INTERVIEW - Depuis le 10 avril 2013, il marche. Presque 30 à 40 kilomètres par jour. Un périple entrepris depuis l’Assemblée nationale. Une démarche qui a aussi provoqué le scepticisme de ses collègues du Palais Bourbon comme les moqueries de la presse ou les critiques sur son absence dans sa circonscription.
Mais Jean Lassalle, député Modem des Pyrénées-Atlantiques, qui siège parmi les non-inscrits, assume la singularité de son action qu’il définit comme "une action de combattant, de résistant". Et recueille sur son parcours les doléances – "Les cahiers de l’espoir" - d’une France en crise qu’il pense être "en période pré-révolutionnaire".
Depuis son départ, il a un peu déserté l’hémicycle de l’Assemblée nationale où il a tenu à être présent pour le débat (sans vote) sur la Syrie. Parallèlement, "le député qui marche" a mis en place tout un dispositif numérique (site internet , page Facebook, compte Twitter ) pour communiquer sur sa marche. Attirer la lumière sur lui, faire un coup ? Il s’en défend, arguant que c’était un besoin spontané de partir à la rencontre des gens et qu’il ne sait pas quand sa route s’achèvera.
De passage à l’Assemblée nationale, le Perchoir est allé rencontrer dans son exigu bureau ce parlementaire haut en couleurs.
Votre démarche est singulière pour un député, vous n’aviez plus le sentiment d’être utile à l’Assemblée ?
J’ai le sentiment que mon action réhabilite un aspect du député, perdu de vue même si nous le faisons au quotidien : écouter et rapporter la parole du peuple. Car le député est le député de la Nation. C’est une parcelle de la Nation. J’ai senti que, lorsque les temps redeviennent durs, incertains, que le trouble gagnait l’esprit de nos concitoyens. J’ai donc voulu poser un acte de député de la République. J’ai voulu le faire en partant de l’Assemblée nationale car je suis très attaché aux symboles. J’ai voulu que ce soit vécu comme un acte de combattant et de résistant. De résistant contre le système actuel qui brise tout, qui brouille tout.
Quel a été le déclencheur de cette initiative ?
J’ai la chance d’être un vieil élu. Le vieux cheval n’est plus jeune étalon. J’ai essayé de me battre à l’Assemblée nationale et dans ma circonscription. Mais il m’a semblé que les mots que j’entendais, je ne les avais jamais entendu dans ma vie politique jusque là. J’ai voulu aller vérifier et voir sous un autre prisme la France d’aujourd’hui. Je voyais tout en noir, je voyais mes enfants s’interroger sur leur avenir. Je n’avais ni envie ni plaisir de faire cette marche. Mais je n’ai pas pu m’empêcher de la faire. Je me suis dit que je devais tout à la République. Alors pourquoi se planquer ?
Vous aviez anticipé des critiques ?
Je voyais les critiques : homme de coup, il cherche de la visibilité, au frais de la République. Ces critiques sont normales, naturelles. Les critiques acerbes sont légitimes. C’est la discussion, cela fait partie du débat. Mais je ne me suis pas éloigné du travail législatif. J’ai une équipe à l’Assemblée nationale, je fais la navette, je suis les dossiers.
Ces critiques, même si je les entends, partout où je passe, elles ne sont jamais formulées. Je leur réponds que j’ai ainsi que je serai beaucoup plus utile ainsi. Non pas que j’étais moins utile. C’est une démarche positive. Je n’ai jamais senti que j’avais quelque chose à prouver. C’est le moment le plus enthousiasmant de ma vie. Mais aussi le plus dur.
Avez-vous eu un message de Claude Bartolone, le président de l’Assemblée ?
Quand, vers le 20 juin, j’ai senti montée des tensions avant les vacances, je suis venu à Paris. J’ai demandé un rendez-vous à Claude Bartolone qui m’a reçu 50 minutes. C’était un entretien intense. Il ne m’a pas dit s’il trouvait mon acte bien ou mal. Il m’a écouté.
Et de François Hollande ?
Au même moment, j’ai demandé un rendez-vous à l’Elysée et envoyé un rapport d’étape. Je n’ai eu aucun retour.
Comment ont réagi vos collègues les députés ?
Dans la grande majorité, ils ont réagi avec scepticisme. Peut-être avec un zeste de rejet, se disant « pourquoi veut-il déconsidérer la fonction ? ». Certains aussi avec ironie. Et beaucoup avec une incompréhension totale. Seuls quelques uns m’ont fait savoir leur approbation au début.
Quand je viens à Paris, comme pour le débat sur la Syrie, je les croise et je vois que leur regard a changé. Ils pensaient que je voulais administrer une leçon de bon député. Et ils se sont rendu compte que cet acte était ce que j’avais dit que je voulais qu’il fût.
Et dans votre circonscription, comment réagissent les gens ?
Les réactions ont été partagées. Nul n’est prophète en son pays. Ils ont le sentiment qu’ils ne m’ont pas élu pour ça, pour que je consomme m’ont énergie à marcher ou à écouter d’autres. Mais chaque matin, je consacre trois heures à m’occuper de mes dossiers.
Quelle sera la finalité, et la fin, de votre marche ?
Je sais que j’aurai en potentiel un certain nombre de projets de loi, de questions écrites. Je ne sais pas combien de temps je marcherai. C’est dur de conduire une action aussi déstabilisante. Si je me mets aujourd’hui un objectif en tête, une date, ça bloquerai ma démarche. Je suis sur qu’il y a une vérité de la marche, du hasard des rencontres, des rebondissements et des surprises. Si je me disais que j’arrête dans quelques jours, je serai dans un autre état d’esprit. C’est l’acte le plus utile que je n’ai jamais accompli. J’en suis fier.