Justice des mineurs : quand Sarkozy présente "une idée très nouvelle"... qui date de 2008

Publié à 15h57, le 03 novembre 2015 , Modifié à 15h08, le 04 novembre 2015

Justice des mineurs : quand Sarkozy présente "une idée très nouvelle"... qui date de 2008
Nicolas Sarkozy © Montage via MARTIN BUREAU / POOL / AFP

OLD - Il arrive à Nicolas Sarkozy de recycler ses propres idées, notamment d'une campagne électorale à une autre (voir ici et ici). L'histoire se répète mardi 3 novembre. Le patron de Les Républicains a vanté une "idée très nouvelle" pour réformer la justice des mineurs. Une idée qui figurait pourtant déjà dans son programme présidentiel de 2012. Et qui remonte même à 2008.

Ce mardi, l'ancien chef de l'État clôturait par un discours la matinée de travail sur la sécurité organisée par son parti. L'occasion pour lui de présenter un certain nombre de mesures, en sus de celles qu'il avait avancées dans les colonnes du Parisien dans la matinée (avec au passage quelques jolies intox démontées iciici et ici).

# Ce que propose Nicolas Sarkozy

Une réforme de la justice des mineurs qui passerait par "une césure entre la partie éducative et la partie sanction pénale". Concrètement, Nicolas Sarkozy a expliqué :

 

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On aurait un tribunal de la famille qui traiterait tous les problèmes des mineurs et à côté un tribunal pénal pour mineurs, qui jugerait les crimes et délits commis par les mineurs.

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La première de ces deux juridictions, le "tribunal de la famille", aurait des compétences élargies, a-t-il détaillé :

 

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[Il] regrouperait les trois compétences actuelles du juge des affaires familiales - divorce, droit de visite et d'hébergement, pension alimentaire -, les compétences actuelles du juge civil - je pense à l'adoption, à l'identité de l'enfant, à la reconnaissance de paternité - et celles du juge des enfants dans sa partie éducative et prestations sociales.

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Et d'ajouter :

 

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Je crois que c'est une idée très forte, très nouvelle, que celle de [cette] césure.

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# Ce qu'il proposait en 2012

C'était l'engagement n°25 du candidat Sarkozy en 2012 : "Réformer en profondeur la justice des mineurs pour endiguer la montée de la délinquance des moins de 18 ans."

La journaliste spécialisée Laurence Neueur expliquait, dans l'une de ses chroniques pour Le Point en avril 2012, la volonté du président sortant en la matière :

 

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Sarkozy veut deux juges au lieu d'un : un 'juge de la famille', en charge de l'éducatif, et un 'juge des mineurs', dédié au répressif.

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Soit excatement ce qu'il propose aujourd'hui.

# Déjà en 2008, via Rachida Dati

Mais, comme le notait Laurence Neuer, "l'idée d'éclater les fonctions du juge des enfants en deux juridictions distinctes n'est pas nouvelle". Elle avait été évoquée en 2008 par une commission, la commission Varinard, chargée par la ministre de la Justice d'alors, Rachida Dati, de "formuler des propositions pour réformer l'ordonnance du 2 février 1945", le texte de référence qui définit les conditions d'application de la justice pour les mineurs.

Dans son rapport, la commission écartait cependant toute séparation de la justice des mineurs entre éducatif et pénal :

 

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Séparer les fonctions du juge des enfants renforcerait l'idée qu'il y a d'un côté les mineurs délinquants et de l'autre les enfants en danger ou victimes, ce qui va à l'encontre des observations de tous les acteurs de terrain (PJJ, policiers, juges, aide sociale, pédopsychiatres...).

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Il n'était donc pas question de toucher à cette double compétence, civile et pénale, et ce "dans l'intérêt d'un traitement individualisé, adapté et progressif du mineur".

Nicolas Sarkozy en était alors au début de son mandat. Le voilà en quête d'un second, faisant du "neuf" avec du (très) vieux.

[BONUS TRACK]

Pour justifier la nécessité impérieuse de réformer la justice des mineurs, Nicolas Sarkozy prend un exemple concret. Un exemple qui, lui aussi, est très largement réchauffé. Ce mardi, devant son parti, il a expliqué :

 

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D'abord cette idée, juge pour enfants... Vous avez un gaillard d'1m90 de 17 ans, qui est déjà venu 18 fois, et vous lui dites 'où tu vas ?' 'Je vais voir le juge pour enfants'. 'Ah bon ? Tu as un petit frère, il y a quelqu'un ?' Enfin vous voyez, pardon mais la sémantique a un sens. Ça ne veut plus rien dire, la vie a évolué et nous tous dans nos familles nous le savons : on ne parle pas à nos enfants comme nos grands parents ou nos parents nous parlaient. On peut le regretter mais c'est ainsi. Et un jeune de 14 ou 15 ans aujourd'hui n'a rien à voir avec un jeune de 14 ou 15 ans y compris à mon époque, comprenez.

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Ce "gaillard d'1m90 de 17 ans" n'est *pas tout à fait* étranger à l'argumentaire de l'ancien président. Il en parlait déjà en 2006, pour justifier une réforme de l'ordonnance de 1945 visant à instaurer des sanctions plus sévères pour les mineurs, après des violences lors des manifestations anti-CPE :

 

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Un garçon de 17 ans qui mesure 1,90 m qui frappe à terre avec une violence inouïe un photographe ou une petite jeune fille, l’amener devant le tribunal pour enfant, il n’a plus rien d’un enfant, c’est parfaitement ridicule.

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En février 2011 encore, sur TF1 :

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Un mineur d’aujourd’hui n’a rien à voir avec un mineur en 1950 : 17 ans, 1 mètre 85, on l’amène devant le tribunal pour enfants !

 

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5 centimètres en moins mais là encore, un petit air de déjà vu donc.



[BONUS TRACK #2]

Et puis il y a cette anecdote un poil surprenante, racontée par Nicolas Sarkozy ce mardi et censée illustrer le bien-fondé de sa proposition et l'argument selon lequel "la vie a évolué". Un passage absolument WTF. Jugez plutôt :

 

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Moi je me souviens très bien, j'allais au cinéma peut-être une ou deux fois dans l'année et d'ailleurs c'était pas grave, puisque les films restaient à l'affiche trois ans, hein bon. C'est le Moyen-Âge ? D'accord, je sais, je sais, je suis très très vieux. M'enfin, moi j'ai l'impression d'avoir 18 ans toujours, et je me souviens très bien que j'avais été emmené voir mon premier film par ma tante - pardon, je sais pas pourquoi je vous parle de ça, m'enfin, bon, ça me fait plaisir - au Kinopanorama place Clichy, c'était "Ben-Hur", Charlton Heston.  C'est resté, quand je dis trois ans c'est peut-être même resté quatre ans. Le monde a changé, on ne peut pas garder la même dénomination et la même organisation [de la justice des mineurs, ndlr]. Ça n'a pas de sens.

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C'est à revoir ici, à partir de la 33ème minute :



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