût du travail ?
Deux parties ultra-classiques :
Grand 1 : Principes-intérêt-limites
Grand 2 : Nécessaires dépassements pour mener à bien une politique de diminution du coût du travailUn micro-historique :
Ce qu’est la TVA, avec les trois taux de TVA
Un hommage inattendu aux travaux d’Eric-Besson-le-visionnaire :
En 2007, il a remis plusieurs rapports sur le sujet
Les limites identifiées par le candidat :
L’impact sur le pouvoir d’achat,
Le risque d’inflation,
La difficulté à cibler les activités impactées,
Et la nécessité des autres solutions :
L'éventualité d’une hausse de la CSG,
La mise en avant de certaines propositions du rapport Gallois.
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Voilà : il est 16h40, Benjamin Lancar a terminé son exposé de l’ENA – je l’ai fait en short.
J’ai l’impression d’avoir entendu un politique débiter dix minutes d’arguments assez généraux d’une politique fiscale ni de droite, ni de gauche, toute en deux parties, et, pour l'instant, Benjamin Lancar ne s’est rêvélé être ni groupie sarkozyste, ni pourfendeur du hollandisme.
Next
Ensuite, c’est au tour du jury de rentrer en scène. Et là, ça se complique sévèrement.
Les deux examinateurs ne se parlent pas directement, et n’ont pas un mot d’appréciation générale.
C’est Rémi Pellet, le professeur des universités - renseignements pris, il s’avère redouté des candidats énarques - qui attaque, bille en tête, pour un véritable feu croisé de questions.
Vous avez parlé d’une étatisation du financement de la sécurité sociale. Pourquoi ?
Qui décide du taux des cotisations sociales ?
Note : la réponse hésitante :
Le législateur, euh, le pouvoir réglementaire … enfin, l’Etat
Fait esquisser un sourire à l’examinateur.
Quelle différence entre le CVAE et la CSG ? Et la TP ?
[Note : là, c’est moi, signataire de l'article, qui nage]
40% du salaire brut pour les cotisations patronales, ça fait pas un peu beaucoup ?
Vous connaissez l’histoire budgétaire française ? Sous la IIIe République, il y a eu une réforme importante réforme constitutionnelle … Poincaré, ça vous parle ?
Est-ce qu’il y a une caisse d’amortissement pour la dette de l’Etat ?
Les financiers sont bien bons avec nous s’ils acceptent que l’on ne rembourse que les intérêts de la dette …
Ca dure dix minutes ainsi, la jambe de l’examinateur s’agite de plus en plus frénétiquement, et, à vrai dire, les réponses semblent peu lui importer : les premiers mots prononcés par le candidat lui permettent de savoir si la direction prise par la réponse sera satisfaisante. Si c’est le cas, il n’hésite pas à zapper.
C'est un peu le chatroulette de la fiscalité publique où l’on nexte dès qu’une réponse satisfaisante s’apprête à être formulée, si vous préférez.
Sauvé par le gong
Vient, à 16h50 très précisément, le tour d’Elsa Costa d’entrer dans l’arène. Sans échanger un mot avec son camarade de jury, elle se lance à son tour.
Connaissez-vous les grands principes des transferts de compétence entre collectivités ?
Est-ce que les collectivités ont encore un moyen de demander l’Etat leur verse plus ?
Cette question donne d’ailleurs lieu à un échange assez amusant, puisque Benjamin Lancar questionne en retour :
Un moyen légal ?
Qui lui vaut une réponse cinglante :
Oui, il vaut mieux …
Avant que la discussion ne repasse sur les vertus des conseils locaux des finances locales.
Une question sur la péréquation, et là, enfin, la conversation redevient concrète – ce n’était pourtant pas gagné, il était question de l’individualisation de l’impôt sur le revenu.
Et si je veux payer moins d’impôts, vaut-il mieux que je reste célibataire, ou que je me marie ?
Si je gagne 20.000€ par an, que je vis seule, je vais payer combien d’impôts ?
Et si je gagne 10.000€ par an, mon mari zéro …
A toutes ces questions, l’aspirant énarque tente de formuler des réponses, prononcées sur un ton qui varie du profondément assuré au franchement hésitant.
L’examinatrice, de son côté, concède un - paraît-il – très inhabituel :
Je vous taquine !
Puis ose une dernière question, plus personnelle :
Qu’est-ce que vous en pensez ?
(Rassurez-vous, il était question de la progressivité par taux effectif comparée à la progressivité du taux de tranche, pas du duel Copé-Fillon)
Il est 17h00, la sonnerie d’un réveil old school se fait entendre, on ne saura pas ce que Benjamin Lancar en pense.
La suite ...
Mercredi 5 décembre, à 12h, Benjamin Lancar a rendez-vous à l’Ena pour sa prérentrée. Le site internet de l’école précise : "présence obligatoire".
Contacté par Le Lab, Benjamin Lancar assure qu’il va démissionner de tous ces mandats politiques, ainsi qu'il s'y était engagé lors d'une autre épreuve de l'ENA, à la tête des Jeunes UMP et au Conseil régional d’Ile-de-France.
Et se faire plus discret. Dans deux ans, si tout se passe bien pour lui, il rejoindra la galerie photo des photos de classe du long couloir situé à l’entrée du campus parisien de l’école.
Avant de mieux revenir squatter les plateaux télés ?
>> Pour aller plus loin :
Les oraux de l’ENA, et plus particulièrement le grand oral ont inspiré plusieurs minutes de L’école du pouvoir du réalisateur Raoul Peck, que Le Lab vous recommande fortement :