Nous sommes le mercredi 20 juillet 2016. Il y a quelques jours, la France était de nouveau frappée par un attentat signé Daech, le jour de sa fête nationale. Le 14 juillet, 84 personnes ont été assassinées et plus de 300 autres blessées, sur la Promenade des Anglais à Nice. Depuis, le débat politique a souvent franchi les limites de la décence, parfois celles du sens de la mesure. Depuis mardi, il se cristallise désormais, sous l'impulsion de quelques uns des principaux cadres du parti nommé Les Républicains, sur une question que l'on pensait hors limites : faut-il ou non respecter la Constitution de la République, l'État de droit et ses principes fondamentaux ? Le tout, rappelons-le, au nom de la "défense de nos valeurs" attaquées par la barbarie.
Ils sont en effet quelques-uns, parmi ces élus de la droite républicaine, à penser que finalement, tout ça, c'est quand même un peu handicapant : Éric Ciotti, Laurent Wauquiez, David Douillet. Le premier, député des Alpes-Maritimes et accessoirement potentiel ministre de l'Intérieur en cas de retour de Nicolas Sarkozy à l'Élysée, a pris la parole au nom des victimes et sous le coup de l'émotion, pour dire à une journaliste que :
"Si vous aviez vu les cadavres sur la Promenade des Anglais, je crois que vous ne me poseriez pas cette question, parce que eux il n'en parlent plus de l’État de droit, madame.
"
Le second, député de la Haute-Loire et numéro 2 de LR, a expliqué, lors du débat dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale sur la prorogation de l'État d'urgence et au cours d'une passe d'armes avec Manuel Valls :
"Votre réponse à vous, c'est laquelle ? Convention européenne des droits de l'homme. Attention, nous allons porter atteinte à leurs libertés personnelles. Attention, on ne peut pas prendre de mesures privatives de liberté. Attention, ce n'est pas compatible avec la Constitution. Mais changez le droit !
"
Le troisième, député des Yvelines, a mis en accusation "une gauche [...] figée dans une posture en se réfugiant systématiquement derrière cette sacro-sainte Constitution". "Mais on est là pour changer tout ça", a-t-il tenu à se gargariser.
Sans oublier le patron des députés LR Christian Jacob qui, à la tribune de l'Assemblée, a considéré qu"à circonstance exceptionnelle, après plusieurs centaines de victimes, une législation d'exception s'impose". Fustigeant le refus de la majorité de mettre en oeuvre certaines des "mesures" proposées par l'opposition, en particulier le placement en rétention préventive des individus fichés S (impossible car cela s'apparente à de la détention arbitraire, selon le Conseil d'État), il a ajouté :
"Vous pouvez évoquer toutes les jurisprudences que vous voulez, ou les avis du Conseil d'État autant que vous voulez, cela ne convaincra jamais les Français.
"
On en est là. "Parce qu'elle est la France" et pour lutter contre l'obscurantisme, l'arbitraire et la violence d'un ennemi qui s'érige en "État", la France devrait donc transiger avec ce qui fait d'elle une République démocratique. Allez comprendre.
Tout le monde, y compris à droite, n'est pas sur cette position. Dans Le Figaro ce mercredi, le président du Sénat Gérard Larcher estime certes que "l'État de droit doit s'ajuster à l'état de guerre". Mais, s'armant d'une sagesse républicaine élémentaire, il met en garde :
"C'est un équilibre difficile. Bien sûr nous avons une Constitution et son respect s'impose à tous. Nous avons aussi une référence : la Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen. Le Sénat est très attentif aux libertés, mais recherche en permanence l'efficacité. Le rôle du Parlement est d'être attentif au respect de la Constitution. Celle de la Ve République peut justement permettre de trouver un équilibre entre la protection des libertés et l'ordre public. C'est la mission du Sénat d'y veiller.
[...] Nous ne pouvons pas transiger sur les valeurs de la République. Il faut affirmer l'autorité de l'État. L'État de droit défend une organisation de la société bâtie sur la démocratie, l'égalité de tous devant la loi, la laïcité et la protection des citoyens.
"
La réponse du gouvernement, par la voix de Manuel Valls notamment, est de ne pas céder à ces tentations "d'aventures extra-judiciaires". S'adressant spécifiquement à Laurent Wauquiez, le Premier ministre a posé une limite au débat : celle de la République. Il a dit :
"Et s'il y a quelque chose qui nous sépare de manière totale, irrémédiable, pas la gauche et la droite mais vous, vous, et pas les autres, parce que je sais qu'il y a des républicains, c'est ça, c'est cette différence fondamentale de la démocratie et de la République et je ne me laisserai jamais entraîner par un opportuniste dans cette voie-là !
"
Un rappel également formulé par le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve, dans Le Monde ce mercredi : "Ceux qui proposent des lois d’exception veulent s’affranchir de l’État de droit."
Le patron du PS, Jean-Christophe Cambadélis, a abondé en ce sens, estimant sur Twitter qu'"entre la gauche pour l'état d'urgence et la droite pour l'état d'exception, le clivage est clair : c'est la République" :
Entre la gauche pour l'état d'urgence et la droite pour l'état d'exception, le clivage est clair: c'est la République. #DirectAN
— Jean-Chr. Cambadélis (@jccambadelis) 20 juillet 2016
Nous sommes le 20 juillet 2016. Et, dans l'écrin de la représentation nationale notamment, le concept de République a dû être rappelé au bon souvenir de certains élus. Car ils considèrent en parlant au nom des Français que "ça commence à bien faire", comme on dit.