VOSTF – C’est un drôle d’objet littéraire ultra-référencé, dont le sens échappe probablement à 90% de ses lecteurs.
Pour tout vous dire, ici, au Lab, à la première lecture, on n’a absolument rien compris.
Aux premières heures de la journée, ce vendredi 3 mai, la ministre de la Justice, Christiane Taubira a publié, puis fait la promo, sur Twitter, d’un billet de blog qu’elle signe sur le Huffington Post.
Celui-ci est intitulé: "Porque no te callas ?" - ou, en français dans le texte: "Pourquoi tu ne la boucles pas ?"
Cette fausse question, référence à une engueulade entre le roi d’Espagne et Hugo Chavez lors d’un congrès international en 2007, Christiane Taubira l’adresse à deux hommes qu’elle ne nomme jamais, se contentant de les désigner par des métaphores successives.
> Le premier est tour à tour désigné comme "illustre blogueur", "célèbre chroniqueur sur toile [qui] a fait métier du verbe", "commentateur prolixe", "belle intelligence [qui] s’enlise".
De celui-ci, Christiane Taubira dénonce les "ressassements arides", l'accuse de faire preuve d'un "amer acharnement", sans oublier de railler son "manque d’imagination".
> Le second, évoqué plus furtivement, est "un journaliste", issu d’un "honorable quotidien", dont deux articles sont évoqués.
De celui-là, la garde des Sceaux regrette qu'il écrive tout et son contraire en moins de 24 heures.
Après recherches, et au vu des indices laissés par la garde des Sceaux, coutumière des règlements de compte voilés, Le Lab est formel :
> Le premier, c’est l’ancien magistrat et blogueur Philippe Bilger,
> Le second, c’est le journaliste du Monde spécialiste de la justice, Franck Johannès, qui tient notamment le blog Libertés surveillés sur le site du quotidien
Histoire de vous permettre de bien comprendre, Le Lab vous propose une version sous-titrée, avec incises, du texte de Christiane Taubira.
En bleu, ci-dessous, ce sont les écrits originaux de la ministre. Notre sous-titrage reste en noir.
Vous allez voir, ça devient limpide.
>> Ce qu'écrit Christiane Taubira (1):
"On devrait montrer plus de sollicitude envers ses amis de la vingt-cinquième heure.
C'est la 2ème fois déjà en quelques mois qu'un illustre blogueur se fait un sang d'encre pour le Président de la République, s'inquiétant dans un premier temps des exactions, dans un deuxième temps de l'inaction, de sa ministre de la Justice.
Sous quelles incriminations ? La première fois, une "volonté dissidente". Gravissime, sans doute. Et cette fois-ci, une "action verbale".
"
>> Les sous-titres:
Le 22 septembre 2012, Philippe Bilger signe, sur son blog, un long billet intitulé Christiane Taubira, un ministre à part, sorte de premier bilan, "après quatre mois", de l’action de la garde des Sceaux.
C’est un billet charpenté, qui reprend, point par point, la vision de la justice made in Taubira, et dissèque, à la faveur d’une prise de parole de la Garde des Sceaux dans Le Monde, les quatre mois passés et les 56 autres à venir.
On peut y lire ces quelques lignes au coeur du courroux ministériel:
Beaucoup plus récemment, le 23 avril, dans un billet largement intitulé Pauvres juges, Philippe Bilger reproche, "l’immobilisme sublimé par le verbe" de la Garde des Sceaux.
A la différence du premier billet, Christiane Taubira n’est pas le sujet des écrits, mais quatre paragraphes lui sont consacrés.
Il écrit cette fois:
>> Ce qu'écrit Christiane Taubira (2):
"Cela vous rappelle probablement l'article de cet honorable quotidien où un journaliste expliquait, avec belle pédagogie, à la fois la logique absurde et coûteuse de l'instauration des citoyens assesseurs en y ajoutant un éclairage de contexte, et la rationalité de ma décision de mettre un terme, après un rapport de mission de grande qualité, à cette expérimentation ; le même journaliste expliquait le lendemain que je n'avais décidé de rien depuis ma prise de fonction et que tout le monde était lassé de ce 'ministère de la parole'.
"
>> Les sous-titres:
Désolé Madame la Garde des Sceaux, mais en fait, c’est surtout à vous que cela rappelle quelque chose. Quoiqu'il en soit, l’article en question est là.
Publié dans l’édition du Monde daté du 20 mars, il est intitulé Christiane Taubira met fin à l’expérience des jurés populaires dans les tribunaux correctionnels, et dissèque une mesure, bien précise, de la Garde des Sceaux - la fin des jurés populaires, une mesure de Nicolas Sarkozy.
Le second article de Franck Johannès auquel Christiane Taubira fait référence, c’est celui-ci : Les départs se succèdent au cabinet de Christiane Taubira, et il a effectivement été publié dans l’édition du Monde datée du 21 mars.
Dans sa critique du journaliste du Monde, la Garde des Sceaux fait mine d’ignorer que l’article en question est consacré à un tout autre sujet, en l’occurrence l’ambiance dans son cabinet, et qu’il est nourri de nombreux faits.
La suite du billet, qui ne fait pas allusion à de nombreux écrits peu cités, est nettement plus compréhensible. Christiane Taubira se dépeint en figure d’une gauche qui sait "expliquer son action, son cap, ses mobiles", et qui, devant les attaques, "jubile". "Il faudra qu’ils s’habituent", lance-t-elle encore à ceux qu’elle désigne ainsi comme ses contempteurs.
>> Edit, vendredi 3 mai, 15h40
Les deux hommes visés ont réagi, vendredi dans la journée, au billet de Christiane Taubira. Un petit tweet citant, à son tour, René Char, pour Franck Johannès, un long billet de blog passionné pour Philippe Bilger.